Cher[1. Vous me pardonnerez sans doute cette familiarité tant votre dernier ouvrage est un appel à dialoguer dans le plus grand respect voire même dans la plus franche camaraderie] André Bercoff,
Sans doute suis-je long à la détente mais votre dernier essai, Précis de décomposition française, qui est sorti en novembre dernier, est enfin passé entre mes mains[2. Que F1000, lecteur assidû de Causeur, en soit remercié, puisqu’il m’a gentiment prêté le livre, au mépris de la future loi Albanel, suite logique de celle votée hier, HADOPI. On ne voit pas pourquoi il serait moins grave de spolier un auteur en prêtant un livre que de voler un musicien en échangeant des fichiers mp3]. Et si je partage bon nombre de vos constats, inquiétudes et coup de gueules, j’aurai à émettre des réserves sur certaines de vos conclusions.
Bien entendu, je ne peux que vous approuver lorsque vous écrivez, dès la page 12 : » Le vocabulaire est définitivement rentré au bercail : désormais, il est interdit de ne pas interdire. Ne fumez plus : cancer du poumon. Ne buvez plus : cirrhose du foie. Ne baisez plus : sida et autres MST. Ne mangez plus : vache folle et OGM. Ne sortez plus : attentats terroristes. Ne parlez plus des juifs : vous serez condamnés pour antisémitisme. Ne caricaturez plus Mahomet : vous serez incendiés, sinon égorgés. N’osez plus une plaisanterie sur les gays : l’homophobie vous guette. Ne racontez pas une histoire sur les Blacks[3. Au passage, pourquoi une majuscule à « Blacks » alors que vous avez jugé inutile d’en mettre à « juifs » et à « gays » ?] : vous serez vitupérés racistes à part entière. Nous voici revenus au temps de Beaumarchais où, comme chacun sait, l’on pouvait parler de tout, pourvu que l’on ne parlât de rien. Plus besoin de censeurs, les ciseaux travaillent dans les têtes. La mondialisation et l’Union européenne ont rétréci les marges de manœuvre de ceux qui font semblant de tenir ferme le gouvernail : en trente ans et plus, nos dirigeants ont donc fait en sorte que la France hiberne durablement dans un préservatif ». Fermez le ban. Tout est dit. Moi-même, ici, je ne cesse pas de pointer la seule raison de toutes les lois sociétales que les divers gouvernements successifs ont pondues pour justifier leur désormais absence d’influence sur les sujets importants. Ils ne peuvent plus nous protéger des méfaits de la globalisation ; ils se sont donc donnés pour objectif de nous protéger contre nous-mêmes.
Mais là où je ne vous suis plus du tout, André Bercoff, c’est quand vous tentez de dessiner, comme d’ailleurs beaucoup de mes amis « Causeurs », un camp du Bien, nommé ainsi par anti-phrase, complètement logique et homogène, et de nous présenter Nicolas Sarkozy comme son anti-thèse. Que Nicolas Sarkozy se présente comme l’adversaire de la pensée unique et du politiquement correct, c’est logique même si la ficelle est un peu grosse. Qu’un esprit aussi fin que vous se laisse prendre, c’est davantage inquiétant. Puisque nous en étions aux sujets sociétaux, restons y. Quel gouvernement compte des ministres qui courent derrière le fameux « camp du Bien » lorsqu’il s’agit de crier haro sur Benoît XVI ? Quel gouvernement prépare un statut des beaux-parents, gage donné à toutes les associations « LG » [4. Lesbiennes et gays] ? Vous regrettez aussi avec raison que la notion d’autorité soit en berne dans l’Ecole de la République. Et vous rappelez cette histoire du gendarme portant plainte contre un enseignant qui avait giflé son fils parce que ce dernier l’avait insulté. Il ne vous est pas venu à l’idée que le ministre de la Défense aurait pu admonester le gendarme en question, lequel était venu protester dans le collège avec son uniforme, et profitant donc de l’autorité qui en émanait ? Il s’agit d’une faute professionnelle aussi grave, sinon davantage, que la gifle en question, non ? Pourtant, l’enseignant qui avait abusé de son autorité a été sanctionné par la Justice et pas le gendarme par sa hiérarchie. Et nous vivons dans un pays où un Préfet est débarqué pour des sifflets chatouillant trop les oreilles du Président. Vous avez dit « intérêt général » ?
Terminons par votre dada. Que dis-je ? Terminons par notre dada commun, la laïcité, qui serait mise à mal par le « camp du Bien ». Elle l’est, assurément. Sauf que Nicolas Sarkozy est à sa tête. Et, alors qu’une bonne part de votre ouvrage y est consacrée, alors que votre blog a pour devise « Liberté-Egalité-Fraternité-Laïcité », je n’y ai trouvé aucune critique de Nicolas Sarkozy et de son concept « collabo »[5. Terme que vous employez pour ceux qui mettent à mal la Laïcité] de « laïcité positive » ; je n’y ai trouvé aucune allusion au discours de Latran. Tout cela ne collait pas avec votre fable manichéenne sur « Nico contre les bien-pensants ». Vous y avez donc renoncé. Procès d’intention ? Vous voulez davantage d’arguments que ces allusions à des discours sans doute mal compris ? Allons-y ! Nicolas Sarkozy était opposé à la Loi interdisant les signes religieux -dont le voile islamique- à l’Ecole. Il l’écrit clairement dans son livre « La République, les Religions, l’Espérance »[6. Editions Cerf – Octobre 2004]. Il prévoyait à cette Loi un grand échec. Il s’est trompé. En fait, il restait sur les positions de Lionel Jospin en 1989 et sur celles du fameux « camp du Bien » représenté en l’espèce par Le Monde et son journaliste spécialiste des religions, Xavier Ternisien. Ce dernier, à la lecture des différents chapitres de votre livre consacrés à la laïcité, n’aurait pas manqué de vous qualifier de laïcard, de laïciste, voire d’intégriste de la laïcité. Avec Sarko et son fumeux concept de laïcité positive, Ternisien a gagné. Vous et moi sommes devenus officiellement ces intégristes laïques. De cela, Alain-Gérard Slama parle beaucoup dans son dernier livre « La société de l’indifférence », dont je vous conseille la lecture. Seulement, lui voit bien qui est aujourd’hui à la manœuvre. Pourtant, on ne peut pas dire que Slama soit un adepte de la bien-pensance gogôche…
Il est fort dommage, cher André Bercoff, que vous tombiez dans les mêmes travers que le fameux « camp du Bien » en escamotant certaines réalités. Oui la bien-pensance existe, Oui, le politiquement correct est bien présent. Mais leurs frontières ne sont pas aussi clairement délimitées que la lecture de votre essai ne le laisse supposer. Elles sont mouvantes, et changent selon les sujets[7. Ainsi, présenter les adversaires de la Guerre en Irak comme des « collabos-pacifistes-munichois » faisant partie du fameux « camp du Bien », que vous fustigez, est un peu fort de café. Qui a commencé à parler d’Axe du Mal -et donc à utiliser les notions de bien et de mal- sinon George Bush ?]. Non, Nicolas Sarkozy n’est pas le héraut en guerre contre le mal-nommé camp du Bien. Sur beaucoup de sujets, il en est même le plus habile ouvrier. Mais, comme toutes les passions, celle que vous avez pour le Président de la République ne sera qu’éphémère, j’en suis certain. Dans quelques mois, je ne doute pas que vous serez aussi sévère que moi.
Photo en Une issue du blog d’André Bercoff.
« Enlève la poutre que tu as dans l’oeil pour mieux voir la paille dans celui de ton voisin » (ou quelque chose comme ça).
Plus sérieusement, il est quand même incroyable qu’on continue à placer Nicolas Sarkozy sur le piédestal de la lutte contre la « bien-pensance », alors qu’il est devenu, en même temps que son élection, le héraut officiel de la démagogie et du populisme le plus dégradant. A chaque événement sa loi (ou du moins, la volonté de faire une loi)! Un chien mord une gamine? Faisons une loi contre les chiens dangereux (et même s’il y en a déjà eu 6 en 4 ans)! Un enfant se fait violer par un pédophile récidiviste? Renforçons les peines concernant les pédophiles récidivistes! Une bande de jeunes entre dans un collège qui n’est pas le sien? Faisons une loi contre les bandes (même si elle existe déjà et qu’il a été ministre de l’Intérieur pendant près de 5 ans)! Les scandales s’accumulent à propos des rémunérations astronomiques des patrons du CAC40? Faisons une loi (à non pardon : un décret) pour lutter contre ça (et cela même si on a défendu ces patrons depuis son élection)! Et j’en passe…
Nicolas Sarkozy, le serpent de la bien-pensance, glissant entre les lignes quand ça l’arrange…