Le concert des pleureuses a repris. L’absence de la moindre équipe française au stade des demi-finales des coupes d’Europe n’a pas manqué de susciter les plaintes et trépignements de présidents de clubs et journalistes spécialisés réunis sur la question récurrente de la fiscalité-qui-handicape-le-foot-français.

Ainsi l’ineffable Jean-Michel Aulas, qui préside aux destinées de l’Olympique lyonnais, est-il venu chouiner à la télé pour dire à quel point c’était la fiscalité française qui était responsable de l’élimination de son club et surtout pas ses choix[1. Comme, par exemple, virer le seul entraîneur qui lui ait permis de faire le doublé coupe-championnat.], qui par nature, ne peuvent être qu’éclairés. Les journalistes sportifs ne sont pas en reste, et n’ont pas peur d’ânnoner le catéchisme de Saint-Jean-Michel, à l’instar du sémillant Saccomano. Arrêtons-nous un instant sur ce cas typique[2. Rendons à César ce qui est à César. Ce n’est tout de même pas à Sacco de RTL qu’on doit la plus belle perle à ce sujet, mais à son confrère moins expérimenté d’Europe 1, Loïc de la Morinerie, qui disait comprendre que Juninho, star lyonnaise émargeant à 4,5 millions d’euros par an, puisse rêver d’aller chercher un contrat plus juteux dans le Golfe Persique pour mettre sa famille à l’abri du besoin. Parlait-il de la mettre à l’abri jusqu’à la douzième ou  la treizième génération des Juninho ?], qui hurle chaque matin sa bonne conscience de gôôôche, fustigeant les patrons voyous, et qui réclame le soir une fiscalité allégée pour des gamins en culotte courte. Un bouclier fiscal renforcé pour les footeux, en quelque sorte.

Ces deux premiers paragraphes lus, le lecteur pensera que je n’aime pas le foot. Il se trompera. Car, le foot est ma passion, à telle enseigne que le pied me démange même lorsque j’écris à son propos. C’est dire si je suis un fondu. Mais adorer le ballon rond ne dispense pas d’avoir une cervelle et un peu de bon sens, lesquelles permettent d’être doté de cohérence. Ainsi équipé, on ne peut pas écrire qu’on est opposé au bouclier fiscal de Nicolas Sarkozy puis se plaindre qu’on prélève autant sur le salaire de Benzema, Gourcuff ou Mandanda[2. Vigilance de la Halde oblige, j’ai cité un beur, un blanc et un black.]. Je ne suis certes pas insensible au fait que la carrière d’un joueur de football de Ligue 2 – d’un club de bas de tableau – ne dure pas souvent davantage que trois ou quatre ans en moyenne et qu’il est taxé au prix fort sur les 10 000 euros qu’il gagne par mois. Pour celui-ci, il ne serait sans doute pas inutile de créer des systèmes de crédits d’impôts en vue de formation et future reconversion. Mais le joueur de Dijon ou de Reims n’intéresse ni Aulas, ni Saccomano. Ce qui scandalise ces messieurs, c’est qu’on ne pourra pas garder Benzema à cause de notre fiscalité confiscatoire, adjectif favori des chroniqueurs économiques du Figaro.

Les stars du championnat de France ont déjà obtenu, grâce à ce lobbying, des mesures de la part du ministre Jean-François Lamour il y a trois ans. Un droit à l’image[3. Qui par définition n’est utile qu’aux stars.], net d’impôt, permet ainsi d’être davantage « concurrentiel ». Mais pas assez. Il faudrait s’aligner sur la fiscalité anglaise ou espagnole. En pleine crise, alors qu’on fustige à juste titre l’irresponsabilité voire la malhonnêteté de dirigeants d’entreprises qui s’octroient bonus, stocks options et parachutes dorés en tout genre, il faudrait saluer la volonté de défiscaliser des joueurs de foot qui émargent à plus de 100 000 € par mois ? Franchement, il y aurait de quoi séquestrer lesdits footballeurs, les présidents de clubs et, bien sûr, les journalistes dans la fameuse zone mixte[4. Pour les non-initiés, il s’agit de la zone près des vestiaires où journalistes et joueurs peuvent se rencontrer.].

Ainsi évacuée, l’idée folle de procéder, en pleine crise, à une baisse indigne des impôts des footballeurs, reste tout de même une question : va t-on continuer de laisser le football français s’appauvrir de ses meilleurs talents, attirés par des émoluments plus intéressants ? Un homme, sage parmi les imbéciles, a le redoutable honneur de présider la FIFA. Il se nomme Joseph Blatter. Et il se bat pour imposer un quota de joueurs nationaux dans les clubs – le système du 6+5. Avant décembre 1995 et le funeste arrêt Bosman de la Cour européenne de justice de Luxembourg, les différences de fiscalité entre les pays étaient largement atténuées par le fait que huit places sur les onze que compte une équipe de foot étaient réservées aux joueurs nationaux[5. Les joueurs sélectionnables en équipe de France pour les clubs français, les joueurs sélectionnables en équipe d’Italie pour les clubs italiens, etc.]. L’éventualité de cirer le banc, ou même la tribune présidentielle, constituait une incitation non négligeable à ne pas tenter l’aventure à l’étranger et donc rester dans son pays d’origine malgré des impôts plus forts. Mais l’idéologie européiste, la libre-circulation, la concurrence libre et non faussée et toutes ces fumisteries sont passées par là et ont créé, comme pour tous les domaines de la vie économique, la jungle que nous connaissons aujourd’hui, où les clubs anglais règnent en maîtres avec une fiscalité ridicule et le soutien d’oligarques russes ou de magnats saoudiens. Blatter a donc tenté de plaider pour un retour à des quotas de joueurs nationaux. Il semblait même que Nicolas Sarkozy et Gordon Brown[6. Ce dernier étant fort meurtri que l’équipe nationale anglaise se soit effondrée à cause de la quasi-absence de joueurs anglais dans les meilleurs clubs de son pays.] aient prêté attention à la proposition du président de la FIFA. Mais à Biarritz l’hiver dernier, Sarko et Brown se sont couchés devant la Commission et ont remballé l’idée d’exception sportive qu’ils claironnaient avoir réussi à imposer dans le traité de Lisbonne.

Blatter, trop seul, ne parvient pas à imposer cette idée, pourtant de bon sens. C’est donc à la crise qu’il faut s’en remettre. Une crise qui ne devrait pas épargner le football professionnel. On en voit même déjà les prémisses aujourd’hui. Le marché de la pub s’effondre. Les oligarques russes sont moins riches et n’auront sans doute bientôt plus les moyens d’entretenir des « danseuses » que constituent à l’évidence les clubs qu’ils financent généreusement. Et surtout, la révolution technologique est en marche. Qui est le plus grand financeur du foot sinon les télés ? Ces télés, qui payent à des prix astronomiques des droits pour retransmettre les matches, vont-elles continuer de le faire alors que le marché de la pub est atone, que les consommateurs ont d’autres priorités que le paiement d’une chaîne à péage ? Et surtout, quand il est possible aujourd’hui de visionner un match sur son ordinateur grâce au site Justin-tv[7. Ce site permet à un détenteur d’abonnement de chaîne payante de faire profiter à des dizaines de milliers d’autres un match de n’importe quel championnat.], le financement du football par la télé n’est-il pas condamné à court-terme ? Le château de cartes est prêt de s’écrouler. Les fameux droits TV constituent aussi une bulle qui ne devrait plus tarder à éclater.

C’est une très bonne nouvelle. Car cela forcera les autorités du football à repenser complètement leur modèle économique, se tourner à nouveau vers les supporteurs alors qu’ils préféraient les téléspectateurs. Repenser le modèle économique, avoir une politique vis-à vis du supporteur, c’est à nouveau parier partout sur la formation et c’est miser sur une nécessaire identification de ce dernier au club. C’est donc favoriser les joueurs locaux. Si une grosse crise permettait à nouveau à onze hollandais formés au club de remporter la Ligue des Champions comme l’Ajax Amsterdam en 1995 – juste avant l’arrêt Bosman -, ce n’est pas moi qui m’en plaindrais. Si, à nouveau, l’AJ Auxerroise[8. Ou le FC Sochaux, soyons fous !] pouvait faire le doublé coupe-championnat comme en 1996 avec trois quarts des joueurs formés au club, j’en serais très heureux. Et je crois pouvoir dire que beaucoup d’amoureux du ballon rond partagent ce fol espoir.

6 commentaires

  1. Une sorte de protectionnisme appliqué au football ?
    Ils vous diront que la nation, c’est mauvais, donc que des équipes nationales vont déclencher la guerre entre les clubs de différents pays.
    Je n’ai pas l’impression que les supporters aient regretté la fin du recrutement local.

  2. pas de français pour taper dans la babale ?
    mais on s’en cague !
    ça fera des décérébrés en moins !
    ha non ,peut être pas……….
    ils trouveront toujours moyen de s’abrutir devant le poste
    finalement,le foot est l’opium du beauf

  3. Les économistes utilisent des lettres pour imaginer la situation économique dans les années qui viennent :

    1- L’hypothèse  » V  » : l’hypothèse la plus optimiste. Une chute rapide de l’économie, suivie d’une période de croissance elle-aussi très rapide. La crise ne durera pas longtemps. La croissance reviendra vite.

    2- L’hypothèse  » U  » : optimiste elle-aussi. Une chute rapide de l’économie, suivie d’une courte période de stagnation, suivie d’une période de croissance très rapide. La crise ne durera pas trop longtemps. La croissance reviendra assez vite.

    3- L’hypothèse  » W  » : hypothèse plutôt pessimiste. Une chute rapide de l’économie, suivie d’une période de croissance, suivie d’une rechute, suivie d’une période de croissance, suivie d’une rechute, etc.

    4- L’hypothèse  » Z  » : hypothèse pessimiste. Dans les années qui viennent, l’économie va stagner, puis elle va s’effondrer, puis elle va stagner à nouveau.

    5- L’hypothèse  » L  » : c’est l’hypothèse la plus pessimiste. L’économie va s’effondrer, puis elle va stagner pendant très longtemps. La crise économique va durer au moins 10 ans. C’est l’exemple de la crise de 1929. C’est aussi l’exemple de la crise qu’a connue le Japon de 1990 à 2002.

    Le problème est le suivant :

    depuis 15 jours, trois instituts viennent d’annoncer que nous allons connaître une crise en  » L « .

    LEAP/E2020, puis le FMI, et aujourd’hui l’OFCE viennent d’annoncer que la crise sera très longue.

    L’OFCE affirme même que la situation de la France va être la même que la situation du Japon dans les années 1990 : une crise économique très dure et très longue.

    Lisez cet article :

    « Les signes avant-coureurs d’une inversion du mécanisme récessif sont loin d’être évidents, » a noté Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, pour qui le risque est réel de voir cette crise sans précédent depuis les années 1930 déboucher sur un marasme de longue durée avec déflation.

    « On attend plutôt une reprise en ‘L’, et le scénario qu’on a en tête, c’est le Japon des années 1990, » a-t-il conclu.

    http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_marches.phtml?num=29c87fa8e3e736c6041cc5095f4673b8

  4. Il y aurait intérêt à se demander s’il n’y a pas une relation entre la situation économique désastreuse de certains pays et les émoluments des stars du ballon rond.
    Mais pour cela, il faudrait interroger les anglais, les italiens et les espagnols et il n’est pas sur qu’ils répondent.

  5. On pourrait revenir au football s’il vous plait ?

    L’analyse est très juste, meme si la crise dans le foot est pressentie depuis longtemps (un peu comme la crise financiere qu’on sentait venir depuis quelques mois). Les sommes collossales que l’on voit actuellement concernent surtout le foot anglais qui bénéficie d’un rayonnement international sans commune mesure avec ce qu’il était au lendemain de son exclusion post-Heysel (retour en 92). Ce rayonnement est surtout un arbre qui cache une crise majeure ailleurs, le plus touchée actuellement est l’Italie, qui connait un profond désinteressement public (stade a moitié vide, rentrée pub en chute libre) du à des scandales à répétition (dopage, matchs achetés, arbitres corrompus) qui provoque un exil des meilleurs joueurs (à cause du différentiel de salaire) et alimentant le désinteret etc…. vous voyez le cercle vicieux. L’allemagne est touchée mais d’une autre façon puisque la valeur du foot allemand continue a se décoter régulièrement (voir les pietres résultat du bayern munich, seul club a vocation européen) faute ici d’une formation insuffisante faisant emerger de nouveaux talents. Quant à l’Espagne, les deux clubs principaux, Barça et Real, ils sont au bord du dépot de bilan. Et comme leur proprio sont des magnats du batimens, faudra pas trop compter sur eux. Vous voyez la crise du foot prend des facettes très multiples …

    Sinon si il y a un économiste dans ce public, je lui propose d’étudier les conséquences économiques de l’arret Bosman sur la compétitivité des Nations, c’est surement un des meilleurs arguments pour le protectionisme

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