Le selfie tricolore, une guignolade indécente
C’était une bonne idée, cette réappropriation des symboles de la nation. Le drapeau tricolore et la Marseillaise, hier décriés, ’un qu’on ne devait sortir l’un qu’à l’occasion des matches de football, l’autre dont on jugeait les paroles trop belliqueuses, semblaient être à nouveau de saison. Il faut dire que nous sommes en guerre. Ça aide. Le Président de la République, en chef des armées, nous a donc demandé d’accrocher les couleurs nationales à nos fenêtres, en signe de communion, en ce jour d’hommage national aux victimes des attentats du 13 novembre. Nous ne pouvions d’ailleurs imaginer autre chose qu’une communion nationale.
Et puis, en ce jeudi soir, nous avons découvert la dernière trouvaille du SIG (Service d’information du gouvernement).
Le gouvernement de la République nous encourage donc officiellement à faire des « selfies patriotiques ». Appréciez l’oxymore !
Qu’est ce qui a pu passer dans la tête de ceux qui ont conçu cette campagne de communication ? Un hommage de la nation à ses enfants morts, ce n’est pas un concours de guignolades. Comment associer cet hommage national au selfie, symbole par excellence de l’individualisation à outrance, de la mise en scène de sa petite personne ? Ce qui compte évidemment, c’est le commun. Dès lors, nous inciter à faire des selfies, peinturlurés comme si nous allions assister à un match de football, le jour où on rend un dernier hommage à ceux qui sont tombés sous le feu ennemi, c’est triste à en pleurer.
Il y a quelques jours, Philippe Guibert, l’ancien directeur du SIG publiait une analyse d’une grande lucidité sur le retour de la nation et de la souveraineté. Il évoquait aussi une « affirmation plus charnelle de la fierté nationale face à la tragédie » et ces jeunes qui se ruent sur le site de l’armée de terre pour s’engager. Ses successeurs ne font hélas pas dans l’analyse, mais dans la communication à deux balles. Quand Facebook a offert la possibilité à ses utilisateurs d’afficher leur photo sur un fond tricolore, il a permis à de nombreux Français d’exprimer publiquement leur attachement à leur patrie en ces heures graves, malgré les mauvais coucheurs qui viendraient immanquablement le leur reprocher. Les nouveaux dirigeants du SIG, eux, transforment le patriotisme en mode. Le drapeau tricolore, la Marseillaise, c’est devenu cool ! Eh bien non. Le drapeau tricolore, c’est sérieux, et la Marseillaise ne doit pas devenir une chanson de bistrot.
On voit déjà ces communicants compter le nombre de selfies et utilisateurs du hashtag #fiersdelafrance, et parader en fin de journée en exhibant ces chiffres dérisoires. Peut-être même le communicant en chef viendra-il en personne apporter les résultats du concours de selfies au Président de la République. Triste à pleurer, disais-je…