Une fois n’est pas coutume, j’ouvre mes colonnes à un ami, Eric Bonvalot, dont je sais l’admiration qu’il portait au Général Bigeard, décédé la semaine dernière.

DD

Décidément 2010 n’est pas une bonne année pour les grandes gueules.

Après Philippe Séguin en janvier, c’est le général Marcel Bigeard qui vient de la fermer. Pour toujours.
Bigeard ! Ce nom claque comme un drapeau français au vent des bourrasques de l’histoire de France. Ce nom, un tantinet franchouillard et, pour le moins, peu aristocratique.

Bigeard, on l’aime ou on le déteste mais personne ne reste indifférent au parcours de ce «petit gars» de Toul qui avec un certificat d’études devient général au feu puis ministre et député. Né en 1916 en pleine bataille de Verdun, ce fils de cheminot aura une mère qui lui inculquera une éducation stricte mais qui sera sa référence durant toute sa vie. A 14 ans il devient courtier à la Société Générale. Puis c’est le service militaire en 1936 dont il sortira  « plutôt antimilitariste » selon ses propos.
Mais ce grand gaillard cultive sa forme physique et lorsqu’il est rappelé en 1939 il se porte volontaire pour les corps Francs (ancêtre des commandos). Adjudant il obtient alors sa première citation. Durant la débâcle, il fait face à l’attentisme de certains militaires mais aussi de la population civile lorsqu’après une marche de plusieurs kilomètres un camarade blessé sur son dos, un compatriote refuse de lui ouvrir sa maison car « il ne veut pas de problèmes avec les Allemands ».

Le 25 juin 1940, Bigeard est prisonnier mais très vite il essaie de s’évader. Au bout de quelques tentatives, il y parvient enfin le 14 juillet 1941. Cette date ne doit rien au hasard : Bigeard aime les symboles. Il retrouve son amour de toujours, Gaby, se marie et fonce en Afrique où il rejoint l’armée d’armistice. Très vite, il est repéré par les services spéciaux britanniques qui en font un parachutiste. C’est le tournant de la carrière militaire du jeune Marcel. Il est parachuté en Ariège en aout 1944 pour coordonner les maquis en grande partie communiste et libérer la région. Ce fut chose faite avec 1500 prisonniers allemands remis aux autorités.

Puis Bigeard est affecté à l’instruction des « cadres » FFI parfois « auto promus » en grade. Fin 1945, il arrive en Indochine. Ce sera le début d’une véritable passion pour ce pays. Bigeard dira longtemps avoir le « mal jaune ». Très vite il se distingue et pas seulement lors de combat. Il rédige un rapport sur le trafic d’opium au sein de plusieurs unités françaises qui fait grincer des dents ses supérieurs. Puis c’est la retraite de Thu Lé qui fait la une des journaux. La légende de Bigeard commence et le principal intéressé saura parfaitement en jouer. Il devient le premier militaire français « médiatique »[1. « People », dirait-on aujourd’hui.]. La grande muette commence sérieusement à être agacée du comportement de ce jeune officier qui n’a ni bac, ni diplôme d’une grande école.

1954, Bataille de Dien Bien Phu. Bigeard joue un rôle considérable voulant à tout prix sauver l’honneur, galvanisant les troupes, parfois certains supérieurs. Lorsque le camp tombe, le Viet Minh demande « où est Bigeard, où est Bigeard ? » Il est fait alors prisonnier, tente une nouvelle évasion mais reste aux mains des terribles « commissaires politiques »pendant plus de 4 mois. Avec une mortalité de 80 % en 4 mois, survivre à ces camps relève du miracle. Véritable force de la nature, Bigeard est libéré fin septembre. Il gardera de cette époque un rejet profond du système communiste, une méfiance permanent vis-à-vis du monde politique et, surtout, le souvenir des ces nombreux camarades morts dans cette cuvette dont il dira: « Dien-Bien-Phu , c’était un peu comme une bougie qui s’éteignait. » Le croyant mort l’Etat-major l’a nommé lieutenant-colonel.

Puis vient la guerre d’Algérie. Avec ses paras, Bigeard crapahute dans le djebel et obtient des résultats. Très vite , il est impliqué sous les ordres de Massu dans la bataille d’Alger -avec les polémiques que l’on sait sur la question des méthodes employées pour obtenir les renseignements permettant de démanteler les réseaux de poseurs de bombes du FLN. C’est surement l’aspect le plus controversé de sa carrière mais Bigeard assumera en disant que cela était « un mal nécessaire » tout en déclarant ne jamais l’avoir pratiqué directement. Durant cette période le sens tactique de Bigeard est remarquable. Il élabore la doctrine d’emploi de l’assaut héliporté qui sera en grand partie reprise par l’Armée américaine durant la guerre du Viet Nam. Puis il crée l’école de la contre-guérilla à Philippeville sur ordre de Chaban-Delmas. Bigeard communique, invite les journalistes dans son régiment, et a même un photographe et un dessinateur attitré !

Lorsque Bigeard, un 14 juillet, revient en France pour être décoré et défiler sur les Champs-Elysées, la foule crie  « Bigeard au pouvoir ! ». La IVème République aux abois envoie Bigeard dans des postes en Afrique Noire où la situation politique est plus calme. Néanmoins, Bigeard garde un œil sur les événements d’Algérie. Toutefois, le soldat n’en est pas moins républicain et reste prudemment à l’écart des putschs et autres séditions des partisans de l’Algérie Française.

Après 10 ans au grade de colonel, Bigeard, devient enfin général. Les dents grincent du coté dans anciens saint-cyriens et autres diplômés de l’Ecole de Guerre pour qui cet ancien 2ème classe reste  « une trop grande gueule ». Bigeard connait alors des postes de temps de paix. A Madagascar, à Paris, à Toulouse, il s’ennuie. Il le reconnaît : la guerre est devenue une drogue pour lui. « L’armée est ma femme, Gaby ma maitresse « , dit-il. Bigeard prend de sa retraite en 1975, général 4 étoiles. Ce militaire était un chef adulé et respecté par ses hommes qui l’auraient suivi n’importe où. Mais l’avoir comme subordonné était un drôle de casse-tête.

Là commence l’autre carrière du général, celle de  « la Jungle ». C’est comme cela qu’il nomme l’arène politique où il trouve que le respect entre adversaires est moins présent que sur les champs de bataille. Devant la crise qui secoue l’Armée Française (Comité de soldats entre autres), Bigeard est nommé secrétaire d’Etat à la défense par Giscard. Une amitié fidèle naît entre les deux hommes. Très vite, son style détonne dans les palais feutrés de Paris. Il impose le jogging à ses collaborateurs ministériels dès le matin.
Il mène de nombreuses réformes, (statut des sous-officiers, conditions des épouses de militaires, augmentation des crédits d’équipements). Il observe goguenard tout ce petit monde. 18 mois après sa nomination, Bigeard donne sa démission à Giscard qui a du mal à l’admettre. Le général considère sa mission comme remplie et ses relations avec Yvon Bourges, Ministre de la Défense, sont quelques peu tendues.

Après un refus, puis quelques hésitations, Bigeard devient député de Meurthe et Moselle en 1978. Il est élu dans la foulée président de la commission de la Défense nationale à l’Assemblée. Le fait qu’il soit apparenté UDF ( il ne sera jamais adhérent ) suscite beaucoup d’irritation chez certains députés gaullistes. Car Bigeard n’est pas gaulliste. Il admire le Général mais se démarque sur certains sujets (Politique étrangère des USA notamment). Bigeard pavoise, court de meetings en voyages officiels, débat et se paie le luxe d’être invité à « Apostrophes » et d’engager un débat franc et cordial avec Georges Brassens. Puis en 1981, la gauche au pouvoir, Bigeard demeure malgré tout député. Il s’oppose vigoureusement aux socialistes mais admire Mitterrand pour son sens tactique. Un homme du PS lui inspirera un profond respect : Charles Hernu à qui il est reconnaissant de ne pas voir céder aux sirènes idéologiques de son aile gauche lorsqu’il était Ministre de la Défense. En 1988, Il soutient Barre aux élections présidentielles mais perd sa circonscription de quelques voix.

Bigeard ne regrettera pas beaucoup ce passage en milieu politique. Il ne demande pas de mission spéciale, gracieuse ou rémunérée. Il prend une retraite bien méritée, et se consacre à l’écriture (15 ouvrages dont il versera les bénéfices à des œuvres caritatives). Il mettra un point d’honneur à préserver la mémoire des ses camarades morts au combat notamment ceux de Dien Bien Phu. Il refusera toutefois d’accompagner Mitterrand lors d’un voyage officiel au Viet Nam à Dien Bien phu. Il ira là bas en 1994 une année plus tard. Ne pouvant retenir ses larmes, il déclara devant un journaliste vouloir être incinéré et largué sur cette cuvette où est restée une partie de lui-même.

Le général vit à Toul dans le quartier de Saint Evre. Il réside dans une maison achetée dans les années 1950, demeurant fidèlement attaché à sa terre meusienne jusqu’au bout. Sobrement et simplement.
Tant qu’il en aura la capacité physique, il fera son jogging le matin et quelques longueurs à la piscine municipale dont il avait les clés. Il répondait personnellement –d’un petit mot pour chacun- à l’abondant courrier qu’il recevait. J’ai encore une photo dédicacée de sa main. Bigeard aimait intervenir sur les sujets militaires ou de diplomatie. Une analyse récente sur la société française il y a 4 ans montre que le vieux para gardait une certaine lucidité même s’il avait une certaine tendance à entretenir son propre mythe.

Oui, Bigeard était un mythe et une légende. Qui dirait le contraire lorsqu’on voit un tel parcours ? Il était un des derniers symboles de la méritocratie républicaine issue du service militaire. Authentique fils de la République, il sut « Etre et durer » comme sa devise personnelle l’atteste. Bigeard fut l’officier le plus décoré de France, totalisant 24 titres de guerres, 5 blessures, et la médaille de la résistance. Soldat de France, il demeura un patriote viscéral, un tantinet cocardier mais dont le parcours impose le respect et l’admiration. Sans être un stratège, il fut un excellent tacticien qui savait se remettre en cause. Il respectait ses anciens adversaires qu’il rencontra à plusieurs reprises, ceux du Viet Minh ou du FLN.

Bien entendu les antimilitaristes et adeptes de la repentance salonarde et autres dogmes idéologiques convenus, n’hésiteront pas à ne retenir que de lui, ses propos et ses actes pendant la guerre d’Algérie liés à la torture. J’invite ces rebellocrates à s’interroger sur leur capacité à prendre autant de risques (physiques notamment) que des gens comme Bigeard pour défendre leurs idées et leurs croyances autrement qu’en signant des pétitions et battant le pavé sous des calicots.

Notre société actuelle adepte du principe de précaution et de la pénalisation des risques inhérents à ce qu’on appelle la vie, serait bien inspirée de méditer sur l’action de cette homme qui a combattu toute son existence au nom d’une « certaine idée de la France »

Et puis, pour le paraphraser, mourir un 18 juin, « ça a de la gueule…  »

Eric Bonvalot, directeur d’une association d’élus locaux, est aussi officier de réserve.

4 commentaires

  1. Bonjour,
    Aujourd’hui, plus de risque d’en découvrir un comme ça…
    Vu le niveau d’engagement éxigé, son équivalent, s’il existe, restera à la porte des casernes…Pas assez diplomé pour faire un militaire…
    Nuance importante, lui, était un guerrier…

  2. Mourir un 18 Juin ouais ça a de la gueule, un dernier coup du destin comme un état de grâce. Quelle sortie, avec panache. Quelle verve quelquefois un peu rude dans l’expression à l’emporte-pièce mais avec Bigeard, général s’entend, pas de vulgarité, pas de temps à perdre avec des paltoquets de seconde zone. Un patriote, un vrai, sans langue de bois qui plaçait la France au dessus de tout et ne s’en servait pas pour assouvir ses desseins personnels.
    Un pur, un dur qui était couillu, lui, un sacré bonhomme comme il y en a peu.
    Une figure marquante de ce siècle qui va nous manquer. Pas d’apitoiement ni de ramollissement, ni de larmoiement, il n’aurait pas aimé.
    Un homme d’honneur, juste, doublé de générosité.
    Je vous salue mon Général.

  3. Bonjour,
    Le nom du général Bigeard a quasiment bercé mon enfance et mon adolescence.
    Le général Bigeard était un homme de valeur comme il en existait tant à cette époque.
    Ces femmes et ces hommes dont il faisait parti ont reçu de leurs parents une éducation où la valeur n’était pas que celle de l’argent mais surtout celle de la moralité et de la foi en l’homme. Ils ont eu des déstinées différentes mais ont tous brillés sur les « terrains » où le hasard de la vie les avait mené. Aussi nous nous souvenons d’eux avec respect, amitié et même envie.
    Pleurons car plus jamais des femmes et des hommes de cette trempe n’existerons .
    Nous vivons dans une autre dimension où la soif du pouvoir et de la puissance domine.

    Mes devoirs mon Général.
    Je comprends votre souhait de voir vos cendres répandues au dessus de Dien Bien Phu comme une nuée de parachutistes!…
    Salut Marcel, respect et à bientôt.

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