Ces jours-ci, on m’a appris, par tous les médias possibles, comment protéger mes enfants du soleil. En fait, ils ne font que relayer les recommandations officielles du ministère de la santé. Je sais bien que nos gouvernants sont traumatisés à vie par le fâcheux précédent de 2003. Madame Bachelot s’imagine mal briguant la succession de Monsieur Mattéi au pilori et, plus tard, à la présidence de la Croix Rouge[1. Poste que Georgina Dufoix avait occupé aussi.]. On peut la comprendre.

Mais il n’y a pas que la canicule. Le mal est davantage profond. Je ne parlerai même pas de H1N1 et de son cortège de prévisions de fermetures d’écoles, d’entreprises et tout ce que notre pays compte d’endroits de rencontres. Cela aura au moins l’avantage de ne plus entendre sans rire à chaque pont du mois de mai, ou à la moindre grève d’un service public de transport, les mêmes litanies sur la France bloquée et son manque à gagner en création de richesses.

Ce qui est en cause, c’est la totale disparition dans notre pays, et finalement dans la plupart des pays d’Europe et d’Amérique du Nord, de la notion de libre-arbitre. Cela avait débuté avec ce procès, il y a quelques années, où un cigarettier fut condamné par la justice américaine à payer une somme faramineuse à un malade du tabac, parce que les paquets ne portaient aucune indication sur la dangerosité du produit qu’il contenait. Comme si ce type n’était pas au courant que les cigarettes, qui devaient bien lui apporter quelque réconfort, n’avaient pas, a contrario, des effets nocifs sur la blancheur de ses poumons ! C’est donc à ce juge totalement irresponsable que nous devons ensuite les ridicules logos qui figurent sur les paquets de clope : « Fumer tue », « la cigarette provoque le cancer », « fumer empêche de bander »[2. Cette mention n’existe pas, mais je me souviens bien avoir vu un spot de publicité y faisant clairement allusion.]. Evidemment, ces mentions n’avaient pas été exigées dans un but de santé publique et de baisse de la consommation de tabac, l’augmentation du prix de celui-ci étant la seule mesure vraiment efficace, mais dans le but de se couvrir, d’ouvrir le parapluie, d’assurer le coup juridiquement. Appelez cela comme vous voulez.

Pour illustrer cette stratégie du parapluie, les exemples pleuvent. A torrent. Dernièrement, ce sont nos étiquettes de bouteilles de pinard qui se sont vues affublées d’un pictogramme ridicule représentant une femme enceinte. La trouille qu’une poivrote ne vienne un jour déposer plainte et demander quelques millions d’euros en dommages et intérêts a finalement poussé nos pouvoirs publics à imposer ainsi la pollution de nos belles étiquettes vigneronnes. Pour quel résultat ? Les alcooliques invétérées ne feront pas attention au dessin ; les prudentes l’étaient déjà. Seule, la crainte du procès à disparu. Ouf, on respire !

Certains respirent mais, pour ma part, ça me gonfle ! Plus aucun libre-arbitre, plus aucune responsabilité individuelle ! Si je me casse la gueule sur le trottoir, c’est la faute du maire qui l’a mal fait nettoyer et pas de ma maladresse. Si un gamin veut faire son « Bébel » sur une plaque de verglas dans son école, c’est la faute du directeur qui n’a pas balisé ladite plaque. Les parents vont donc déposer plainte alors qu’ils sont sans doute, davantage que quiconque, à l’origine du fait que le gosse n’est pas un modèle de prudence.

Dans le public comme dans le privé, la judiciarisation à outrance de notre société devient un vrai cauchemar. Tout le monde ouvre le parapluie, tout le monde cherche à se couvrir. Du coup, un jour, plus personne ne fera plus rien. Il faut surveiller ce qu’on donne à boire à ses convives, des fois qu’ils se vautrent lamentablement dans le fossé sur le chemin du retour et déposent ensuite plainte pour avoir été si scandaleusement saoulés. On ne prend plus d’auto-stoppeur[4. Je ne parle même pas des auto-stoppeuses. Les accusations de harcèlement voire de viol, ça refroidit son monde…], de peur d’avoir un léger accident en sa présence. Même s’il s’agit d’une personne de bonne foi, son assurance exigera d’elle que plainte soit déposée.

Des escrocs de grand chemin tenteront de vous faire croire que la fin du libre-arbitre et la généralisation du parapluie constituent l’aboutissement ultime de la société française. Les Français ? Des assistés, vous diront-ils ! Toujours à rejeter la faute sur le voisin, toujours à en appeler à l’Etat ! On devrait donc revenir au vrai libéralisme !

N’écoutez surtout pas ces charlatans ! Cette judiciarisation vient des Etats-Unis, on l’a vu. Elle vient du monde anglo-saxon que nous avons eu le tort d’imiter, sur ce sujet comme sur d’autres. Avocats, sociétés d’assurance ont beaucoup à gagner dans cette triste histoire.

Le parapluie, c’est d’abord, surtout, une histoire de gros sous.

10 commentaires

  1. Pas d’accord sur le concept de responsabilite dans les societes anglo-saxonnes et par extension,nordiques,germaniques.(soit-dit en passant il est cocasse de reprocher a l’Amerique le manque de libre-arbitre de ses citoyens)
    L’idee de responsabilite est chez eux au contraire beaucoup plus « poussee’ que dans les pays latins: on respecte,et l’on encourage,un engagement individuel fort,dans lequel se concretise la volonte et le libre-choix de l’individu.L’Etat n’encadre pas toute action avec ses reglements etc..
    La contrepartie de cette primaute donnee a l’initiative du citoyen est une responsabilite elargie,et un jeu beaucoup plus dur,voire cruel,des rapports sociaux.On agit dans son interet plus franchement,mais on peut se faire attaquer de la meme maniere tout aussi violemment.De la decoulent toutes ces precautions juridiques dans le monde marchand qui,vous avez raison de le soulignez,confinent souvent au ridicule.
    La question que vous soulevez indirectement est neanmoins tout-a-fait pertinente:
    ce type de societes convient-il a la France ?

  2. En fait, il s’agit surtout d’une infantilisation de nos sociétés, pas seulement la française malheureusement, car alors il suffirait de regarder pourquoi ça marche mieux chez les voisins… ce qui n’est pas le cas.
    En lieu et place d’un jugement individuel sur le « bien » et le « mal », où on serait capable de laisser une plaque de verglas dans une cours d’école (vue la chaleur actuelle, j’en rêve!), soit sous prétexte ludique, soit sous une raison plus sérieuse, celle qu’on ne grandit, moralement, intellectuellement, et même physiquement, que si l’on connait ses limites, on en reste à un jugement collectif sur le « permis » et « l’interdit », qui sont le propre des enfants avant cet « âge de raison » dont aucun éducateur ne veut plus parler, et qui nous rapproche dangeuresement du statut d’animal domestique.
    Question: qui a intérêt à cela, sinon les veaux qui veulent qu’on s’occupe d’eux, ou ceux qui s’apprêtent à devenir les maîtres de cette immense troupeau ?

  3. Je copie le commentaire que j’ai fait sur Marianne2.fr pour vous en faire part directement :

    Que dire, à part que je suis d’accord à 200% avec vous! C’est exactement mon point de vue sur la société actuelle (à croire que vous avez sondé mon cerveau pour y extraire la quintes sente moelle).

    Je rajouterai aussi que cette judiciarisation à outrance de la société a conduit nombre de personnes à se comporter de façon complètement déresponsabilisée. « Pourquoi traverser sur les clous, puisque si je suis renversé, c’est le véhicule le plus lourd qui sera responsable ». Ce qui conduit des aberrations juste hallucinantes comme ce reportage sur les cyclistes à Paris diffusé sur i-Télé récemment, où une femme à vélo disait avec le plus grand des sérieux que « non, passer au feu rouge n’est PAS dangereux ».

    Mais les politiciens ont énormément contribué à infantiliser les citoyens, au lieu de les responsabiliser. Des consignes aussi abêtissantes que possible derrière un matraquage sans fin d’informations aussi contradictoires les unes que les autres. Mais comme les enfants sont limite élevés de cette façon, on ne va pas en sortir facilement…

  4. Vous avez raison dans votre constat,votre description est exacte(et combien),
    mais comme l’écrit Venik vous faites profondément erreur en attribuant à toute
    les sociétés anglo-saxonnes cette pathologie.
    C’est bien le cas de la société anglaise actuelle,avec son multiculturalisme dément,
    mais ce n’est pas le cas pour les U.S.A,la N.Zélande,l’Australie,le débat sur la santé
    en cours aux US le révèle clairement.
    Cela ressort beaucoup plus des effets de l’histoire européenne et à suivre E Todd
    de certains traits anthropologiques, caractérisant certaines société(Suède par ex).
    De plus ,mais l’analyse est en cours,certains choix idéologique du dernier demi-
    siècle en pédagogie par exemple,avec pour soubassement,des erreurs
    conceptuelles durables(à voir les travaux novateurs de Nathalie Bulle:C.N.R.S),
    nous embourbent dans cette addiction, car il s’agit bien d’une addiction.
    Tout ceci est bien humain(c’est la faute à la société n’est ce pas?).

  5. C’est assez agréable de trouver sur le web à quelque chose près ce que l’on pense, le meurtre des libertés individuelles, l’assassinat de la pensée individuelle pour arriver à un système du parapluie extrêmement sophistiqué ou l’objectif de chacun est de se couvrir de ce que les autres pourraient penser,
    La logique perd ainsi de plus en plus de terrain face à l’émotion ou la sensibilisation … On réagit à n’importe quel événement médiatique par des mesures sans commune mesure, mais l’important, c’est de répondre et de communiquer sur le fait que l’on répond. A suivre les discussions de salon (et principalement de midi dans les bureaux) cela fonctionne tout de même et le message bénit devient universel.

  6. « il y a quelques années, où un cigarettier fut condamné par la justice américaine à payer une somme faramineuse à un malade du tabac, parce que les paquets ne portaient aucune indication sur la dangerosité du produit qu’il contenait. Comme si ce type n’était pas au courant que les cigarettes, qui devaient bien lui apporter quelque réconfort, n’avaient pas, a contrario, des effets nocifs sur la blancheur de ses poumons ! »

    Je crois que vous avez raté quelque chose : jusqu’à récemment, les cigarettiers pouvaient vendre leurs poisons en le présentant comme bon pour la santé ; de plus, certains ajoutaient des produits toxiques pour amplifier l’addiction : je crois pas qu’ils le criaient sur les toits. Et pourquoi ces menteurs et ces assassins n’auraient pas le droit qu’on leur reconnaisse à eux-aussi, leurs responsabilités ?

    Le fait que vous ne rapportiez la réalité des faits que sous un seul jour n’est pas étonnant quand on lit des généralités outrancières comme :

    « Ce qui est en cause, c’est la totale disparition dans notre pays, et finalement dans la plupart des pays d’Europe et d’Amérique du Nord, de la notion de libre-arbitre. »

    On aurait donc aboli le droit dans nos pays ? Mais, plus incroyable encore, vos exemple : si je me casse la gueule par maladresse, ça ne relève, et n’a jamais relevé, du libre arbitre ! et s’il avère qu’une personne a accompli des actes qui ont conduit à blesser autrui, et bien oui, cela relève du libre arbitre, mais peut seulement induire une responsabilité. Et c’est au juge d’en décider, car la justice, c’est fait pour ça : réguler les rapports entre des sujets dotés de libre arbitre. Bref, faiblesse de l’analyse et généralité ne font pas un article de très bonne facture.

  7. « David Desgouilles 22.08.09 à 15:12

    @toto
    Si vous vous plaisez dans une société où le juge est partout, grand bien vous fasse. »

    Je n’ai jamais dit ça…

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