La neutralité des services publics a bon dos

 

La grande tradition de liberté d’expression sur le campus universitaires a-t-elle vécu ? Non, il ne s’agit pas là d’un article sur l’extension à l’Université de l’interdiction des signes religieux ostensibles qui est la règle depuis 2004 dans les établissements primaires et secondaires. Si ce n’est pas le cas, d’ailleurs, c’est parce que les étudiants qui la fréquentent sont pour la plupart majeurs, et donc des citoyens libres.

Pourtant, la présidence de l’Université de Nancy-Lorraine vient de prendre une décision pour le moins étonnante en interdisant la tenue d’une conférence organisée par un syndicat étudiant, l’UNI, laquelle devait avoir lieu jeudi 26 mars dans un amphithéâtre de la faculté de droit. Le conférencier prévu était Olivier Vial, qui préside son syndicat au niveau national. Mais hier, le doyen de la fac de droit a transmis, plutôt ennuyé, le mail de la Présidence de l’Université de Lorraine, qui lui ordonnait d’annuler la tenue de cette conférence, faisant valoir que : « Compte tenu de la période de réserve électorale qui est en vigueur du 1er mars au 29 mars 2015 et selon les recommandations du Cabinet de la Préfecture 54, il ne [lui] apparai[ssai]t pas concevable qu’un tel événement se tienne sur le domaine public universitaire. ». Le cabinet du Président de l’Université ajoute deux motifs à cette interdiction : le fait que l’UNI, sur son site internet, affiche sa volonté de proposer une alternative face à la gauche et que la description affichée de la conférence pose la question suivante : l’école est-elle manipulée par le pouvoir socialiste ?[1. Les deux passages sont soulignés dans cet article pour la bonne et simple raison qu’ils apparaissent surlignés en jaune dans le mail adressé au doyen de la faculté de droit. Cela ne s’invente pas.] Le courrier s’achève sur l’ardente obligation du doyen d’exécuter les ordres, dans la stricte application du principe de neutralité des services publics, passage encore souligné par le cabinet du Président. Ce matin, le cabinet envoie un mail à la section nancéienne de l’UNI confirmant qu’il a demandé au doyen de ne laisser se tenir un tel événement sur le campus universitaire, s’appuyant là encore sur la neutralité des services publics et la réserve électorale due à la campagne des élections départementales.

Le problème, c’est que, juridiquement, tout cela est bien fragile. Primo, à notre connaissance, la réserve électorale s’applique aux fonctionnaires mais pas aux bâtiments. Ainsi tout citoyen, lecteur de Causeur ou non, a eu l’occasion de se rendre à une réunion électorale dans un bâtiment public, école, mairie ou autre. Dans ces périodes, les pouvoirs publics encouragent même le prêt de salles afin que la campagne électorale puisse se tenir dans les meilleures conditions d’expression. En l’occurrence, le président de l’université pouvait et devait interdire au doyen d’assister à cette réunion (encore que, elle n’était pas, à proprement parler, « électorale ») mais en aucun cas lui demander d’interdire le prêt de l’amphi.

Deuxio, la neutralité des services publics a bon dos. Outre qu’elle s’oppose à la grande tradition universitaire de liberté d’expression évoquée plus haut, ajoutons que le nombre de réunions à connotation politique qui se tiennent chaque année sur les campus universitaires est impossible à chiffrer. L’UNI, ainsi que ses homologues bien plus à gauche en organisent un très grand nombre chaque année. Mais pas seulement. Des associations politiques privées du caractère officiellement représentatif de l’UNI peuvent tenir des réunions sur tout sujet. Pourquoi cette jurisprudence lorraine ? L’UNI souffrirait-elle d’une discrimination insoutenable ?

L’acharnement de la présidence de l’Université à se référer aux recommandations du cabinet du Préfet de Meurthe et Moselle  pose tout de même question. N’y-a-t-il eu aucune réunion politique dans des bâtiments publics en Meurthe-et-Moselle, ces dernier jours ? Lorsqu’on appelle le cabinet du préfet, une personne sympathique botte en touche,  nous renvoyant vers le chef de bureau de la prévention et de la sécurité, lequel se dit logiquement non-concerné par cette affaire et me renvoie… vers le directeur de cabinet du Préfet. Finalement, je parviens à contacter ce dernier, qui tombe des nues et me dit ne rien connaître à cette affaire. J’insiste en signalant que la présidence de l’université dit agir sur recommandation d’un organe qu’il dirige, mais il persiste et signe, m’indiquant qu’il « verrait ça avec la présidence de l’université ».

D’un coup, je me sens comme une sorte de Tullius Détritus dans le 54.  Et c’est à ce moment-là qu’un collaborateur du président de l’université m’appelle pour me signaler qu’il vient de répondre à mon mail matinal. Finalement, la recommandation du cabinet du préfet ne concernait pas spécifiquement cette conférence mais toutes les réunions politiques en cette période électorale. Il me dit que deux autres événements ont été annulés pour les mêmes raisons dans la même période sur le campus dont une inauguration d’une bibliothèque à laquelle devait participer le président socialiste sortant du conseil général (Bizarre, il me précise bien que l’édile est socialiste…). Mais surtout, le mail indique que la conférence pourra se tenir sitôt les élections départementales achevées, lorsque la fameuse réserve électorale (nouvellement appliquée aux bâtiments) ne posera plus problème. A partir du 30 mars, Olivier Vial pourra donc aller briser la neutralité des services publics sans problème. Tout est bien qui finit bien, non ? À moins que le juge des référés n’oblige le président de l’Université de Lorraine à retourner sur les bancs de sa fac de droit.

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