Reportage à Lons-le-Saunier

 

Marine Le Pen peut plastronner sur le thème « nous sommes le premier parti de France », il y a encore des lieux, en France, où son implantation connaît quelques difficultés. Ainsi, dans mon Jura natal, la fédération frontiste locale a dû repartir de zéro. Marine Le Pen n’a certainement pas dû apprécier que ses cadres n’aient pas pu boucler la moindre liste dans un département où elle obtient pourtant un score présidentiel très honorable, comme dans tout l’Est de la France. Ainsi, c’est à un jeune homme de 27 ans ayant passé son enfance dans le département mais devenu en mars dernier conseiller municipal à Belfort que l’avenir de la fédération jurassienne a été confié. Thibaut Monnier, par ailleurs cheville ouvrière du collectif Audace, succursale « Entreprises » du Rassemblement Bleu Marine, est aidé dans sa tâche par Christian Bourgeois, vieux de la vieille du FN local et retraité de la grande distribution. Ce duo remplace le couple (à la ville, comme en politique) Jean-Pierre Mougey-Geneviève Fraisse, débarqué pour les mauvais résultats évoqués plus haut.

Afin de donner un nouveau souffle à la fédération jurassienne, Thibaut Monnier avait donc décidé de faire venir Marion Maréchal-Le Pen pour lancer la campagne des élections départementales. Quoi de mieux, en effet, pour mobiliser les militants locaux, que cette tête d’affiche, la mieux élue au comité central, dont Thibaut Monnier semble assez proche, tant sur les thèmes sociétaux que sur l’approche économique ? Arrivé avec un peu d’avance au parc des expositions de Lons-le-Saunier, on m’explique, ainsi qu’aux autres représentants de la presse présents sur les lieux que « Marion » aura beaucoup de retard, car elle est « victime de retards ferroviaires », selon Thibaut Monnier, ou plutôt, « parce qu’elle a loupé son train », selon son alter ego Bourgeois, qui ne s’embarrasse pas de versions officielles. La conférence de presse, prévue à 19h30, aura donc lieu sans la vedette du jour, mais on nous promet –juré, craché- que MMLP nous consacrera un peu de temps après son discours devant les militants. La conférence de presse est surtout consacrée à des sujets locaux. Monnier est ambitieux. Il explique que la volonté, c’est de « prendre le département ».  Mais on s’aperçoit bien vite qu’il se heurte non seulement aux mêmes difficultés de recrutement de candidats que ses prédécesseurs, mais que le nouveau mode de scrutin, concocté par Manuel Valls du temps où il occupait Beauvau, lui facilite encore moins la tâche. Ainsi, il faut maintenant trouver pour chaque canton (dont le nombre a certes été divisé par deux), deux hommes et deux femmes, un titulaire et un suppléant de chaque sexe. Pour les hommes, ça avance plutôt bien. Mais pour les femmes, on ne se bouscule pas au portillon. Le duo dirigeant mise sur l’exemple de Marion pour réussir à susciter des vocations féminines dans l’assistance du soir. Mazette ! Elle n’est pas encore arrivée, et ils lui mettent la pression, à la jeune parlementaire ! D’expérience, on sait que ce n’est pas dans ce genre de réunion publique que poussent miraculeusement des candidates. Et encore faut-il s’assurer que ce soit de bonnes candidates, pas de celles qui, comme dans les Ardennes, défraient la chronique. Bref, pour vous la faire courte, nous n’avons pas eu l’impression que les candidats UMP et PS auront beaucoup de soucis à se faire dans le Jura pour ces élections départementales, le FN n’ayant pas les moyens constituer ces quatuors paritaires dans plus de deux ou trois cantons. Ajoutons que les relations entre la nouvelle direction jurassienne et la coordinatrice régionale du FN, la nouvelle députée européenne Sophie Montel, n’ont pas l’heur d’être particulièrement au beau fixe. Ni Montel, ni Mougey, dont elle est proche, n’étaient présents à Lons vendredi soir. Le FN connaît à l’évidence des dissensions locales qui risquent fort de mobiliser l’attention de son nouveau secrétaire général Nicolas Bay au moment de la constitution des listes pour les élections régionales. Quand on leur parle des bonnes chances de Sophie Montel de prendre en février la circonscription laissée libre par Pierre Moscovici dans le nord du Doubs, Monnier et Bourgeois ont une mine navrée, sans que l’on sache s’ils ne croient pas une seconde à notre analyse ou si, au contraire, ils y croient avec dégoût.

Mais place à Marion Maréchal-Le Pen, puisque c’est elle l’héroïne d’un soir à Lons-le-Saunier. La députée du Vaucluse arrive peu avant 21 heures. Monnier, Bourgeois, et le maire d’un petit village qui a annoncé son ralliement au RBM après les élections municipales, ont joué auparavant aux vedettes américaines devant une assistance d’un peu moins de trois cents personnes, ce qui n’est quand même pas si mal pour un soir de décembre à Lons. « Marion » n’a pas à forcer son talent pour séduire l’assistance. Elle a, semble-t-il, préparé ses notes dans le train. Son discours dure un peu plus de trente minutes. Elle y enchaîne citations de Robert Surcouf (en citant son nom), de Jean Guitton (mais qu’elle attribue à Gustave Thibon) et de Coluche (sans citer son nom – « quand on entend c’qu’on entend etc. »). Elle évoque « ces nouveaux résistants », ces maires qui ne veulent pas retirer leurs crèches des halls de mairie, la laïcité qui, telle qu’elle est appliquée aujourd’hui, constitue à la fois une « arme de destruction massive de l’identité française » et un « cheval de Troie du communautarisme ». Elle dit vouloir reprendre à son compte cette citation de Marine Le Pen à propos de l’Histoire de France : « De Jeanne d’Arc à Robespierre, je prends tout », avant de dénoncer les errances anti-chrétiennes de la Terreur moins de quatre-vingt-dix secondes plus tard. Elle se lance ensuite dans un long dégagement sur la réforme du droit d’asile, en discussion à l’Assemblée nationale. Elle évoque le démantèlement de l’Etat-Nation, par l’UE bien entendu, mais aussi par la réforme territoriale, avec des super-régions qui traiteront directement avec Bruxelles mais organiserons aussi des alliances transfrontalières. Et le discours se termine. Une petite décoration d’un ancien du fameux service d’ordre –le DPS-, une Marseillaise a capella de l’assistance et Thibaut Monnier tient sa promesse : il conduit Marion Maréchal-Le Pen dans la petite salle de presse où nous la rejoignons.

La jeune femme est courtoise. Elle nous prie sincèrement de l’excuser pour son retard. Nous l’excusons d’autant plus facilement qu’elle revient tout juste du Bureau Politique du FN. Bien que n’ayant pas pu y assister jusqu’au bout pour prendre un train qu’elle a tout de même fini par rater, elle pourra ainsi nous donner des informations sur la teneur des échanges. Nous ne manquons d’ailleurs pas de l’interroger sur le cas de Sébastien Chenu, ancien délégué de l’UMP à la Culture, que Marine Le Pen a pris dans ses filets, souhaitant lui confier la même mission pour le RBM. La députée ne manque pas de franchise : les débats ont été « très animés » à ce sujet. Elle est visiblement de celles et ceux qui ne voyaient pas d’un bon œil le fait que Chenu fut naguère le représentant « d’une association à but communautariste », GayLib. Alors que le site de Valeurs actuelles avait annoncé dans la journée que la prise mariniste ne serait pas nommée délégué à la Culture, MMLP nous annonce qu’elle le sera néanmoins, en binôme avec Gilbert Collard. Le cas Chenu étudié, nous passons à l’affaire de l’outing de Florian Philippot. « Ignoble », dit-elle, reprenant les mêmes arguments que sa tante sur la trop grande tolérance des magistrats dans ce genre d’affaires. « C’est la porte ouverte à toutes les fenêtres », ajoute-t-elle. Je me demande  alors si elle a conscience de reprendre la formule de Dov, incarné à l’écran par Gad Elmaleh, dans La vérité si je mens 2. On passe ensuite à la politique. On évoque ses différences d’appréciation en matière économique avec Philippot. Elle répond qu’il s’agit d’une « belle histoire inventée par les journalistes » –pas forcément moi (Mais si ! J’en fais bien partie !) qui ne repose finalement sur pas grand-chose. On insiste. On explique avoir suivi attentivement son intervention et l’avoir entendue dire qu’elle était « libérale à l’intérieur, et protectionniste vis-à-vis de l’extérieur », et qu’il ne s’agit pas vraiment du même discours que celui de Philippot qu’on entend souvent à la télé. Mais elle persiste, et elle signe. Tout le monde est d’accord sur le programme économique du FN ; il n’y a pas deux lignes ; circulez, y’a rien à voir ! Si on a cette impression, c’est parce que l’un évoque d’avantage les thématiques monétaires et de souveraineté et que l’une s’exprime plutôt sur les thèmes sociétaux. Justement, le sociétal ! Il n’y aurait pas aussi des différences ? Pas du tout ! Tout le monde a voté pour l’abrogation de la loi Taubira, « Florian compris » ! Tout n’est que stratégie, notamment sur la volonté de participer ou non aux manifs pour tous , mais aucune différence sur le fond. On aurait bien voulu creuser davantage sur ce thème. Après tout, le fait de manifester ou pas, pour la présidente du FN, c’est une décision de fond autant qu’une option stratégique. Mais on ne pourra malheureusement pas le faire. Notre tour est passé. France 3 Franche-Comté a droit à son entretien aussi. Mais ce n’est partie remise.

Sur l’autoroute en direction de Besançon, je m’interroge à propos du « phénomène Marion Maréchal-Le Pen ». Je comprends que son commerce agréable, sa courtoisie, son absence permanente d’agressivité, au contraire de bien des dirigeants du FN, font recette aussi bien chez les militants que chez les journalistes, qui la préfèrent souvent au vice-président du FN. Pourtant, ceux qui voient déjà en elle un contrepoids au duo Marine-Philippot font sans doute erreur. Bien que travailleuse, elle manque encore, sur certains dossiers, de bagage et de précision. Mais, fine mouche, elle est consciente de ce retard, justifié par son jeune âge. Elle en tient habilement compte. C’est sans doute à cette aune qu’il faut lire son esquive quand on l’interroge sur ses différences idéologiques avec sa tante et Philippot. C’est effectivement ce qu’elle a de mieux à faire. Pour l’instant.

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