Lettre ouverte à Vincent Peillon

Une fois n’est pas coutume, nous accueillons sur Antidote, une plume extérieure. Derrière Jules Savagnin se cache un étudiant de nos amis. Nous publions avec plaisir sa lettre ouverte à Vincent Peillon.

Cher M. Peillon,

Vous ne me connaissez pas, je suis l’un de ces milliers d’étudiants de fac qui va chaque jour en cours, passe ses partiels, espère valider son année et réfléchit à son avenir.
Depuis la classe de cinquième, je souhaite devenir enseignant par amour des lettres, de la littérature, de notre langue et de la culture en général. Animé de cette passion, je souhaitais la transmettre aux prochaines générations, comme de brillants professeurs m’ont transmis leur goût pour leur discipline.
Je crois en la force émancipatrice de l’école, en sa capacité de promotion de tous, jusqu’aux plus modestes. Ou, plutôt, devrais-je dire : j’y croyais. Car lorsque je vous regarde vous agiter dans tous les sens, monter les enseignants les uns contre les autres, défendre des lubies complètement déconnectées des réalités de l’enseignement, les bras m’en tombent.

À votre arrivée au ministère de l’Éducation nationale, j’étais sans doute trop confiant. Votre parcours d’agrégé de philosophie, spécialiste de Ferdinand Buisson, me rassurait : enfin un enseignant à la tête du ministère, enfin un passionné d’école, me disais-je. Vous ne pouviez que mieux faire que les DRH et autres saltimbanques vous ayant précédé, qui se sont fait une joie de détruire l’école de la République. Mais j’ai vite déchanté. Vous vous êtes en effet empressé d’appliquer le programme égalitariste ultralibéral dont toute une partie de la gauche rêvait depuis des années.

J’ai manifesté avec les enseignants et les étudiants de prépa quand vous avez décidé d’en faire les bêtes noires de l’Éducation nationale. Si je suis sorti dans la rue, c’est que la classe préparatoire, son fonctionnement et ses exigences, m’ont permis d’arriver là où je suis aujourd’hui. Ne vous en déplaise, les prépas ne sont pas des repaires de nantis qui pratiquent avec ardeur la cooptation et entretiennent la haine du pauvre cantonné au BEP maçonnerie. Fils d’ouvrier de l’est de la France, poussé par mes parents conscients du rôle capital de l’instruction, je suis aujourd’hui monté à Paris pour m’épanouir intellectuellement après mon passage en classe prépa. Demain, l’agrégation pourrait être votre prochaine cible puisque vous la jugez sans doute tout aussi élitiste et anachronique que les prépas.

Mais ce n’est pas tout. Vous avez décidé de réformer le CAPES pour en faire un vague brevet de pédagogie et d’animation de classe quand il faudrait que les professeurs excellent dans leur discipline pour qu’ils recouvrent leur autorité. En lettres, la connaissance disciplinaire compte seulement pour un tiers de la note finale, cela témoigne d’un grave mépris pour le savoir.
Je me suis étranglé quand vous avez décidé de supprimer manu militari le CAPES de lettres classiques, accompagnant ainsi la mort des humanités classiques dans le secondaire et bientôt en fac. Par vos réformes, vous aggravez les pires inégalités : les élèves d’Henri-IV et Louis-le-Grand perfectionneront encore leur latin dans quinze ans alors que « les pauvres de banlieue » seront réduits à organiser des « itinéraires de découverte » sur le « vivre-ensemble » et la sécurité routière.

Tout occupé à promouvoir l’école du numérique, vous refusez mordicus de vous attaquer aux 20% d’élèves de sixième qui ne savent ni lire ni écrire, aux largesses de correction à tous les examens, au passage automatique dans la classe supérieure.
La liste de vos méfaits est encore longue. Ne parlons pas du gel de l’avancement des fonctionnaires, piste que vous avez évoquée avant de la démentir face à la bronca du corps enseignant.

Du reste, je sais que vous avez une carrière politique à mener. J’ignorais néanmoins que le tribut à payer pour atteindre Matignon était si lourd. Soit dit en passant, si vous en avez l’occasion, recommandez à François Hollande de ne pas choisir la jeunesse comme priorité de son second mandat, elle a déjà assez souffert de votre « refondation ». Vos brillantes saillies sur la laïcité ou les principes fondateurs de la République n’y changeront rien. De grâce, cessez de rendre hommage à Jules Ferry, il s’est déjà assez retourné dans sa tombe…

Une petite lueur au fond de moi me pousse à me battre pour aider les enfants, notamment les plus défavorisés. J’aurais aimé leur faire découvrir les humanités et la grande culture, éléments certes inutiles au quotidien mais indispensables au développement de l’esprit. Hélas, l’école ne le permet plus. Je démissionne donc de l’Éducation nationale avant même d’y être entré.

 

5 commentaires

  1. J’aurais été incapable de dire aussi bien que cet étudiant.
    Alors, ne disons rien d’autre que : bravo pour le contenu de cette lettre ouverte !

  2. J’aimerais vous faire part de mon écrit sur l’école, disponible à la demande. Voici le début :
    Un projet pour l’Ecole (Extraits- 1 page sur 68)

    Quand on commence ce travail d’observation, une première surprise : tout le monde est concerné et pourtant il n’y a guère de consensus sur le diagnostic.
    Chacun mesure les résultats de l’école tant publique que privée à l’aune des objectifs qu’il assigne à l’éducation. Ces visions sont le plus souvent parcellaires et partant ont peu de chances de se rencontrer.
    On a l’intuition que cela ne va pas bien, on accuserait bien les profs, le système, la discipline…, mais alors quoi proposer ? On ne dispose pas de vision prospective, on ne discerne pas de chemins adaptés à proposer et approfondir.
    En particulier, la question de la pédagogie fait débat. Pour l’apprentissage de la lecture, faut-il mélanger méthode globale et syllabique ? Pour l’apprentissage du calcul faut-il privilégier l’apprentissage du résultat, ou plutôt la logique du raisonnement pour permettre de reproduire le processus dans d’autres contextes ? Faut-il strictement adosser l’histoire à la chronologie ? D’une façon générale faut-il se contenter de transmettre les connaissances déjà acquises par nos aînés, ou faut-il rechercher les outils qui permettent d’apprendre à apprendre ?
    Débats sans fin qui justifient que l’on ne fasse jamais rien, ou à la rigueur des ajustements à la marge, mais sans toucher à l’essentiel.
    Mon propos n’est pas de tout parcourir, mais de donner des clés, d’inviter à réfléchir simplement. Que cherche-t-on à acquérir ? Si l’on sait cela, on aura les solutions. Il suffira d’être le plus efficace possible.
    Une grande difficulté, ou finalement peut-être un atout, est que ces réflexions viennent à un moment où le monde est en crise, en forte mutation. Les discours et propositions des politiques n’accrochent plus. Personne n’a plus de prise sur rien. La seule voie raisonnable dans ces conditions est de revisiter les valeurs originelles de notre civilisation occidentale et de les replacer en première ligne.

  3. Egalitarisme ultralibéral c´est comme l´eau de mer douce celà n´existe pas. par contre égalitarisme ultrasocialiste celà existe……..

  4. Rien à ajouter. Tout est dit et je suis plus qu’heureux d’être sorti de cette pétaudière : parce que c’est fatiguant de passer la quasi totalité de sa carrière (41 ans ! ) à ramer à contre-courant. Relisez donc Le Poison rouge dans le Perrier de Despins et Bartholy paru en 1983 et L’Enseignement en détresse de Jacqueline de Romilly, en 1984. Tout y était. Et ce n’est pas ce pauvre Peillon qui pouvait y changer quoi que ce soit !

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