Malheureusement, Martine Aubry ne me lit pas. Si elle avait lu mon dernier billet consacré à son parti, elle n’aurait pas écrit à Manuel Valls en lui posant un ultimatum hier.

Le député-maire d’Evry ne ménage effectivement pas sa peine effectivement pour critiquer son parti, dénoncer son anti-sarkozysme primaire, et même réclamer l’abandon du terme « socialiste ». Mais comme critiquer la maison socialiste est un sport fort pratiqué ces temps-ci par tous ses habitants, on peut effectivement se demander, devant l’oukaze de « Titine »[1. « Arrête tes attaques ou pars] : pourquoi lui ? Pierre Moscovici n’est guère plus tendre avec la rue de Solférino lorsqu’il parle de « parti vermoulu ». Quant à Ségolène Royal…

Devant toutes les ambitions et les écuries présidentielles qui se multiplient, elle aurait choisi de menacer celui dont le nom sortirait du chapeau devant un huissier du VIIe arrondissement appelé à la hâte ? Certainement pas. Le choix de Manuel Valls n’est pas dû au hasard. Martine Aubry, en ciblant le jeune ambitieux francilien, ne joue pas l’équipe, mais sa propre carte.

Si elle avait visé Pierre Moscovici, elle fragilisait sa position puisque l’autre snaillepeur fait partie de sa majorité à Reims. Si elle attaque Ségolène Royal, elle rallume la guerre des dames et valorise sa concurrente la plus coriace. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il fallait qu’elle attaque une personnalité classée à la droite du parti. Moscovici et Royal exclus pour les raisons qu’on vient de préciser, il ne restait que Manuel Valls.

Car Martine Aubry doit continuer de faire perdurer l’illusion de son positionnement à la gauche du parti socialiste. Et pour cela, quoi de mieux que d’attaquer une personnalité qui assume son positionnement à l’aile droite ? Illusion parce que bien qu’élue sur le refus de l’alliance avec le MoDem[2. Alors qu’elle la pratique à Lille, comme lui faisait justement remarquer son adversaire poitevine au congrès de Reims], bien que Philippe Alexandre lui ait forgé dans sa « dame des trente-cinq heures » une image de tenante de la gauche « archaïque », Martine Aubry est aussi à droite que Manuel Valls, Pierre Moscovici ou Ségolène Royal sur les sujets économiques et sociaux. Elle tient autant qu’eux, sinon davantage, au carcan imposé par L’OMC et Bruxelles, refusant de toutes ses forces le protectionnisme. Jean-Luc Mélenchon, d’ailleurs, ne s’y est pas trompé en l’envoyant joliment balader l’autre jour. La Gauche du parti pointe son nez. C’est elle qui tient Martine Aubry à bout de bras. Fabius et Hamon pourraient bien décider un jour qu’Aubry ne leur est plus utile. Si elle attaque Valls, c’est surtout pour ne pas se faire exécuter prochainement par ces deux là. Elle tente donc de les supplanter complètement. L’un a un côté « has-been », l’autre est sans doute trop jeune pour penser à la présidentielle prochaine. De toute manière, l’aile droite est non seulement minoritaire parmi les adhérents et sympathisants, mais elle est davantage embouteillée par les candidatures à la candidature. C’est avec une image gauchie qu’Aubry pense s’imposer et pas autrement. Sauf que.

Sauf qu’un jour, il faudra bien passer aux propositions. On l’a bien vu ces dernières semaines lors des élections européennes, Martine Aubry a bien du mal de s’affranchir de ses réflexes naturels, européistes et libre-échangistes. Et tout porte à penser qu’elle ne s’en affranchira jamais. Sa stratégie personnelle ne sert en fait que les barons locaux qui sont ravis à l’idée que le PS ne perce jamais ses abcès idéologiques et que n’aboutisse jamais la nécessaire recomposition de la gauche qui passe par l’éclatement du PS en deux blocs homogènes. Le hara-kiri se poursuit mais le Samouraï n’est pas bien doué.

14 commentaires

  1. Oui, belle et fine analyse, comme d’habitude, baron David ! Mais cela ne nous dit rien de l’état de décomposition avancé de l’appareil et du parti. Martine A. ne contrôle plus que le taxi qui la conduit vers la gare du Nord. Vous avez raison pour Fabius et pour l’actuel bafouilleur qui se prétend porte-parole, mais alors ? Il me semble que le PS recule pour mieux se faire sauter…

  2. L’éclatement du PS est la meilleure solution pour que la Gauche revienne au pouvoir. Une aile sociale démocrate boufferait le MoDem et Europe écologie. Une aile gauche renforcerait le Parti de Gauche et le PCF et tuerait le NPA. On pourrait arriver avec deux ensembles, l’un à 25 l’autre à 15, qui permettraient de battre facilement l’UMP au second tour, dépourvu que serait ce dernier en réserves de voix.
    Mais les barons ne veulent pas de cette solution. C’est lâcher la proie pour le vide. Le PS leur a donné leurs fiefs. C’est pourquoi ils soutiennent Aubry et le consensus mou.

  3. Certes, David, mais qui piloterait l’ensemble social-démo ? Vous savez mieux que moi qu’en ce moment même, le parti socialiste se heurte aux rebuffades ironiques de tous ceux qu’il approche. Tant que Martine Aubry, qui traîne après elle la plus mauvaise réputation (ministre dévoué du mauvais perdant Jospin), voudra siffler la fin de la récréation, les vieux enfants socialistes feindront de n’entendre rien. La politique est loin d’être une science exacte, mais je le sens mal, l’avenir de l’appareil «solférinesque». Vos interventions me sont un bonheur.

  4. Il est vrai que s’attaquer à VALLS est facile, car contrairement à ROYAL et à un degré moindre MOSCOVICI, il représente au PS ce que représentait auparavant BOCKEL c’est à dire moins de 1% des adhérents.

    Pourtant, je trouve qu’AUBRY a bien fait de le reprendre, car médiatiquement il pèse. Que serait ce moderne sans le PS ?

    Je ne vais dons pas blamer Titine de faire preuve d’un peu d’autorité !

    Après, je ne crois pas que la Gauche du PS tienne Titine. Je crois que plus personne ne tient quelque chose. Des accords se font pour garder des fiefs, des charges,mais les dissensions sont tellement importantes que la réflexion, le débat, l’élaboration d’un projet est tout bonnement actuellement impossible.

  5. Lejeun : «Après, je ne crois pas que la Gauche du PS tienne Titine. Je crois que plus personne ne tient quelque chose».
    Votre opinion rejoint mon impression et les quelques informations qu’on obtient ici et là. Bien sûr, il y a, tapi dans l’ombre, DSK, qui attend qu’on fasse appel à lui. Un récent sondage d’opinion (!?) voudrait nous faire croire qu’il est le plus populaire auprès des Français. Et Lionel Jospin, comment va-t-il ?

  6. Lionel ? Il est à VICHY… au rassemblement de l’équipe de France de Basket-Ball.

    Tout le monde est aux aguets, à fleurets mouchetés au PS. C’est actuellement que se constituent les listes pour les Régionales. On va voir comment chaque courant va être servi et selon, les couteaux sortiront ou pas.

    DSK, ROYAL, MOSCOVICI, VALLS, AUBRY…. et moi, je mettrais bien une petite pièce sur VEDRINE (qui ne déplairait pas notre hôte). Il aurait l’avantage de redonner une certaine envergure à la fonction de Président de la République et peut-être de créer une dynamique Républicaine.

  7. Non seulement Védrine ne me déplairait pas mais je pense que cela pourrait aller beaucoup plus loin…

  8. « Martine Aubry a bien du mal de s’affranchir de ses réflexes naturels, européistes et libre-échangistes. »

    Exactement ! en version freudienne (beurk mais tant pis), ça donne : elle ne peut pas tuer le père

  9. c »est pas la première fois que le ps se divise,
    ce qui me fait sourire,si,si
    c »est l »aile droite,l »aile gauche,?
    vu l »état du pays en 2012,c »est soit un consensus nationale,
    ou un homme comme DSK qui va être capable de rassembler une majorité de français
    ce qui compte avant tout se sont les électeurs,et c »est le problème,
    de gauche,de droite,du centre,le peuple en a marre de ces pantins qui mentent,comme il respire,ce qui va finir pars favoriser les extrêmes
    attendons les régionales,car le plus dur est a venir,,,,,

  10. Védrine, l’homme sage, qui ne fait pas de vague, que l’on n’entend pas beaucoup hélas. Fait-il profil bas pour mieux ressurigir en 2012 ? Pourquoi pas ?

    DSK, je ne sais pas. Il est loin en ce moment. Il doit se marrer un peu.

    Sinon comme toujours je suis d’accord avec votre analyse, cher David.

    Mais la question est à quand un nouvel Epinay ?

  11. Analyse fine très véridique car Aubry ex-chouchou de Jean Gandois ne cesse de nous la ramener en jouant la gauchiste de congrès, ce qui me fait hurler de rire.
    Sinon concernant l’éclatement salvateur du PS, s’il fallait réflechir ainsi il n’ y aurait aucune formation politique digne de ce nom dans le monde (pas même le PC chinois):le débat sur le travail du dimanche nous rappelle quand même que l’UMP demeure un parti avec de multiples chapelles (sauf qu’il n’admet pas les ocurantqs), faut-il préconiser son éclatement entre un bloc gaulliste, vieille france et un bloc orléaniste alors que ça lui réussit si bien d’être un appareil gaulliste avec un logiciel orleaniste?Même chose pour le PS qui sera toujours ainsi, la question est de trouver le point d’équilibre, Mitterrand sut le faire, Jospin aussi. Aubry non car elle est un artefact commode pour l’aile gauche du parti. Même chose aux Etats-Unis dans les deux partis majoritaires donc….

  12. Oui,tout le monde depuis longtemps se demande pourquoi le PS n’a pas deja eclate.
    Mais creer un nouveau parti est materiellement tres difficile:
    Il faut rappeler que le PS a un « tresor de guerre »: des biens,des gens,des associations,bref,un capital dont il se sert pour exister.Quitter le PS c’est perdre d’un coup l’appui de toute cette infrastructure.

    Pour cette raison,et pour d’autres ideologiques dont je ne parle pas ici,nous assistons surtout a des mini-putshs,des tentatives d’abordage pour s’assurer le controle les organes dirigeants (et de leur caisse ! car l’aventure,sans argent,ca ne va pas loin..)

  13. Quelqu’un en a appelé à Hubert Védrine. Mais c’est bien sûr ! Pourquoi ne dit-il rien, pourquoi ne veut-il rien en apparence ? Cet homme, le prestige dont il dispose auprès de certains français influents mais discrets, sa puissante intelligence des rapports de force, son sang-froid, sa capacité à contrarier les esprits forts, son inconfort intellectuel, tout cela le désigne à nos yeux comme le plus compétent des socialistes. Où est-il ? Son temps viendra-t-il ?

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