Elle n’en a jamais exprimée aucune

 

Christiane Taubira a donc continué à parler. Et a dû être contrainte de démissionner. Manuel Valls aurait sans doute souhaité son départ dès le 23 décembre dernier, comme il avait obtenu le scalp d’Arnaud Montebourg fin août 2014. François Hollande tardait à le lui offrir. Pourtant, la situation était intenable dès ce jour où elle annonça depuis l’étranger son opposition à la proposition présidentielle de constitutionnalisation de la déchéance de nationalité. Elle avait mangé publiquement son chapeau et nous avait demandé de circuler, prétextant qu’il n’y avait rien à voir. Puis elle a remis le couvert, sachant certainement que son destin était scellé. Peu importe en fait de savoir si Christiane Taubira a préféré ne pas attendre le remaniement prévu en février afin de bénéficier d’une séquence médiatique en majesté, ou si c’est le Président qui a décidé de faire un exemple politique public. Peut-être d’ailleurs les deux protagonistes se sont-ils mis d’accord en ce début des discussions parlementaires sur la révision constitutionnelle ; voir la Garde des sceaux assister aux débats depuis le banc des ministres, ou ne pas venir dans l’hémicycle, alors que d’autres défendraient un texte que sa mission la conduisait à porter, c’était une situation politique intenable.

En tout cas, Christiane Taubira est désormais dehors. Entrera-t-elle au Conseil constitutionnel le mois prochain ? C’est bien possible. Notre camarade Jérôme Leroy lui indique dans ces colonnes un autre chemin. Il souhaite la voir fédérer la gauche de la gauche, inspirer un Syriza ou un Podemos à la française qui – soyons fous – parviendra à se hisser au second tour de la présidentielle et à battre Marine Le Pen. Passons sur les rapports de force politiques et la difficulté de la gauche hors PS à passer non seulement devant François Hollande, mais aussi devant le candidat issu de la primaire de droite et concentrons-nous sur le premier obstacle : Christiane Taubira est-elle the right woman in the right place ?

Car s’il doit y avoir un Syriza à la française, s’il doit y avoir un Tsipras français, ce sont les thèmes économiques qui doivent primer sur tous les autres. Et y a-t-il quelqu’un dans ce pays capable de nous dire quelles sont les idées économiques de Christiane Taubira ? On nous raconte qu’elle était en osmose avec Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, qu’elle soutenait les frondeurs, mais a-t-elle jamais donné un avis sur les politiques d’austérité, alors qu’elle a jugé devoir se différencier 18 mois plus tard sur la question de la déchéance de nationalité qui touchera un nombre très limité de personnes ? L’ex-ministre de la Justice est au contraire symbolique du glissement de la gauche française du social vers le tout-sociétal. En lisant le texte optimiste de Jérôme, j’ai cru à une faute de frappe. Il écrit : « Ce qu’elle a révélé, c’est l’existence d’une France qui n’avait toujours pas, au bout du compte, digéré la Révolution Française, le Front Populaire, l’émancipation de la femme après-guerre. » J’ai bien cru lire « réveillé », ce qui n’aurait pas été davantage infidèle à la réalité, mais je suis sans doute un peu taquin. Revenons à l’économie. Christiane Taubira va-t-elle nous expliquer dès demain qu’il faut changer toute la politique économique du gouvernement ? Va-t-elle expliquer dès demain, à l’instar d’Arnaud Montebourg, qu’il faut tenir un autre discours en direction de Berlin ? Va-t-elle combattre le TAFTA ? Va-t-elle regretter les orientations du Parquet concernant les ouvriers de Goodyear ? Si ce n’est pas le cas, peu importe en fait qu’elle n’entre finalement pas au Conseil constitutionnel. Elle ne pourrait en aucun cas fédérer quoi que ce soit. Je reconnais qu’il peut-être injuste de lui reprocher son vote de l’investiture d’un Premier ministre symbolique de l’orthodoxie économique de droite, Edouard Balladur, il y a 23 ans. Comme il peut aussi être injuste de lui reprocher d’avoir été réellement lancée sur la scène politique nationale par Bernard Tapie. Il n’en reste pas moins que Christiane Taubira, si vraiment elle souhaite jouer un rôle à la gauche de la gauche, devra très rapidement affirmer ses convictions personnelles sur le plan économique.

Admettez qu’il serait plutôt cocasse de sa part de ne pas le faire, alors que ceux qui espèrent en elle saluent depuis ce matin « la femme de conviction »…

2 commentaires

  1. Article très juste.
    En dehors du sociétal, quelles sont les positions de Christiane Taubira ? Particulièrement dans les domaines économique et social.

    Que la « gauche de la gauche » en ait fait une « icône » montre qu’elle n’a plus grand chose à voir avec ce qu’elle était (particulièrement le PCF) dans les années 70.
    À l’époque, pour elle, l’économique et le social l’emportaient largement sur le sociétal (d’ailleurs le PCF n’avait pas été soixante-huitard).

    David Desgouilles ne veut pas trop insister sur le fait que Mme Taubira a :
    – Voté la confiance au gouvernement Balladur en 1993.
    – Été sur la liste Tapie aux Européennes de 1994 (en compagnie de Noël Mamère qui est aussi maintenant « plus à gauche que moi tu meurs »).

    J’ajouterai que Mme Taubira a été élue en 1993 député de la circonscription de Cayenne au 2e tour contre un candidat socialiste guyanais (parti soutenu par le PCF). Notons aussi qu’en 1989, Mamère était élu pour la 1ere fois maire de Bègles, battant une municipalité communiste sortante, avec les voix de la droite.

    Les actuels fans de Taubira parleront peut-être « d’erreurs de jeunesse ». Argument absurde : en 1993-94, elle était déjà quadragénaire.

    Quand on connait le passé, on peut sourire en voyant ces gens « très à gauche » idolâtrer Taubira.
    Mais on peut aussi sourire face à l’hostilité de « Les Républicains » à son égard.

    En effet, Taubira a dit a plusieurs reprises (particulièrement à « On n’est pas couché » entre 2008 et 2010) que Sarkozy, dans le cadre de son « ouverture », lui avait proposé en 2007 le poste de … Garde des Sceaux !!
    Sarkozy n’a jamais démenti.

    Décidément, l’incohérence politique est grande à gauche et à droite.

  2. Faute inadmissible chez l’ancien instituteur que je suis.
    Il faut écrire : « Taubira a dit à plusieurs reprises » (ne pas oublier l’accent sur le « à » avant « plusieurs reprises »).

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