Comment faire un énorme cadeau au FN

 

Dix secondes. C’est le temps qu’il a fallu à Bruno Le Maire pour évoquer le Front national. Attablé avec les autres journalistes dans un restaurant de Vesoul, quelques petites heures après sa déclaration de candidature, votre serviteur l’écoute expliquer à quel point la notion de nation constitue l’angle de sa campagne. Il n’invoquera pas la République. « Les gens » n’y croient plus. Elle n’a pas tenu ses promesses. Donc, il faut leur donner de la nation. Il est un peu plus 23 heures et Bruno Le Maire est en pleine séance de marketing politique. On pourrait être à Paris dans une agence de com’. Tout le monde a l’air de trouver ça normal. Les relances sont nombreuses. Jusqu’à ce que je lui pose la question : « Vous parlez de Nation, vous citez des thèmes qui s’y rattachent, la langue, la culture, l’autorité, mais vous ne prononcez jamais le mot « souveraineté » qui est pourtant intimement lié à la nation ».

C’est là que l’expression « Front national » est sortie de la bouche de l’ancien ministre. Comment une tête aussi bien faite, romancier talentueux de surcroît, associe si volontiers le concept de souveraineté au FN ? Comment peut-il avec autant de facilité faire ce cadeau à Marine Le Pen, alors qu’à nos portes, la souveraineté est l’enjeu d’un référendum, divisant les Tories au pays de Sa Gracieuse Majesté? Le tour de passe-passe est un peu daté. Bien des personnalités politiques, Président de la République en tête, ont aujourd’hui compris qu’il était suicidaire de laisser le monopole de la souveraineté à Marine Le Pen. Certes, ils expliquent qu’on la retrouvera en la partageant avec nos partenaires européens, mais ils savent qu’en laisser le monopole au FN constituait une erreur impardonnable. Bruno Le Maire n’en est pas encore là.

Le vote des cheveux blancs

Quelques heures plus tôt, dans une salle comble, Bruno Le Maire avait annoncé sa candidature à la primaire des Républicains. Confirmé plutôt. Sa candidature face à Nicolas Sarkozy à la tête de ce qui s’appelait encore l’UMP, obtenant un score flatteur, ne constituait qu’un marche-pied vers la compétition des ténors de la droite qui aura lieu en novembre prochain. Comme l’annonçait Alain Chrétien, le jeune et dynamique député-maire de Vesoul, le rassemblement de mardi soir était de « 323e meeting de Bruno Le Maire ». Probablement depuis mai 2012. Le Maire est optimiste. Il estime être dans les temps de passage, comme un coureur cycliste de contre-la-montre. « On va gagner », scande-t-il aux militants enthousiastes. Lorsqu’on monte sur sa chaise pour observer la salle, on aperçoit une étendue de cheveux blancs. Ce sont les cheveux blancs qui feront la décision dans cette primaire. Les jeunes votent déjà très peu dans les scrutins organisés par l’Etat, alors les compétitions organisées par les partis…

Le renouveau par la com

Bruno Le Maire leur tient le discours économique qu’ils veulent entendre : le libéralisme, la flexibilité, la fin des « privilèges » de la fonction publique. Lui-même a démissionné de celle-ci lorsqu’il a été élu député. Il porte cette décision en étendard, comme si elle était la marque d’un courage exceptionnel dont sont dépourvus nombre de ses concurrents. Comme si un ancien énarque devenu député prenait un risque énorme en quittant la fonction publique. Comme si, de la direction de cabinet d’un premier ministre à l’élection à la députation dans la circonscription offerte sur un plateau par Jean-Louis Debré, il n’avait pas eu le temps de se constituer un carnet d’adresses synonyme de parachutes plus confortables qu’un poste haut fonctionnaire au Quai d’Orsay. A la fin du meeting, je fais remarquer à l’un de ses proches que le discours ne se différencie guère de ses concurrents. Il m’est répondu que ses concurrents ont exercé le pouvoir, soit à l’Elysée, soit à Matignon. Le Maire serait donc davantage crédible qu’eux. En pleine crise agricole, on pourrait arguer qu’il a exercé des responsabilités éminentes et pris des décisions qui ont encore des conséquences aujourd’hui. Mais il n’est pas faux qu’au regard de la concurrence qu’il doit affronter, il représente davantage la nouveauté. Ou le renouveau (« c’est Bruno »), slogan inventé par les jeunes « Le Mairistes ».

Quelles sont les chances de Bruno Le Maire ? Si Nicolas Sarkozy va jusqu’au bout, il aura du mal à exister dans la bataille entre l’ancien Président et le favori des sondages, Alain Juppé. En revanche, si, découragé par les mêmes études d’opinion, Sarkozy jette finalement l’éponge, il est fort possible que la cote du maire de Bordeaux, gonflé à l’hélium antisarkozyste, se dégonfle. Et là, tous les espoirs seraient permis au troisième homme, Bruno Le Maire ou François Fillon. Depuis hier soir, il faut reconnaître que je crois beaucoup moins aux chances du premier. Les erreurs de ce lancement de campagne (confidences déplacées sur les relations avec son père, démenties par sa famille, pour ne citer que cela) et, last but not least, cette propension à faire cadeau de la souveraineté au FN m’ont plutôt refroidi.

Alors que j’étais de retour à la maison, une heure après ma rencontre avec l’homme du jour, j’étais alors interrogé : « Alors ? ». Je vous livre ici la réponse que j’ai faite : « Je pense qu’il ne sera pas Président ».

 

3 commentaires

  1. J’avais apprécié Bruno Lemaire lors d’un débat face à Najat Vallaud-Belkacem sur la réforme des collèges.
    Lemaire semblait connaitre le sujet, ce qui est trop souvent rare chez les politiques de droite.
    Il avait bien montré le caractère négatif de la réforme VB.

    Mais, ce qu’il a dit après avoir présenté sa candidature est, en effet, très conformiste.

    Samedi soir, il était à « on n’est pas couché ».
    Le début était décevant : conformisme libéral sur les questions économiques et sociales (comme les autres candidats LR) et allusions à ses relations avec son père qui ne m’intéressent pas.

    En revanche, j’ai beaucoup plus apprécié la 2e partie et ses positions (« gaulliennes ») sur la politique internationale.

    Paul Amar lui dit, avec raison, qu’il devrait se présenter à l’ensemble des Français et non aux primaires.

    Les primaires impliquent le conformisme.
    Car :
    – Tout candidat aux primaires de la droite devra se rallier à celui (ou celle) qui l’emportera, même si les désaccords de fond sont nombreux.
    – Idem s’il y a des primaires à gauche.

    C’est pourquoi N. Dupont-Aignan, d’un côté, et J.L. Mélenchon de l’autre ont raison de ne pas vouloir « jouer ce jeu » des primaires.

  2. Précisons que, dans la 2e partie de l’interview de Lemaire à « on n’est pas couché », j’avais apprécié ses positions sur la politique internationale, mais aussi ce qu’il disait sur la nécessité de connaitre nos racines.

    Bref, sur l’importance, dans l’enseignement, de l’Histoire, de la littérature, etc …

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