L’autre lundi à Ce soir (ou jamais !), les invités de Taddeï se penchaient sur la double affaire Marine Le Pen : son élection à la tête du FN bien sûr, mais aussi les sondages flatteurs qui l’ont saluée.
Inévitablement, sur un tel sujet, on a dû subir quelques banalités d’usage. Ainsi, des représentants de la gauche et de la droite se sont-ils livrés à leur traditionnel jeu de mistigri sur le thème : qui est responsable de la « montée du FN »? La « diabolisation » made in PS ou la « banalisation » modèle UMP ?
Passionnant débat, sauf qu’on y assiste depuis tantôt un quart de siècle. Tout laisse donc à penser que, face à ce “danger”, gauche et droite, qui ont alterné entre-temps aux affaires, ont préféré s’entre-dénoncer plutôt que d’agir… Sinon, c’est bien simple : il n’y aurait plus de FN ! et Frédéric Taddeï en eût été réduit à trouver un autre sujet pour son émission.
Hormis ce théâtre nô et quelques niaiseries déconcertantes, on aura quand même découvert ce soir-là une intéressante variété de points de vue en matière de marinologie.
Démarrage sur les chapeaux de roue avec l’essayiste incontrôlable Alain Soral, ancien du PC et du FN. Pour lui, les médias ont remis la fille Le Pen dans le jeu à une condition : qu’elle assume la responsabilité du combat anti-islamiste, lui-même fer de lance d’un « conflit de civilisations » voulu par « les juifs et les francs-maçons ». L’extrême droite, marionnette aux mains du lobby judéo-maçonnique ? Vertige quasi pascalien…
Plus consensuel, le sociologue Michel Maffesoli nous fait bénéficier de son érudition joviale. À partir du cas de la Marine, il élargit le débat au phénomène populiste, jusqu’à diagnostiquer unesecessio plebis. Foin de raison, le peuple veut de l’émotionnel !
Nous n’en aurons guère avec l’austère philosophe Bernard Stiegler, qui a de cette affaire une vision nettement plus “engagée” : « Le populisme industriel prospère sur la liquidation de la société par le capitalisme financier ultra-spéculatif. »
Le temps que l’on comprenne et Taddeï, le Hitchcock du casting, sort de sa manche un invité de dernière minute : le philosophe marxo-althussérien Jacques Rancière, qui va troubler tout le monde en tenant des propos de bon sens.
« Le mot “populisme”, dit-il, utilisé contre les peuples par les élites, ne peut rien vouloir dire, puisque sa fonction est précisément d’amalgamer ! » Quant au mot “démocratie”, il n’a guère plus de sens : « En fait de démocratie, notre système est confisqué par une toute petite minorité. » Bref une oligo-démocratie, comme diraient les hellénistes…
À deux reprises, je me suis surpris à opiner, non sans une certaine inquiétude : serais-je en train de virer sur le tard marxo-althussérien ? Décidément, le populisme, c’est dangereux, au moins comme sujet de conversation.
Publié dans Valeurs Actuelles, le 27 janvier 2011.