Grand moment de télé, mardi passé à Ce soir (ou jamais !) : les invités de Taddeï revenaient sur le triomphe d’Intouchables. En deux mois et demi d’exploitation, le film d’Éric Toledano et Olivier Nakache tutoie les vingt millions de spectateurs. Mieux : la critique est unanimement élogieuse, du Figaro au Monde en passant par Libé. Ici même (Valeurs actuelles no 3910), Laurent Dandrieu prédisait à ce film, dès le 3 novembre dernier, un succès « mérité par son enthousiasme, son rythme jubilatoire et son message d’espoir ».
Sur le plateau de Taddeï, on est plus partagé. D’emblée, André Comte-Sponville est excusé : le philosophe ne sort pas, même à 17 heures, et encore moins pour aller au cinéma ! L’humoriste ( ? ) Virginie Lemoine n’a pas vu l’œuvre non plus, mais elle s’enthousiasme de confiance pour cette histoire vraie, dont les deux protagonistes sont « juste admirables ».
Le vrai comique, c’est Philippe Sollers, qui déclare d’un ton pénétré : « Ce film est absolument superbe de bout en bout ! J’ai été bluffé… Cela dit, je ne l’ai pas vu ! »
Le plus sérieux, c’est Robert Ménard, qui, lui, a vu en famille cette comédie familiale et sait pourquoi il a aimé : « Une histoire vraie qui exalte les bons sentiments avec humour, c’est assez rare pour être salué ! »
Est-ce donc tout ? Ce serait mal connaître ce diable de Taddeï, qui passe la parole en dernier à Philippe Nemo – philosophe comme Comte-Sponville, mais trop rare à la télé, lui. Et notre aimable prof aux yeux bleus de se lancer, devant un parterre sidéré, dans une philippique contre ce film « insupportable » qui, sous couvert de bons sentiments, serait en réalité une « déclaration de haine à la France ». Ici, observe-t-il, « la bourgeoisie est constituée de gens ridicules et coincés, hypocrites et intéressés ; les petits Blancs sont moches, stupides et lâches ; quant aux flics, ils sont décrits comme des brutes et des benêts ».
La sortie fait son effet, et c’est au milieu des protestations et des lazzis que Nemo poursuit sa « petite analyse », comme il dit : « Ce qui triomphe dans ce film, c’est la culture des banlieues : le shit guérit, et la justice s’établit à coups de poing ; le héros blanc et riche ne trouve grâce que parce qu’il est handicapé, et la jeune femme dont Driss tombe amoureux est homosexuelle ! »
Face à cette crise de réactionarite aiguë, sur le plateau on suffoque ou on s’esclaffe, selon l’humeur. Seul l’excellent Robert Ménard tente de nouer le dialogue comme toujours, malgré un complet désaccord. Quant à l’ami Taddeï, il jubile à juste titre ! N’a-t-il pas réussi son coup : décoiffer le téléspectateur en lui proposant, avec la charge du capitaine Nemo, la seule critique droitière d’Intouchables disponible sur le marché ? Heureusement pour ces deux-là qu’aucune loi ne punit encore les crimes contre l’unanimité.
Publié pour Valeurs Actuelles, le 19 janvier 2012