Fini le ministère de la Parole : avant de songer à l’Elysée, le jeune Manuel devra faire ses preuves à Beauvau !
L’autre jeudi, Complément d’enquête consacrait son numéro de rentrée à Manuel Valls, l’affranchi. Rassurez-vous : il ne s’agissait pas de comparer le « premier flic de France » aux voyous du film de Scorsese… Ce titre résume seulement le nouvel état d’esprit de notre ministre de l’Intérieur tel qu’il ressort du documentaire. Le militant politique qui avait adhéré au Parti socialiste à l’âge de dix-sept ans se sent enfin émancipé de la discipline qui avait si longtemps bridé son ambition.
Depuis quatre ans au moins, Valls n’en fait plus mystère : il n’aspire qu’à l’Elysée, et le plus vite possible ! Mettez-vous à sa place : trois décennies à avaler des couleuvres dans les couloirs du PS, ça suffit ! Pour un homme de sa valeur, c’est même du gâchis… L’heure est venue de donner aux Français le meilleur président que la terre catalane ait porté.
Si c’est vrai, le documentaire de Benoît Duquesne tombe à point nommé pour apprendre à mieux faire connaissance avec notre futur de chef de l’Etat… Les témoignages de proches, de journalistes et d’adversaires (notamment dans son propre parti) concourent à dessiner le portrait d’un homme brillant, colérique et « dominateur » – comme dit Marie-Noëlle Lienemann, et comme suggèrent tous les autres… Nous voilà prévenus.
Quant à son parcours, il est marqué par « la ténacité dans la cohérence » – comme dira sans doute son affiche de 2017.
Fidèle à ses convictions socialo-libérales depuis la « deuxième gauche » rocardienne, Valls y a rajouté entretemps un solide volet sécuritaire, à l’attention d’une opinion de plus en plus inquiète à ce sujet.
Fidèle surtout à lui-même et à une foi inébranlable dans son « destin national », il a pour l’accomplir un plan audacieux : escalader la France par la face droite de la gauche.
Pour notre « humaniste à poigne », jusqu’ici tout va bien. En mai 2012, à cinquante ans à peine, Valls accède à l’avant-dernière marche de son ascension programmée : Beauvau. Cinq mois plus tard, il devient l’homme politique préféré des Français, séduisant à droite autant qu’à gauche.
Un seul problème : le ministère de l’Intérieur n’est pas le ministère de la Parole ! À ce poste, les Français attendent de lui des résultats, surtout dans une période où les problèmes de délinquance se retrouvent constamment sous les feux de l’actualité.
Difficile pour Valls de se défausser sur Taubira, Ayrault et Hollande – sous peine d’admettre qu’il ne sert à rien. Or les résultats tardent à venir, et on commence à le lui reprocher ! La semaine dernière, dans un sondage Ipsos publié par Le Point, il perdait pour la première fois depuis un an sa place de n°1 dans le cœur des Français.
Tel est le risque de sa stratégie du grand écart : tomber dans le vide, comme le soulignent aimablement tour à tour le filloniste droitier Eric Ciotti et la socialiste écarlate Marie-Noëlle Lienemann.
D’un autre côté, vous me direz, un homme qui a su réconcilier ainsi contre lui la gauche du PS et la droite de l’UMP doit être capable de tous les miracles…
Article publié dans Valeurs Actuelles, le 26 septembre 2013