L’invective en politique, des petites phrases aux gros mots en passant par Bernard Tapie…
Le titre du documentaire diffusé jeudi dernier sur LCP en résume assez bien l’objet : une anthologie de l’insulte des origines à nos jours et dans tous ses états. D’emblée, l’auteur se place sous la haute autorité de Freud, pour qui l’insulte est le fondement même de la vie en société : « Le premier individu à jeter une insulte plutôt qu’une pierre est le fondateur de la civilisation ».
Suivent une patarafée de spécialistes en tous genres, chargés de nous faire explorer les bases dudit fondement. À vrai dire, avec leur typologie des injures, pas de quoi tomber de l’armoire… Les unes, figurez-vous, sont d’origine végétale (poire, navet, gland) ou animale (dinde, buse et autre « noms d’oiseaux »), d’autres sexuelles ou scatologiques (je vous passe les détails).
Au moins apprend-on que nombre d’insultes encore en vigueur aujourd’hui ne datent pas d’hier, mais du XIIIème siècle (« connard ») voire du XIème (« merdeux »). N’empêche ! L’ensemble serait bien aride s’il n’était agrémenté de moult sketchs et extraits de films propices à la détente.
La deuxième partie de l’émission n’est pas la moins intéressante, malgré un léger problème de cohérence. Sous le titre « Insulte et politique », elle prétend couvrir les cinquante dernières années de notre vie publique, avant de préciser que l’insulte en politique n’a (re) commencé que depuis peu.
De De Gaulle à Chirac en passant par les fameux duels Giscard/ Mitterrand, les joutes verbales étaient restées fort civiles. Si « le monopole du cœur » et « l’homme du passif » firent sensation à l’époque, on était encore loin de l’invective ; c’est l’homme public et ses idées qui étaient mis en cause.
Une nouvelle génération, annoncée déjà nous dit-on par les matchs télévisés Tapie-Le Pen, n’hésite plus à envahir la sphère privée pour verser dans l’attaque ad hominem.
En cause, semble-t-il, la perte du « surmoi » cher à ce vieux Sigmund, mais aussi la télé et internet. Encore conviendrait-il de faire la distinction un peu mieux que ce documentaire ! Quel rapport entre les coups de sang à la Sarkozy, qui lui collent encore à la peau, et les vrais-faux coups de gueule façon Mélenchon, calculés en fonction des « retombées » ?
Rien de plus tentant désormais que de ciseler une « petite phrase » ou un tweet-qui-tue, juste pour faire le buzz… Et dans un tel contexte, quoi de plus rafraîchissant que ce trait de Giscard contre Mitterrand en 81 : « Vous me faites penser au mot de Rivarol : « C’est un terrible avantage de n’avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser. »
Certes, ça n’a pas suffi à le faire réélire, mais au moins était-ce de bonne polémique ; en ces temps de catch, comment ne pas regretter l’escrime ? L’époque où on savait manier la controverse sans tomber dans les excès de langage c’était quand même le bon temps, bordel !
[Article publié dans Valeurs Actuelles]