A Marseille désormais, le moindre différend commercial entre dealers de shit se règle à l’arme lourde…Mais où sont les gangsters d’antan ?
Samedi dernier, vers 1 heure du matin, le corps d’un homme a été retrouvé carbonisé à l’intérieur d’un véhicule, dans une cité des quartiers nord de Marseille. C’était le quatrième règlement de comptes meurtrier en quinze jours. Au cours de l’année 2012, on n’en avait dénombré “que” vingt-quatre, auxquels il convient quand même d’ajouter les trente tentatives ratées — sans parler des onze mille vols avec violence et cinq cents agressions à main armée.
Pourquoi un tel déchaînement ? C’est la question que tente de démêler le documentaire diffusé sur Planète Plus, Marseille Story, une histoire de la violence. Malgré l’a priori en vogue (pauvreté = délinquance), une enquête sérieuse qui donne la parole à des spécialistes aux points de vue complémentaires.
La mauvaise réputation de Marseille ne date pas d’hier. Louis XIV déjà, à la suite d’une insurrection malvenue, y avait fait construire des forts dont les canons pouvaient à tout moment se tourner contre la population.
Un siècle plus tard, sous prétexte de Révolution française, la cité phocéenne avait manifesté d’incongrues velléités d’indépendance — convenablement réprimées par le pouvoir jacobin. En 1795, le conventionnel Fréron, recyclé par le Directoire, lui adressait un rapport sans appel sur l’état des lieux : « Marseille est incurable à jamais, à moins d’une déportation massive de tous les habitants et d’une transfusion d’hommes du Nord. »
Faute d’une mesure aussi drastique, ce sont plutôt des hommes du Sud, à commencer par des Corses et des Italiens, qui vont débarquer à Marseille et la débarrasser des nervis du Vieux-Port en lui inculquant leur culture mafieuse. Ces bandits-là ont une stratégie : prendre le contrôle de toutes les activités illégales tout en se rendant indispensables aux autorités légales. Un plan qui, pour être mené à bien, exige de la discipline, le respect des anciens et même un certain “code d’honneur”.
Mais tout ça, c’était au bon vieux temps de Borsalino, c’est-à-dire de Carbone et Spirito — puis, pour cause de Libération, de leurs concurrents les frères Guérini, Nick Venturi et autres pointures…
Aujourd’hui, la pègre de papa a cédé la place à des petits caïds, le cran d’arrêt au kalachnikov et la délinquance organisée à l’ultraviolence aveugle. Pour marquer son territoire — une cité, voire un immeuble —, on n’hésite plus à se flinguer entre amis, et certains petits chefs ne durent que trois mois…
Bref, dans la cité phocéenne, l’“ensauvagement” diagnostiqué par Laurent Obertone a commencé par la délinquance. Comme le dit fort bien Manuel Valls (la Provence, vendredi 15 mars), « les Marseillais sont en proie au désarroi face à la violence meurtrière qui gangrène leur ville. Cette violence trouve sa source essentiellement dans certains quartiers totalement soumis aux trafics de stupéfiants ». Fameux discours d’opposant ! Mais comment en finir avec ces trafics, cette violence meurtrière, ce désarroi ? On verra bien quand il sera ministre.
Publié dans Valeurs actuelles, le jeudi 21 mars 2013