Sur le « divan » de Fogiel, Lagerfeld fut, comme d’habitude, impeccable sous toutes les coutures…
Pour son retour à la télé, après dix ans d’absence, Marc-Olivier Fogiel a choisi de reprendre une émission créée en 1987 par Henry Chapier : Le divan. L’autre mardi, c’est Karl Lagerfeld qui s’y allongeait, sans se départir de cette raideur surjouée qui fait son charme, face aux questions forcément indiscrètes de l’animateur.
Guère de risque chez Karl d’une perte de contrôle ou d’un quelconque « lâcher prise », comme on dit chez les psys ; d’évidence, il n’est pas le client idéal pour un vrai divan. En revanche, c’est ce qu’on appelle dans les médias un « bon client » tout court, capable de faire le show en toutes circonstances – pourvu que ce soit le sien.
D’emblée Lagerfeld met les choses au point avec Fogiel, rebaptisé pour l’occasion « Freud de petit écran » : « Je n’ai jamais fait d’analyse, contrairement à vous sûrement ! » Pour lui, la psychanalyse évoque irrésistiblement un dessin du New Yorker avec ce dialogue entre un psy et son patient : « – Docteur, j’ai l’impression d’être médiocre… » « – Mais vous êtes médiocre ! ».
Mais puisque ce n’est qu’un jeu, télévisé de surcroît, Karl s’y prête volontiers – aux conditions fixées jadis par Georges Marchais : « Vous venez avec vos questions, moi avec mes réponses… » Au fil de sa conversation avec Fogiel, il se livrera même à quelques confidences sur les trois personnes les plus importantes de sa vie.
La première c’est incontestablement sa mère, aussi omniprésente que son père semble avoir été absent, ou du moins effacé. À entendre Karl parler d’elle, on comprend mieux d’où lui viennent son indépendance d’esprit et son humour, voire son port altier. Ne lui disait-elle pas, en guise de compliment : « Tu me ressembles en moins bien » ?
Et puis il y a ce Jacques De Bascher, « sulfureux » ami d’Yves Saint Laurent… « On peut en parler ? » minaude Fogiel qui, sans l’accord préalable du « Kaiser », n’aurait même pas osé prononcer ce nom. Karl, qui n’a jamais fait mystère de son homosexualité, dit avec simplicité qu’il a aimé ce Jacques-là « d’un amour absolu, insouciant et léger ». Au point de le veiller tout au long de son agonie avant qu’il ne meure du sida en 1989 – et de ne l’avoir jamais remplacé depuis.
Désormais, qu’on se le dise, Karl a reporté toute son affection sur Choupette, sa chatte angora blanche. Et d’assumer cette tocade avec l’autodérision qui sied : « J’avais des amies, un couple de lesbiennes américaines qui étaient folles de leur chat. Je les trouvais hystériques… Je suis pire ! » Manager de cette chatte superstar, qui a déjà fait la une de divers magazines de mode dont Vogue, Karl la fait tourner dans quelques pubs choisies – « pas de la bouffe pour chats » – et place à son nom (?) l’argent ainsi gagné : « Choupette est une fille riche ! »
Bien sûr qu’en nous racontant ça, Lagerfeld se paye un peu notre tête ; mais comment lui en vouloir, puisqu’il commence par la sienne ? C’est ça qu’on apprécie chez ce von Stroheim de défilé : sa lucidité caustique, y compris dans le miroir, et un égoïsme exigeant qui combat efficacement le laisser-aller.
Ainsi, après avoir considérablement grossi à la mort de son ami, Karl a-t-il reperdu d’un coup quarante-deux kilos, jamais repris depuis. « Comment avez-vous fait ? » s’extasie Fogiel. – « C’était pour pouvoir porter du Hedi Slimane ! répond l’autre sans rire. Il me fallait un prétexte futile, c’est tout… »
Son travail le passionne, bien sûr ; « sinon, même trente-cinq heures ce serait trop ! » La retraite ? Il n’y a jamais songé et ce n’est pas à son âge, au faîte de sa gloire, qu’il va commencer ! – « Et le moment où vous partirez, vous y avez pensé ? » euphémise Fogiel. – « Dès que vous me libérerez ! » répond l’autre du tac au tac.
Mais le tableau serait incomplet sans l’échange de politesses final :
« – Merci beaucoup, Karl !
– Et comment on sort de cette baignoire ? »
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