Certains chantent pour aider ceux qui ont faim ; d’autres se contentent de dénigrer… Qui sont les vrais « enfoirés » ?
Demain soir (13 mars) sur TF1, diffusion du concert des Enfoirés ; vous n’êtes pas obligé de regarder, mais à cette occasion, il m’a paru utile de revenir sur l’ « affaire »… Que vous le sachiez ou non, l’hymne 2015 de cette troupe, signé Jean-Jacques Goldman, a déclenché une levée de boucliers aussi impressionnantes que risible.
Le clip incriminé met en scène un dialogue entre générations. Des jeunes interpellent leurs aînés sur l’état du monde qu’ils leur laissent, et ceux-ci leur répondent en substance : à votre tour, tâchez de faire mieux !
Extrait :
– « Vous aviez tout : paix, liberté, plein-emploi / Nous c’est chômage, violence et sida… »
– « Tout ce qu’on a, il a fallu le gagner / À vous de jouer, mais faudrait vous bouger ! »
Bref c’est pas du Claudel – mais pas non plus de quoi fouetter un Enfoiré ! Pourtant, aussitôt le « bad buzz », comme on dit, commence sur Twitter. Des hordes de trolls se ruent sur leurs claviers pour vilipender cette chanson « anti-jeune » : « On se fait traiter de jeunes cons par de vieux réacs ! » résume un chef troll doué de l’esprit de synthèse.
Première personnalité à relayer cette indignation, sans surprise : Jacques Attali, qui dénonce l’ « incroyable mauvais goût » de paroles opposant moins, selon lui, les jeunes aux vieux que les « nantis » aux autres.
Même son de cloche chez les Inrocks qui, dans un jargon audacieusement post-marxiste, analysent : « Sous couvert d’un discours positif et bienveillant envers une jeunesse précaire, [ce texte] témoigne d’un mépris de classe et d’un culte de la réussite somme toute assez rance. »
De « réac » à « facho » il n’y a qu’un pas, que franchira allègrement le rappeur politologue JoeyStarr (en un seul mot s’il vous plaît), indigné par cette chanson « merdique » : « Ecoutez les paroles, écrit-il ; on est presque sur les traces du FN. » Ben voyons !
Face à cet assaut violemment crétin, quelques enfoirés montent au créneau pour défendre leur collègue. On citera en particulier Maxime Le Forestier, qui dit sobrement « ne pas comprendre » cette polémique : « C’est plutôt la montée de la connerie qui m’affecte… »
Dans une tribune du Figaro.fr, et un style plus universitaire, le Pr Alain Bentolila ne dit pas autre chose : « Inciter des jeunes à aller plus haut, c’est avoir du respect et de l’ambition pour eux. Leur raconter les difficultés de nos propres parcours, ce n’est pas nécessairement jouer au vieux con. Alors, Jean-Jacques Goldman, surtout n’allez pas vous excuser sur les plateaux de télévision ! »
Un conseil manifestement entendu par l’intéressé. Sa réponse, pleine d’ironie, viendra sous la forme d’une vraie-fausse interview au Petit Journal. Harcelé par deux brindezingues qui le somment de se justifier sur sa chanson « réac », c’est un Goldman tout contrit qui avoue : « Je ne me suis pas rendu compte de la portée de ces paroles… »
– « Ah vraiment ? insistent les deux autres. Et dire aux jeunes qu’il faut « se bouger », c’est pas réac ça ? »
– « Euh, je ne savais pas », bafouille Jean-Jacques. Et l’un des « journalistes » de se tourner triomphalement vers l’autre : « Ha, tu vois bien qu’il est réac ! Ils ne savent jamais qu’ils le sont, c’est même à ça qu’on les reconnaît ! »
Compliments pour ce sketch à Goldman et surtout au Petit Journal, qui pour une fois n’a pas hurlé avec les loups empaillés. Il est vrai qu’en l’occurrence, l’appel au boycott lancé par Attali & Co. était particulièrement indécent, sachant que les Enfoirés, c’est 15 à 20 % du budget des Restos du Cœur.
Par bonheur l’effet du buzz, aussi « bad » soit-il, aura finalement été inverse. Grâce à cette polémique, en trois jours le clip avait été vu un million de fois, et depuis lors les ventes du disque ont augmenté de 80 %. Qu’est-ce qu’on dit ? Merci Twitter ! Merci les Inrocks ! Merci, Monsieur Attali !
[Publié dans Valeurs Actuelles]