Elle méprise la gauche bien pensante, et ne l’envoie pas dire à Aymeric Caron… Hardi, Françoise !
Françoise Hardy détonnait quelque peu, l’autre samedi sur le plateau d’On n’est pas couché. Au milieu de ce divertissement un peu plus superficiel et convenu chaque saison, la présence de cette femme au visage pâle, émacié, grave avait quelque chose d’irréel.
Françoise était invitée à l’occasion de la parution de son livre Avis non autorisés (éd. Equateurs). Autant, dans la chanson, son répertoire était romantique et tendre, autant ici sa pointe est sèche pour croquer le monde qui l’entoure, sans concession aux modes du moment.
Lucidité bien ordonnée commence par soi-même, et c’est sans fard que l’auteur, dans son livre comme sur ce plateau, se dépeint elle-même, confrontée à la maladie qui la ronge. Diagnostiquée il y a dix ans d’un lymphome qui s’est aggravé ces trois dernières années, elle en expose cliniquement les souffrances et les handicaps : dégradation physique, traitements pénibles, examens humiliants… « Indécence », commente dans sa critique télé un Tartuffe de L’Obs – qui décidément n’en rate pas une. « Couvrez cette plaie que je ne saurais voir… » Au contraire, le courage que manifeste Mlle Hardy face à ce sort adverse ne peut que servir de modèle à tous ceux qui vivent une épreuve comparable, ou y sont appelés…
Quant aux autres – y compris ces messieurs de L’Obs, qui apparemment pètent toujours la santé – qu’ils se remémorent juste le mot de Jules Romains dans Knock : « La santé est un état précaire qui ne présage rien de bon. »
Politiquement, à en croire Françoise Hardy, c’est tout le pays qui est malade. À contre-courant du discours dominant, particulièrement chez les artistes en cour, elle ne se gêne pas pour dénoncer une gauche « convaincue de détenir la Vérité », où par conséquent l’idéologie l’emporte un peu souvent sur le réel. Et notre polémiste de dénoncer tour à tour les excès de la dépense publique, le « travailler moins et imposer plus » et même l’ISF, « impôt inique et inutile ».
Ce credo libéral lui vaudra même un hommage de Léa Salamé qui, « sans partager toutes ses idées » tient elle à préciser, salue dans ce livre le baudelairien « plaisir aristocratique de déplaire ». Aymeric Caron n’en dirait pas tant ; lui n’y a vu que « contre-vérités » et « sectarisme », et il est orfèvre.
C’est le moment ou jamais de citer le portrait, anonyme mais transparent, que Françoise fait d’Aymeric dans son bouquin. En vrai pro, Ruquier ne le laisse pas passer (moi non plus, d’ailleurs) : « Un journaliste qui agresse d’autant plus durement ses interlocuteurs qu’il s ne sont pas de gauche comme lui (…) L’autosatisfaction qui allume son regard à la fin de ses charges télévisées, quand il croit avoir définitivement acculé une victime parfois plus subtile qu’il ne l’imagine, évoque la jouissance sadique ressentie par certains à tuer avec des mots. »
Et l’animateur de ponctuer ce portrait craché en s’interrogeant tout haut : « Depuis toutes ces années, comment n’ai-je pas eu l’idée de remplacer Eric Zemmour ou Natacha Polony par Françoise Hardy ? » Chiche ! Mais la vraie bonne idée, à mes yeux, ce serait qu’elle prenne la place de ce Caron-là, dont c’est justement la dernière saison…
Avec tout ça hélas, il ne reste plus que quelques instants pour évoquer la littérature, si chère pourtant à Françoise Hardy. Depuis La petite sirène d’Andersen, qui l’avait bouleversée enfant, la lecture a toujours été et reste, dit-elle, « mon seul refuge, ma seule source d’inspiration et de rêve ». Mais que voulez-vous ? Henry James, Colette et même Modiano, c’est pas assez croustillant pour Ruquier !
Le mieux, pour découvrir le panthéon littéraire de Françoise, c’est donc d’acheter son bouquin… Et s’il fallait un ultime argument de vente, je ne vois pas mieux que le titre du papier de L’Obs à Moëlle, déjà cité : « Bêtise, indécence et malaise : un suicide médiatique ». Si j’étais l’éditeur, j’en ferais un bandeau rouge sur la couverture.
[Publié dans Valeurs Actuelles]