Comme les autres drogués, les accros du Net ont recours à la « detox ». Bienvenue au XXIe siècle !
Pierre-Olivier Labbé, journaliste de son état et grand geek devant l’Eternel, a fait le pari de se « débrancher » trois mois durant de son univers virtuel. Pour voir s’il « tenait le coup » bien sûr, mais aussi pour « interroger notre addiction aux nouvelles technologies », comme disent les néo-cuistres de Télérama. Le tout donne un documentaire alerte et instructif qui se laisse voir (sur Canal plus).
Avant d’entamer son jeûne numérique, Labbé va, comme il se doit, se confesser à un psy spécialisé, qui le met en garde contre les risques psychologiques afférents à ce genre de déconnexion brutale : « nomophobie » (angoisse du manque de portable), « fomo » (« Fear of missing out », peur de louper quelque chose… )
Mais notre cobaye n’a peur de rien. Au jour J, il met au placard tout son attirail sans trembler – mais non sans laisser un touchant message d’adieu à ses « amis » Facebook. Puis il fait l’acquisition d’un « dumbphone » (en français, téléphone crétin) qui ne sert qu’à téléphoner – contrairement aux smartphones, dont c’est le moindre usage.
Pour ses quinze premiers jours, ce reporter de l’extrême s’impose un sevrage complet au fin fond du parc national des Cévennes, où « y a même pas de réseau ». En chemin déjà, il en apprend beaucoup sur sa nouvelle condition de « débranché » : sans GPS, pas évident de dénicher le refuge qu’il s’est trouvé ! Il lui faut conduire carte sur les genoux, voire demander son chemin à des indigènes… Sur place en revanche il tiendra bon, grâce notamment à Joseph Kessel (« mon premier livre depuis un an ») et à la pêche. Ça calme, la pêche.
À peine de retour à Paris, Pierre-Olivier repart pour San Francisco, à la rencontre des pionniers de cette « digital detox » qui désormais fait fureur au cœur même de la Silicon Valley. (Décidément, les États-Unis n’ont pas leur pareil pour inventer tour à tour les maux puis leurs remèdes – pas toujours aussi efficaces, hélas…)
Les meilleurs clients, ou patients, des instituts de « désintoxication numérique » qui poussent comme des champignons dans cette Valley, sont les salariés des géants de l’informatique voisins. Pour des raisons d’ « hygiène mentale », leur hiérarchie les encourage à s’aérer ainsi le cerveau aussi souvent que possible, en dehors des heures de bureau bien sûr. D’ailleurs, ces mêmes patrons mettent ordinairement leurs propres enfants dans des écoles bizarres et coûteuses, où le tableau noir et la craie remplacent le traditionnel iPad…
Dans la foulée, notre infatigable Tintin nous entraîne en Corée du sud. Un vrai défi pour lui : trois semaines avant la fin de son carême virtuel, il s’agit de tester sa capacité de résistance face aux tentations permanentes du « pays du Très Haut Débit » (anciennement « Matin calme »).
À Séoul, tout le monde ou presque est multi-connecté. À Gangnam (les Champs-Élysées locaux, mutatis mutandis) on trouve des bornes wifi tous les vingt mètres, et même des trottoirs spéciaux pour geeks – afin qu’ils ne soient pas bousculés par n’importe quel abruti débranché.
Dans tout le pays cohabitent en bonne intelligence, et en bonne logique, tout et son contraire. Des écoles de « smart education » à base de lecture virtuelle et d’écriture dématérialisée – et cent vingt-deux cliniques spécialisées dans les cas « lourds » de dépendance au 2.0. Le traitement, astreignant, coûte cher et dure un an – sans compter les rechutes…
C’est d’autant plus bête qu’à deux pas de là, en Corée du nord, ils n’auraient pas ces problèmes. Non seulement le réseau national est étroitement surveillé par le régime de Kim Jong-un, qui ne rigole pas, mais il n’est même pas connecté à internet. Bref, une adresse à retenir pour les routards fauchés en quête de « detox ».
Quant à Pierre-Olivier il va bien, merci. Après ce victorieux challenge, il s’est reconnecté doucement, avec des dégâts limités : 6 273 mails manqués, et 17 « demandes d’amis » Facebook restées en suspens…
[Publié dans Valeurs Actuelles]