L’enquête de Franck Ferrand sur l’agonie de Jésus est fouillée, mais pèche par omission… de la Résurrection.
Au lendemain de Pâques, France 3 a confié son « prime time » à Franck Ferrand, pour évoquer Les derniers jours de Jésus dans le cadre de son émission historique « L’ombre d’un doute ». À chaque étape de la Passion, de l’arrestation de Jésus à sa crucifixion, le documentaire confronte les récits évangéliques aux « plus récentes découvertes scientifiques ». Deux heures durant, il nous entraîne d’ « évangiles cachés » en lieux plus ou moins saints et reliques « controversées » – avec les éclairages de spécialistes aux avis convenablement divergents.
Résultat : chacun y trouve ce qu’il apporte. « Passionnant ! » commentent d’une seule plume le Figaro et Télérama – mais pour des raisons inverses. « Passionnant et respectueux de la foi » garantit le premier, tandis que l’autre y voit le contraire : « Au fil du XXe siècle, chaque découverte d’un papyrus, d’une gravure ou d’un manuscrit apocryphe est venue ébranler un peu plus les croyances. Tout cela est passionnant. » Pour les ex-cathos de Télérama, pas de Bonne Nouvelle, bon nouvelle !
Emporté par un louable souci d’exhaustivité, le doc passe un peu trop volontiers pour mon goût de l’essentiel à l’accessoire, quitte à les placer sur le même plan. Pourquoi s’attarder, par exemple, sur les différentes sortes de flagellation en vigueur chez les Romains, voire sur l’emplacement exact du palais de Caïphe au mont Sion, à trente mètres près ?
Dans la Cène selon Ferrand, il y a à boire et à manger. Que nous importe le menu exact, ou la position des convives ? Là où ça devient intéressant, c’est quand on nous rappelle que, selon certains, Marie-Madeleine en faisait partie ! Et pour cause : c’était quand même l’épouse de Jésus, savez-vous.
C’est même ce qu’aurait voulu suggérer Vinci dans sa fameuse Ultima Cena – sans oser le montrer vraiment, compte tenu de ses employeurs… Ce « personnage efféminé » à la droite du Christ, c’est elle, évidemment ! Quant à Jean, il avait dû aller chercher du vin à la cave à ce moment là, à moins qu’il n’ait jamais existé !
D’autres envisagent la même hypothèse pour Judas, qui serait soit « un personnage de pure fiction », soit au contraire « l’homme de confiance de Jésus », qu’il ne « trahira » qu’à sa demande expresse. Bref le Christ, pour peu qu’il ait lui-même existé, fut non seulement l’acteur principal, mais le metteur en scène de sa propre agonie… Et puis quoi encore ? Il avait aussi réservé son emplacement au Golgotha, pour être sûr d’être bien au milieu avec le bon larron à sa droite ?
À ce compte là, cher Franck, on peut raconter n’importe quoi. Tu m’opposeras ton souci d’exhaustivité, je l’ai déjà salué ; mais alors, pourquoi pas un mot sur la Résurrection ? C’est quand même le cœur (sacré) de la foi chrétienne, comme l’écrivait saint Paul à ses amis Corinthiens (XV, 17-19) : « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine […] et nous sommes les plus malheureux des hommes. »
Accessoirement, comme le notent très bien tes amis d’Europe 1, « la résurrection appartient au domaine de la foi, mais la persistance avec laquelle les disciples vont affirmer sa réalité appartient à l’histoire. » Alors, pourquoi n’avoir pas prolongé le débat historique sur la passion du Christ jusqu’à la fin, c’est à dire l’essentiel ?
Évoquer les « derniers jours de Jésus », ce n’est pas seulement apprécier l’historicité des faits un par un ; c’est aussi examiner si ensemble ils « font sens ». Je gage que les spécialistes interrogés dans ton doc (théologiens, historiens, philosophes, chercheurs) auraient divergé, pour rester poli, sur l’hypothèse chrétienne d’un sacrifice volontaire du Christ, de sa résurrection et de la Rédemption qu’elle nous offre à tous.
Et pour évoquer le cœur du mystère pascal, tu aurais pu sans dommage virer quelques débats oiseux – comme celui sur le tracé exact de la Via Dolorosa, qui de toute façon finit au Golgotha.
[Publié dans Valeurs Actuelles]