L’ex-apprenti coiffeur n’a pas son pareil pour ébouriffer les plateaux télé à coups de phrases ciselées.
On ne présente plus Fabrice Luchini, surtout aux lecteurs de Valeurs Actuelles et aux amateurs de Philippe Muray. Tant mieux ! Ça me permet d’en venir d’emblée à son sketch de l’autre samedi à On n’est pas couché, qui était fameux (le sketch).
Avec son bagou, son culot et sa culture, Luchini laisse aussi peu de prise aux blagounettes de Ruquier qu’aux critiques de Léa Salamé, sans parler des mordillements de Caron, l’épagneul enragé. Il court il court le Fabrice, toujours avec deux longueurs d’avance – et n’aime rien tant que de prendre ses interlocuteurs à contre pied, passant sans prévenir du badinage à la gravité et de la littérature à la grivoiserie.
Il faut l’entendre citer dans la même phrase Pascal, Nietzsche et Valéry avant d’enchaîner sur sa carrière de coiffeur : « Savez-vous que j’ai fait la nuque de Joe Dassin et le « maillot » de Marlène Jobert ? » raconte-t-il avec délice, avant de conclure sur un éloge enflammé des formes féminines…
Par une plaisante inversion des rôles, c’est Ruquier l’amuseur qui tente à plusieurs reprises de recadrer son hôte. Mais c’est mission impossible avec Luchini, qui ne joue qu’à ses propres règles. Ses prestations télé, rappelle-t-il, c’est juste un deal : il « assure le show » en échange de sa promo, un point c’est tout. « J’ai 63 ans, et je ne me réduis pas à ce personnage hystérique que je fais là pour vous amuser. »
L’essentiel, pour Fabrice, est ailleurs : dans sa double vocation d’acteur qui, nous dit-il, s’épanouit de façon complémentaire sur les planches et à l’écran. « Pour satisfaire mon ego, ma carrière au cinéma me suffit amplement. Au théâtre, je me mets tout entier au service des grands textes. »
Dans son spectacle Poésie ? il ponctue, comme souvent, de considérations personnelles ses morceaux choisis ; rien que des auteurs français mais variés quand même, de Molière à Céline en passant par Rimbaud, Proust et même Labiche ! Après tout c’est son spectacle, il fait bien ce qu’il veut… Et en plus, le public en redemande. C’est complet jusqu’à l’été, et ça reprendra fin septembre ; autant dire que pour la promo, y a pas le feu !
La liberté de ton et d’esprit de l’ami Fabrice nous vaut naturellement quelques échanges savoureux avec la bande des Pas-couchés. Allez, rien qu’un ou deux, par gourmandise…
Voici Ruquier accueillant son hôte sous les ovations d’un public debout : « Vous voyez, Fabrice ? C’est un triomphe ! » « – Je préfère quand même le public payant ! Ceux-là, ils pourraient aussi bien être chez Drucker… »
À propos d’ovations, Caron rebondit en balançant à la face de l’invité une référence censément tueuse : « Cioran, que vous aimez citer, écrit : « Tout homme qui se laisse applaudir est une abomination humaine ». Et Luchini de répondre avec un bon sourire : « Là, Cioran va très loin contre la gloire, qu’il n’avait d’ailleurs pas à l’époque (…) Moi ça m’a fait du bien, surtout avec les filles ! »
C’est Léa Salamé qui, avec une question pertinente, obtiendra de l’acteur la réponse la plus spontanée, comme un cri du cœur. – « Dire ces textes, est-ce toujours un plaisir pour vous, ou bien est-ce devenu une forme de rente ? » – « Ma vie n’a aucun sens, réplique-t-il sur un ton inhabituellement grave, si je ne fais pas cet exercice : tenter de restituer le génie des écrivains. »
L’ultime palinodie revient de droit à Caron. Faute d’avoir coincé Luchini, voilà qu’il s’est mis en tête de le recruter pour le camp du Bien : « Quand direz-vous enfin qu’en fait, vous êtes un homme de gauche ? » Grand rire dionysiaque de Fabrice : « En quarante ans de carrière, c’est la première fois qu’on me dit ça ! Tu peux argumenter ? » Et l’autre de bafouiller : « Ben, déjà, quand on est nietzschéen, on peut pas être de droite… » Il a égaré ses fiches, ou quoi ?
Cela dit, au-delà de l’intéressante personne de Caron, c’est toute la gauche qui a perdu ses fiches, et la droite « républicaine » devrait commencer à s’en faire (des fiches).
[Publié dans Valeurs Actuelles]