Décidément, il se passe toujours quelque chose chez Franz-Olivier Giesbert. D’ordinaire, ce sont les invités qui, sous son regard amusé et vaguement distrait, s’empaillent poliment entre eux, ou plus rudement avec les chroniqueurs – qui après tout sont là pour ça.
L’autre vendredi (Semaine critique ! 5 novembre, France 2, 23 heures) c’est l’humoriste de l’émission, Nicolas Bedos, qui a volé la vedette à tout le monde en faisant tout seul son petit scandale. Dans le cadre de son billet hebdo, voilà-t-il pas qu’il se met en tête de blaguer cette semaine-là sur les juifs et Israël. Aussitôt le monstre du Loch Net s’agite en tous sens et, « à la suite de réclamations de nombreux téléspectateurs », un mystérieux BNVCA (Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme) fait surface, saisissant du même tentacule le CSA de cette chronique odieuse.
Et Élisabeth Lévy, collègue d’émission de Nicolas Bedos, de voler à son secours sur son site (lire l’article sur Causeur.fr) : « Nicolas n’est pas antisémite ! Il y en a assez de vrais, inutile d’en inventer. » Mais les plaisanteries déplacées sur Israël et la communauté, alors ? « Je ne veux pas vivre dans un monde où on n’aura pas le droit de se foutre de la gueule des juifs ! »
Je dirais même plus : ni des juifs ni de qui que ce soit. Derrière l’ânerie du BNVCA, ce sont les oreilles du “politiquement correct” qui pointent.
En fait d’humour, savez-vous, les règles de notre démocratie sont strictes : tant qu’il s’agit de bagnoles, de partouzes ou de téléphones portables, tout est permis.
Au-delà, l’affaire peut devenir grave sans même avoir été sérieuse.
C’est l’instant où il est bien vu de froncer le sourcil en s’interrogeant : “Peut-on rire de tout ?” Il y aura toujours un crétin pour vous renvoyer la balle en citant Pierre Desproges, qui ce jour-là aurait mieux fait de rester mort : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. »
Reste à savoir qui précisément est “n’importe qui”. Parce que, quand on se produit tous les soirs devant des salles de deux mille personnes, ça doit pas être facile de faire le tri… À part ça, j’aime bien Desproges – qui fut lui-même soupçonné parfois de noires arrière-pensées, avant d’être embaumé à sa mort. Mais c’était il y a plus de vingt ans et, au milieu des progrès irréversibles de toutes nos libertés, j’aimerais bien qu’on n’oublie pas celle de plaisanter.
Pour moi, l’affaire est simple : si on ne peut pas rire de tout, on ne peut pas rire du tout ! Bien entendu, “pouvoir” ne signifie pas “devoir”. À titre personnel, la plupart des blagues qu’il m’est donné d’entendre à la télé me laissent de glace, quand elles ne me glacent pas le sang.
Mais après tout, dans la maison de l’humour aussi, il y a plusieurs demeures, et le pire serait de forcer tout le monde à rire de conserve. Ou alors au moins que les choses soient claires : au JO de publier, chaque mois, la “liste des sujets” dont il est loisible de plaisanter !
Publié dans Valeurs Actuelles, le 18.11.10