Le 22 février 1635, Richelieu signait les décrets d’installation de l’Académie française. Cela faisait un an que le grammairien Conrart, qui avait réuni autour de lui, depuis une dizaine d’années, quelques bons esprits pour réformer et fixer la langue, finalisait les statuts de l’honorable assemblée. La gravure ci-dessus représente le cardinal-ministre en soleil, et chacun des rayons porte le nom d’un Académicien. C’est dire les rapports étroits qu’entretiennent la langue et le pouvoir.
On sait que l’une des tâches dévolues aux « Immortels » fut la confection d’un Dictionnaire (paru enfin en 1694), que Richelet puis Furetière devancèrent. Mais l’essentiel fut surtout de fixer la langue.
Le travail avait commencé au XVIe siècle, et Malherbe, au tournant du siècle, avait déjà largement déblayé. L’Académie d’un côté, Vaugelas de l’autre, se donnèrent pour mission de « purifier » la langue — pleine de provincialismes désuets, orthographiée au gré de la fantaisie des scripteurs et des éditeurs, et grammaticalement hirsute.
Je ne vais pas faire l’historique de l’Académie, que l’on trouve partout. Je voudrais simplement insister sur ce désir de purification et de régulation de l’usage — du « bon usage ».
Ce bon usage est aujourd’hui singulièrement sacrifié en classe sur l’autel de « l’expression ». Or, il est consubstantiel au projet de Richelieu, qui est de doter la France d’un pouvoir absolutiste, et de corseter la langue du Roy de principes tout aussi absolus. Accepter les dérives, c’est renoncer à l’autorité. C’est, pour l’Etat, accepter que la langue soit contaminée par des forces centrifuges. C’est, au niveau de l’individu, promouvoir le charabia et le gloubi-boulga — en réservant le « bon usage » à une oligarchie qui s’appuiera sur la langue pour conserver le pouvoir. Sur quoi croyez-vous que s’appuient les jurys des grands concours pour sélectionner celui-ci et refuser celui-là ? La langue est la base de toute culture, et de toute connivence de classe.
Ce que l’Ecole de la IIIe République avait voulu faire, en instituant l’école obligatoire et en autorisant les instituteurs à donner des coups de règles — le mot a une polysémie intéressante — sur les doigts, c’était créer un corps national unique parlant une même langue, et donner à chacun la possibilité de comprendre ce qui se disait, et de se faire entendre.
Ce qui se fait depuis une bonne trentaine d’années revient à dissoudre ce lien en miroir entre l’Etat et l’individu. En mutilant la langue, on anéantit la nation.
On se souvient de la formule si intelligente de Barthes : « La langue est fasciste ». On oublie volontiers la suite de la démonstration : « Le fascisme, ce n’est pas empêcher de dire, mais obliger à dire ».
Et la langue est un ensemble d’obligations — parfois même absurdes. Ne plus les enseigner, c’est réserver leur maîtrise à quelques individus qui contribueront à se parler et à se coopter — au détriment de tous les autres, ceux à qui on ne demande que savoir obéir et pédaler sur leur vélo Deliveroo. Les pédagogues qui ont renoncé à enseigner les règles de fer de la langue française ont livré tout crus leurs élèves à la convoitise des esclavagistes modernes.
Et c’est pour ça que je les hais.
Des parents aimants reprennent leurs enfants, dès le plus jeune âge : on ne dit pas / on dit. Des parents aimants leur parlent dans une syntaxe correcte — pas en langage Tarzan. Et lorsque les parents ne maîtrisent pas le français, c’est à l’école de faire deux fois plus d’efforts pour enseigner à leurs enfants les règles et le bon usage. Les instituteurs qui ne le font pas sont des criminels — ou des complices de l’oligarchie. Qu’ils se proclament « de gauche » est à se taper le cul par terre. Ils sont les fourriers de l’école à deux vitesses, et les fournisseurs d’Uber.
Des sites pédagogistes s’insurgent contre les (rares) consignes que donne aujourd’hui Blanquer pour l’apprentissage du Lire / Ecrire. « Liberté ! » clament ces ânes. La liberté naît de la maîtrise des règles — pas de leur corruption. Un vrai ministre attentif à la langue devrait révoquer tous ceux qui n’enseignent pas « la langue de Molière » — puisqu’on appelle ainsi le français, comme l’anglais est « la langue de Shakespeare » et l’espagnol celle de Cervantès. Or, loin d’enseigner Molière, on se propose aujourd’hui de la « traduire » en volapük contemporain. Un prof de ma région a été nommé IPR parce qu’il avait eu l’heureuse idée de « traduire » Marivaux en langage banlieue, et de passer la Princesse de Clèves à la moulinette Facebook — avec une « fin heureuse ». Promu, alors qu’il aurait dû être pendu !
Qui ne voit que lâcher du lest sur la langue, c’est lâcher du lest sur le sens ? Que mépriser ou mutiler le français, c’est ouvrir la voie à d’autres langues autrement impérieuses — l’arabe coranique, par exemple…
Bien sûr, d’immenses écrivains ont violé la langue et lui ont fait de très beaux enfants. Mais pour ce faire, encore faut-il connaître à fond ce que l’on va transgresser : pour être Picasso, il faut avoir dompté l’académisme, pas gribouiller n’importe quoi avec des croyons de couleur. Hugo a magnifiquement expliqué cela dans sa « Réponse à un acte d’accusation », qui est à la fois une déclaration de guerre et une déclaration d’amour à la langue classique. Alors, Hugo, je veux bien. Aya Nakamura, dont d’aucuns aujourd’hui font une ambassadrice de la langue française, non.
Le mépris affleure chez les démagogues, bien certains d’être à l’abri sous leurs connaissances classiques pour continuer à se partager le pouvoir et laisser les crétins — ainsi parlent-ils, ces gueux — bafouiller en paix.
Nous devons, nous parents, nous enseignants, exiger un apprentissage rigoureux des règles. Parce que ceux qui persisteront à les ignorer finiront par se les prendre dans le cul.
Jean-Paul Brighelli
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