Certaines décisions récentes m’ont fait comprendre que la bêtise magistrale de nos gouvernants ne procède pas d’une mauvaise intention, mais d’une abyssale inculture. Ne reculant devant aucune dépense pédagogique, Bonnet d’âne a donc décidé d’opérer un retour sur les fondamentaux. La suppression récente de l’épreuve de culture générale à l’entrée de Sciences-Po ne doit pas faire illusion : cela fait beau temps que les dirigeants qui sortent de ces filières à cooptation interne ont divorcé de la culture la plus basique. Mais rien n’est perdu.
Ô vous qui orchestrez le destin de la France, répétez après moi…
Comme on dit vulgairement : Άνθρωπος φύσει πολιτικών ζώον, l’homme est par nature un animal politique (Aristote, Politique, I, 2). Encore faut-il expliquer « politique ». Dérivé de πόλις, la ville, l’adjectif implique avant tout le côté grégaire de l’individu — et sa tendance à se rapprocher de ses semblables. Non pas au sens humain, mais au sens le plus endogamique.
Appartenant au même champ sémantique, la notion d’ἐκκλησία ne désigne pas à l’origine l’Eglise, mais l’Assemblée du peuple — à une époque où « populisme » n’était pas tout à fait une insulte. L’animal politique se réunit et se côtoie, échange des idées, participe à la discussion, en vient aux mains, parfois au vote. Ce faisant, il use de tous les moyens pour séduire l’autre : le discours, mais aussi les expressions de visage, les mouvements du corps, le sourire, la grimace, la baffe dans la gueule, bref,l’arsenal complet des mimiques.
Quand la Cité s’est christianisée, on a logiquement baptisé « église » le lieu où l’ensemble du peuple chrétien se réunissait. C’est si vrai que dans nos campagnes, dans le moindre village (vous savez, ces endroits hirsutes et inhospitaliers où les coqs chantent, où les vaches paissent et où Christophe Guilluy écrit les livres que vous ne lisez pas), la taille de l’église donne à tout coup une indication précieuse sur le nombre d’habitants de la commune à l’époque de la construction.
Et voici que vous avez décidé de supprimer l’essentiel de la conversation — cet art français de la guerre mouchetée. Vous imposez un masque : peut-être vous croyez-vous à Venise au XVIIIe siècle, quand le Carnaval durait six mois ? Vous imposez aux croyants de ne pas être plus de trente dans les cathédrales de Chartres, de Rouen ou de Reims. Par souci de préservation de la laïcité, sans doute…
Mieux : vous coupez le lien être parents et grands-parents (à la cuisine, les ancêtres !), et jetez sur les enfants un regard soupçonneux. De toute façon, en huit mois vous avez anéanti scolairement une génération qui, je vous l’accorde, n’était pas bien brillante, grâce aux pratiques pédadémagogiques qui grâce à vous ont noyauté le système éducatif, mais qui pouvait peut-être se relever, avec un ministre intelligent et des profs talentueux — deux conditions de plus en plus improbables.
Et aujourd’hui, après avoir autorisé dans les EHPAD des produits qui ont notoirement raccourci la vie des personnes âgées, précocement tuées afin qu’elles ne meurent pas, vous voulez imposer aux survivants un vaccin que vous refusez pour vous-mêmes — pas si bêtes. Je me laisserai vacciner quand vous y serez tous passés, et que j’aurai la certitude qu’on ne vous a pas injecté du sérum physiologique.
L’instinct grégaire est, avec l’instinct sexuel et les réflexes de survie, un pilier de l’humanité. Vous prétendez l’abolir. Or, entendez bien ce que disait Aristote : c’est « par nature » que l’homme est animal politique. Ce que vous préconisez, en suivant aveuglément les consignes d’un quarteron de toubibs encore plus ignares que vous, est à proprement parler antiphysique.
Quant à l’instinct sexuel… Dans un pays qui a inventé le libertinage, vous déconseillez d’aller chercher chaussure à son pied ailleurs que dans le lit nuptial — par souci moral, probablement… Les puritains se paient grâce à vous une seconde jeunesse.
Je parle moins pour moi (quoique…) que pour ces millions de jeunes gens que vous contraignez à la chasteté et à la masturbation. À 18 ans, on peut avoir entre huit et dix amies en même temps : c’est en baisant qu’on devient baiseron. Mais vous ignorez sans doute cela, vous qui êtes nés pré-castrés.
Vous avez fermé ces lieux de convivialité essentiels que sont les bars et les restaurants — alors que s’y tiennent les premiers rendez-vous. Vous avez interdit les cinémas et les théâtres, ces lieux si nécessaires où la main de l’un navigue durant cinq interminables centimètres jusqu’au genou de l’autre. L’amour sera conjugal ou ne sera pas — sauf que les jeunes gens n’en sont pas encore à la conjugalité, dont ils n’ont en général d’autre image que celle de leurs parents…
Et comme vous interdisez tout rassemblement de plus de six personnes, et toute sortie passée 20 heures, pas de risque d’orgie, oh non ! Ils ne mourront pas du Covid : ils mourront d’ennui, de frustration, et de vieillissement précoce.
Ma génération est passée à travers le SIDA sans grandes précautions — quitte à en payer le prix. Mais vous prétendez mettre à l’abri les mourants en congelant les vivants. Outre votre qualification méritée de meilleurs employés de l’année d’Amazon and Co, vous avez aussi droit à la reconnaissance des fabricants de godemichés.
Sauf que l’amour n’est pas seulement une question d’orgasme. En muselant tout le monde, vous prétendez interdire le baiser, qui est « Une façon d’un peu se respirer le cœur, Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme ! » Au safe sex promu par des peine-à-jouïr s’est ajouté le no-sex imposé par les pré-cocus que vous êtes.
Quant au réflexe de survie, le boire et le manger, vous en avez ôté tout ce qui en faisait le charme bien français — la bonne cuisine comme la haute gastronomie. Parce que vous ne manquez de rien à la buvette de l’Assemblée, vous vous gaussez des sans-dents qui, dans le petit matin frileux, cherchent désespérément un café pour se réchauffer. Ne riez pas, le mépris n’est pas un bon conseiller : rappelez-vous Louis XVI.
Et tout cela au nom de ce succédané de vie qu’est la frousse. Quel exemple pour les générations montantes ! Les grands mécaniciens de la chose publique ont choisi la peur pour politique — la peur qui a pour effet, justement, d’éloigner les gens les uns des autres. Pensez-vous, ce faisant, diluer le peuple dans la trouille, comme on dissout le gras dans l’alcool ?
En fait, c’est à une extinction de la civilisation que vous vous livrez. Sans doute trouvez-vous qu’elle n’est pas assez mortellement atteinte, sous les coups de minorités qui ont leur propre agenda et grâce auxquelles nous ne serons pas privés de désert.
Quant aux arguments économico-sanitaires que vous mettez en avant, vous comprendrez bien qu’ils peinent à convaincre. Le peuple (qui existe toujours, quoi que vous fassiez) trinque pendant que vos amis festoient à la Bourse, dont les cours n’ont jamais été si hauts.
Méfiez-vous. À force de ravaler l’être humain vers l’animal, on finira par vous traiter vous-mêmes comme des bêtes — des animaux dénaturés, hors sol, qu’il faudra bien se résoudre à mettre en cage quand l’enchantement médiatique qui est votre seul atout cessera de fonctionner. Pensez, il n’y aura bientôt plus de foot à la télé, et le pain quotidien est déjà hebdomadaire. Vous êtes seuls, laids et bêtes, et vous ne vous en êtes pas avisés.
Jean-Paul Brighelli
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