Qu’il y ait des pédophiles dans le corps enseignant est une réalité. Qu’il y en ait fort peu est une autre réalité. Mais la médiatisation de quelques affaires incite les belles âmes à en voir partout, et à détruire des vies innocentes. Parce que la « parole des enfants », comme disent ceux qui y croient, n’est en rien crédible. Quant à la fiabilité de l’institution, qu’il s’agisse de l’Education nationale ou de la machine judiciaire…
Jean-Pascal Vernet était instituteur en Maternelle à Barrême, dans les Alpes de Haute Provence. Le 30 avril 2019, il est « suspendu à titre conservatoire » par son administration pour « suspicion d’attitude déviante », sur plainte de parents d’élèves. Il aurait notamment écrit sur le cahier de l’une de ses élèves « Bravo ma princesse ». Un crime…
Deux jours plus tard, le 2 mai, il a mis fin à ses jours. « Preuve de culpabilité », diront les imbéciles et les lyncheurs professionnels.
Pas même. Il s’agissait d’une confusion d’identification, « une erreur de copier-coller » visant une autre affaire distincte survenue à Entrevaux, vient de reconnaître l’Inspection académique, presque deux ans plus tard. Jean-Pascal Vernet, « mis en examen et placé sous contrôle judiciaire », n’avait rien fait. Rien. Il est mort.
Bien sûr, des erreurs judiciaires, l’Histoire en a recensé des milliers. Mais certaines périodes, sujettes à une hystérisation concertée, sont plus propices que d’autres aux jugements hâtifs.
En août 1997, Ségolène Royal, nouvellement nommée ministre déléguée à l’enseignement scolaire et qui voulait à toute force exister sans la lumière de Claude Allègre, ministre en titre, décrétait une croisade anti-pédophilie. « Il faut que la parole se libère », etc.
Des dizaines de plaintes arrivent alors au ministère, qui benoîtement les transmet à la Justice.
Alors, écoutez bien. En moyenne, chaque année (les chiffres sont ceux de l’Autonome de solidarité, une assurance complémentaire que prennent nombre d’enseignants), 8 à 10 plaintes étaient alors formulées, dont en moyenne 2 ou 3 arrivaient en phase judiciaire. C’est toujours trop, mais sur près d’un million d’enseignants à cette époque, ce n’est pas un tsunami.
L’effet Ségolène ne tarde pas : le nombre de plaintes monte soudain à 120 par an… dont 2 ou 3 arrivent en phase judiciaire. Le reste, du pipeau, des règlements de comptes, des on-dit, tout l’arsenal de la médisance et de la crédulité.
Un professeur d’EPS au collège de Montmirail, Bernard Hanse, mis en cause par un fabulateur de 14 ans, s’est suicidé sous la pression, alors qu’il n’était coupable de rien. Un mois plus tard, l’adolescent est mis en examen pour dénonciation calomnieuse. Ça n’a pas empêché Mme Royal de faire l’amalgame entre ce drame et des affaires d’inceste et de pédophilie passées sous silence à cause de pressions exercées sur les enfants et leurs familles. « L’affaire n’est pas finie, l’enfant s’est peut être rétracté sous la pression des adultes, sous le poids d’un suicide, les reproches qui lui avaient été faits d’avoir parlé », déclare-t-elle dans un grand média à une heure de grande écoute. Il fallait sa livre de chair, comme disait Shakespeare, à la ministre déléguée. Une façon de se grandir sur le cadavre d’un enseignant irréprochable. Tous les éléments du dossier ont été réunis par la famille de Bernard Hanse.
Ça m’a donné à tout jamais l’exacte mesure de cette policienne qui a prétendu devenir Président de la République… J’ai, dans un article ancien, fait le lien entre ces faits et une fiction de Thomas Vinterberg, la Chasse (2012), qui raconte comment un animateur de jardin d’enfants (Mads Mikkelsen, toujours aussi impeccable) est accusé par une petite fille d’attouchements — alors même que nous savons qu’il n’en est rien. Et comment il est pris en chasse par le village où il exerce. On lynche toujours au nom de la vertu — eh bien si c’est ça la vertu, ce n’est pas beau à voir. Pour un peu, on préfèrerait le vice.
L’histoire de Bernard Hanse, parmi d’autres, est relatée dans l’enquête de Marie-Monique Robin parue en 2006, l’Ecole du soupçon. L’enquêtrice, dont la méthodologie, dans ce dossier comme sur d’autres, est exemplaire, a récidivé l’année suivante avec un documentaire fort éclairant portant le même titre, et que l’on peut trouver in extenso sur le Net. En résumé, des enquêteurs peuvent faire tout dire à des enfants — et surtout ce qui ne s’est pas passé. Il suffit de savoir poser les questions. Pire : les gosses finissent par être persuadés que leurs affabulations sont la vérité — et comme il y en a encore qui croient qu’un enfant ne peut mentir… À la, fin de la Chasse, le héros demande à la gamine : « Mais pourquoi as-tu raconté ça ? » Et elle répond : « Mais parce que c’est vrai… »
Alors, se pose une question. Les enfants qui se sont imaginé, à cinq ou six ans, avoir été victimes d’attouchements, ou pire, quels adultes deviennent-ils ? Quand ils sont assez grands pour savoir tenir une plume, quelles confessions parfaitement imaginaires mais qu’ils croient vraies ne sont-ils pas capables de rédiger…
La police sait si bien à quel point il faut prendre ces témoignages avec des pincettes qu’elle enquête sérieusement sur les dénonciations avant de les faire entrer en phase judiciaire. C’est ainsi que 80% des plaintes pour viol sont classées — faute de preuves matérielles, et souvent parce qu’elles sont de pures inventions, que le motif en soit la vengeance, le remords, ou la croyance erronée dans la véracité des faits. Voir le fiasco de l’affaire d’Outreau : des vies massacrées parce qu’un juge en mal de notoriété a cru des témoignages douteux. Olivier Moyano, clinicien d’un service de protection judiciaire de la jeunesse, a analysé avec une grande pertinence la construction de cet imaginaire du viol, montrant comment un « fantasme traumatisant réparateur », fantasme d’agression sexuelle, est supposé « réparer l’effet traumatique au long cours du fantasme incestueux ravivé par l’entrée dans l’adolescence ». Mais enfin, m’ont récemment dit des étudiantes, une femme ne peut pas mentir…
Oui, certainement…
Rappelons enfin que l’aveu même des coupables — cet aveu que l’on appelait autrefois « la reine des preuves », et que l’on extorquait avec des moyens parfois abominables — n’est pas une preuve. Des individus perturbés, épuisés par des jours d’interrogatoire, peuvent avouer des crimes qu’ils n’ont jamais eu la possibilité matérielle de commettre — quitte à se rétracter plus tard. En attendant, sur les réseaux sociaux qui servent désormais de tribunal populaire instantané, les bonnes âmes se déchaînent, et quelques affaires répugnantes et sans équivoque entraînent des condamnations en chaîne sur de parfaits innocents… Comme disait le regretté Reiser : « On vit une époque formidable ».
Jean-Paul Brighelli
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