Cela fait un certain temps que je voulais rendre compte du livre de Pierre Conesa, Hollywar, paru en 2018 chez Robert Laffont. Sous-titré « Hollywood, arme de propagande massive », il décrit dans le détail, catégorie par catégorie, la façon dont, dès le départ, à l’aube du XXe siècle, la machine à filmer américaine a fabriqué le socle de l’Histoire et du pouvoir américains.
« Hollywood est la plus intelligente et la plus efficace machine à stéréotypes de l’histoire contemporaine », écrit l’auteur. Et d’analyser comment l’Amérique blanche s’est constituée cinématographiquement (et successivement) face aux Noirs, aux Peaux-Rouges, à « toutes les nuances de Jaune », puis globalement aux basanés (peu importe au cinéma hollywoodien que le méchant soit arabe ou iranien, pour le spectateur moyen, c’est pareil — ce qui doit faire hurler à Riyad ou à Téhéran), puis face aux Blancs nazis ou communistes (et, sous Bush Jr et Trump, le Français, nécessairement veule et lâche).
En vrai scientifique, l’auteur passe assez rapidement sur les chefs d’œuvre, réservés au fond à une intelligentsia internationale qui compte peu, et s’intéresse aux films que voient effectivement les Américains : les « petits » films des années 1950, quand on avait deux bandes pour le prix d’une, ou les « blockbusters » des années 2000 font appel aux même réflexes : instiller la peur, désigner la menace (qui n’est pas toujours « fantôme », comme dans Star Wars), exalter l’homme de la rue et son bon sens américain — ce que Conesa appelle le héros « jacksonien » —, et « s’assurer que les films de guerre se terminent par la victoire ».
C’est ainsi que le Pont de la rivière Kwaï, inspiré d’un roman français de Pierre Boulle qui se termine par l’échec de la mission, a été trituré de façon à ce que, providentiellement (ah, cette chute d’Alec Guinness sur le détonateur qui envoie le pont et le train dans la rivière, pile au bon moment !) l’histoire se termine bien : victoire du Bien, destruction du pont, chute du train dans la rivière, et grand massacre de Japonais.
L’objectif, dans cette nation qui a peu d’Histoire (cela fait quand même 500 ans qu’elle prétend sortir de l’œuf), est de faire de son cinéma une grande épopée collective. Le western a joué un rôle magistral dans cette réécriture du passé. Le film de guerre aussi : combien de guerres du Vietnam ont été gagnées sur l’écran ! En 1985 (cela ne fait jamais alors que dix ans que Saigon est tombée), Sylvester Stallone (dans Rambo II, la Mission) entreprend de regagner la guerre à lui tout seul en allant délivrer des prisonniers de guerre. 300 millions de dollars de recettes (pour 25 de budget), cela donne une idée de la façon dont le film a été plébiscité.
Comme dit Conesa, quel film français aurait eu l’audace de montrer un commando retournant en Algérie après 1962 pour venger les soldats émasculés par le FLN ?
Et c’est là qu’une différence majeure apparaît entre la production française (la troisième au monde, rappelons-le, après les Américains et les Indiens de Bollywood) et la production américaine. Les USA sont un pays « sûr de lui et dominateur », comme disait l’autre… Un pays qui n’a pas rendu les armes à toutes les forces de dispersion et de désintégration auxquelles la France s’est livrée sans combattre. Le cinéma français, lui, s’occupe d’histoires sentimentales d’une mièvrerie insoutenable, de familles recomposées, d’Arabes et de Noirs maltraités par une police légèrement fascisante (à croire qu’Assa Traoré écrit des scénarios à la chaîne). Il ne s’intéresse plus à l’histoire millénaire de ce « cher et vieux pays » (cherchez donc le dernier film historique de poids), elle surfe sur l’actualité la plus vulgaire, ou maltraite de grands classiques : la presse spécialisée s’acharne ainsi à faire croire que Ladj Ly a pondu une version des Misérables supérieure à toutes celles qui l’ont précédée. Tapez « Les Misérables film » sur Google, et tout renvoie, sur les dix (!) premières pages, à l’œuvrette de Ly — avec une (et une seule) insertion pour le film de Robert Hossein avec Lino Ventura. « Un film qui bouscule la Macronie » titre l’Express — alors qu’en fait il la conforte, dans sa vision déshistoricisée et acculturée de l’Histoire de France. Du chef d’œuvre de Raymond Bernard (1934) où jouait (entre autres) le pharamineux Harry Baur, aucune nouvelle.
Nous sommes honteux de notre histoire, honteux de notre rayonnement. Le français est la sixième langue la plus parlée dans le monde, mais nous répugnons désormais à l’enseigner, nous nous pâmons devant la façon dont on massacre la langue de Marivaux dans l’Esquive, qui se prétend une révision du Jeu de l’amour et du hasard — et il se trouve une foule de critiques pour nous assurer qu’Abdellatif Kechiche est un vrai metteur en scène. Pendons-les !
Non seulement nous ne savons plus faire de grands films, mais nous sommes incapables d’en faire d’efficaces. L’idéologie française est morte — et le pays avec elle. Nous avons exporté les Lumières aux quatre coins de la planète, mais nous devons nous en excuser. Nous avons inventé la galanterie, mais nous devons l’oublier. Nous avons aboli l’esclavage bien avant les Américains, mais nous devons nous flageller au souvenir des négriers nantais.
Pierre Conesa a certainement joué, en forgeant le néologisme « Hollywar », sur la proximité phonétique entre « holly », le houx, et « holy », saint / sainte. C’est bien une « Holywar » que mène l’Amérique contre tout ce qui voudrait la réduire. Les universités peuvent bien bruire d’invectives « woke », le grand public américain s’en fiche, il plébiscite les films qui glorifient le pays, il met des bannières étoilées dans toutes les classes, il entame le Super Bowl par un hymne national chanté par tous les joueurs la main sur le cœur — pendant que nous avons autorisé, nous, Christian Karembeu à snober la Marseillaise, et que nous l’avons encore sélectionné après ce camouflet qui aurait dû le renvoyer à sa chère Nouvelle-Calédonie.
Nous avons renoncé — et si quelque chose le prouve, c’est l’écart entre la production hollywoodienne, toujours dominante, et les raclures de bidet de la cinématographie française. Une décadence se repère aux démissions qu’elle tolère. Et les politiques de quotas qui se mettent en place — voir le très imbécile rapport de Pap Ndiaye sur l’introduction de la diversité à l’Opéra de Paris, le « cygne noir » de Tchaïkovski aura désormais intérêt à l’être pour de bon — sont autant de courses à qui se fera le plus servile face à des idéologies qui n’ont pas peur de s’afficher comme telles. L’islam, par exemple.
Jean-Paul Brighelli
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