Je viens de passer trois jours chargés à Paris, et j’en rendrai fidèlement compte aux affidés de ce blog, afin de leur faire partager quelques idées qui me sont venues au fil des boulevards. « J’aime flâner sur les grands boulevards », chantait Montand — et pour flâner, j’ai flâné. Piéton de Paris à jamais.
Je tente d’habituer mes élèves, quand je leur apprends les arcanes d’une explication littéraire, à repérer ce qu’il y a de significatif dans le texte — dans ce qui est écrit, mais aussi dans ce qui manque. Eh bien, j’ai pris Paris comme texte : effets de style et absences, j’ai tenté de tout noter.
Imaginons un ministre, installé à l’arrière de sa voiture de fonction, glissant tout en douceur à travers la capitale. Que voit-il ? Des gens bien habillés, affairés, faisant sagement la queue devant les musées, et même parfois dans les restaurants. Des gens comme lui, Occidentaux quand ils ne sont pas touristes. Money, money, money.
En trois jours, j’ai rencontré quatre femmes voilées. Quatre. Pas une de plus. Bon, j’avoue ne pas avoir hanté Barbès — mais le ministre non plus ne s’y rend pas. La Gare de Lyon, le Marais, le Quartier latin, l’axe Bastille-Etoile, Daumesnil, le Trocadéro, et même la Cartoucherie de Vincennes, tout cela est totalement dépourvu de ces petits pions noirs que la superstition avance si commodément dans les autres villes de France — je veux dire dans les villes réelles. Là où l’on ne mange pas toujours à sa faim, où l’on s’habille comme on peut, et où l’on ne ramasse pas les poubelles. Pas tous les jours au moins.
Parce qu’il n’y a pas à Paris de femmes voilées, ni de papier qui traîne. France non seulement propre, mais aseptisée. Des foules arborant les signes extérieurs de la réussite et du bonheur. Pas une souris, pas un rat, même la nuit. Rentré dimanche soir à Marseille, j’ai croisé une douzaine de mes rongeurs familiers entre la gare Saint-Charles et le port, butinant les ordures, disputant leur pitance aux goélands, dans des ruelles où un lampadaire sur deux est brisé, où les odeurs les plus suspectes montent des caniveaux, et où les carences du traitement des déchets — le fini-parti si cher à Force Ouvrière — offrent aux nuisibles de quoi se faire les dents.
À Paris, Darwin n’aurait rien appris. Les bobos parlent aux bobos. Au théâtre vendredi soir, Cartoucherie de Vincennes, il n’y avait autour de moi que deux sortes d’individus : des vieux de mon âge, habitués du lieu, qui y venaient sans doute quand ils avaient les cheveux longs et qu’Ariane Mnouchkine y réinventait le théâtre de tréteaux, ou qui suivaient les cours de Deleuze à la fac de Vincennes, toute proche, avant qu’Alice Saunier-Seïté ne décide de la raser au bulldozer pour effacer les dernières traces de 68 ; et des jeunes, venus en classe entière avec leurs distingués enseignants, classes de Seconde, Première et Hypokhâgne, à vue d’œil, jeunes gens et jeunes filles beaux comme les Eloïs de H.G. Wells dans la Machine à explorer le temps.
Rentré à Marseille, j’ai retrouvé les Morlocks, la France colorée, basanée, diverse, bruyante, mal élevée. Le lendemain, j’étais à Lyon : en dix minutes à la Part-Dieu, vous croisez la même France dépenaillée ; en dix minutes les doigts vous manquent pour compter les tchadors. Trois heures plus tard, j’étais vers Clermont-Ferrand : à la sortie du supermarché, c’étaient des Turques qui importaient tranquillement leurs habitudes vestimentaires et leur babil coloré.
Mais voilà : les ministres ne se rendent pas à Marseille, ni dans le centre commercial ou la gare de Lyon-Part-Dieu, ni dans les grandes surfaces de province. Ils ignorent tout de la France réelle, celle qui va voter contre eux, ou peut-être même ne pas voter, et demander des comptes dans la rue.
Dans les 1001 nuits, le calife Haroun-Al-Rashid se déguise souvent pur aller prendre, nuitamment, le pouls de Bagdad. Mais c’est une fiction, et ça se passe au IXème siècle. Dans la réalité du XXIème, le ministre glisse sur les boulevards bien éclairés dans sa jolie limousine aux vitres teintées, et il pense, innocemment, que la France va bien — grâce à lui peut-être.
Il a fallu que j’aille jusqu’à la Porte dorée pour trouver une trace, enfin, de la réalité — ou d’un jugement sur la réalité. Je vous l’offre :
Jean-Paul Brighelli
J’étais hier aux puces de Montreuil – je n’y étais pas retourné depuis dix ans – pas de femmes en burkas non plus qu’aux puces de Clignancourt.
Ceci s’explique fort bien : ces femmes-là restent cloîtrées chez elles et ne vont pas faire leurs courses très loin de leurs domiciles.
Pour voir les voiles, il faut aller à Barbès, La chapelle, Belleville (marché le mardi et le vendredi (très très peu de blancs), le marché fait un kilomètre de long : pas un seul charcutier, un fromager, une marée de voiles et de barbes ; quelques librairies islamistes à Couronnes. Non seulement il y a les voiles, mais la minorité ethnique (donc les étrangers), se sont les européens. On trouve aussi beaucoup de voiles dans les les universités : Jussieu, Saint-denis, langues O, il faut voir les cours d’arabe pour le croire, on frise les 100 pour cent de voiles.
Le problème n’est pas les voiles, ce sont les gens qui depuis quarante ans laissent rentrer des gens qui appartiennent à une autre civilisation, vocable qui est presque un gros mot pour la gauche.
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