Je voudrais ajouter quelques éléments de réflexion à la Note précédente. 

    De nombreux commentateurs ont déclaré que, pour éviter ce genre de scènes, ils ne donnaient plus de devoirs à la maison. Je passe sur le caractère prétendument anti-démocratique de tels exercices : sous prétexte que les parents peuvent toujours aider les élèves, il faudrait, pour égaliser les chances, ne donner de devoirs qu’en classe. Ce serait peut-être une solution, si nous disposions d’un emploi du temps extensible dans toutes les matières. Or, par exemple, le Français a particulièrement souffert dans les années 1980-90 (20% de temps scolaire en moins). Et de nombreuses activités parasites se sont greffées sur un emploi du temps qui souvent ne vise plus qu’à occuper les élèves, faute de vouloir/pouvoir leur inculquer des notions exactes. Alors, où caser des devoirs surveillés ? Dans quelles plages horaires ? À quels intervalles ?

    D’autres ont déploré la mystique de la Note, qui, dans l’absurde, donne les raisonnements fallacieux d’Antibi et de ses semblables : la mauvaise note « humilie » (« Qu’est-ce que nous avons été humiliés ! », ricane mon boulanger, fervent lecteur de ce Blog — et il a fortement raison (1)), et par ailleurs l’élève ne travaille plus que si c’est noté : de nombreux internautes ont rappelé qu’un exercice non noté est souvent un exercice saboté.

    Et encore une fois, le sport pourrait nous servir de modèle.

    Que convoite un sportif ? Un résultat (un seul, souvent…), parfois sur les 9 ou 10 secondes d’un 100 mètres — presque rien, mais tout est là, pour lui. Et pour y arriver, il a consenti à souffrir, à courir, courir, courir encore, démarrer, dix fois, cent fois, soulever de la fonte, avoir mal, avoir très mal, et se faire sérieusement enguirlander par son entraîneur — bref, en un mot, TRAVAILLER.

    Et il ne (se) demande pas pourquoi il fait ceci ou cela — alors que 90% des élèves, un jour ou l’autre, dans la morale utilitariste qui est la leur, lance un « À quoi ça sert ? » cinglant. Il ne le demande pas, parce que toute son énergie est tendue vers un objectif clair : la finale, et la médaille. Voir ma Note sur la Danse au collège, aux USA : c’est d’autant plus formateur que c’est une compétition. Et (seuls les imbéciles s’en étonneront), d’autant plus ludique. L’effort, la contrainte, génèrent du plaisir.

    Et peut-être faudrait-il dire précocement, aux élèves et aux parents, que nous ne vivons pas dans un monde de bisounours. Que la compétition les attend, à la sortie. Féroce. Interminable. Quarante ou quarante-cinq ans de lutte, dont l’aboutissement est encore un terme militaire — la retraite. Et sans doute faudrait-il les préparer un peu mieux — cela leur éviterait le stress : plus les exigences scolaires baissent, plus le stress augmente. 
    Inversons le processus. 

    Par parenthèse, c’est aussi l’un des effets collatéraux de l’entraînement — et les entraînements sportifs peuvent être d’une férocité particulière : on arrive au jour de la compétition sans grande appréhension, tant on a l’habitude de gérer l’adrénaline. On y prend de surcroît du plaisir. On en sort épuisé et ravi. Prêt à recommencer.

    Proposons donc…

    Il existait autrefois (un « autrefois » qui n’est pas pour moi un mythe, ni une nostalgie, pas même un modèle, mais qui peut être une source d’inspiration : il n’est pas plus sot de lorgner vers les années 1960 que de s’extasier devant les résultats des Finlandais ou des Singapouriens) quelque chose qui marchait assez bien, que l’on appelait les « compositions trimestrielles ». Une épreuve, dans chaque matière. Un couperet. Tout ce qui se faisait dans le trimestre n’était que l’entraînement au jour J. Souvent, ça ne comptait même pas — ou si peu…

    Est-ce une idée inconcevable — ou si réactionnaire ? Vous voulez des Devoirs surveillés ? Banalisons une semaine par trimestre, où les élèves passeront des tests grandeur nature. Les notes annexes pourront, à la rigueur, corriger un accident, un contresens malencontreux, une absence inopportune. Le corriger à la hausse : on ne retiendrait que les bonnes notes — que l’on distribuerait avec parcimonie, de la même manière qu’un entraîneur caresse rarement l’athlète dans le sens du poil… Quant aux mauvaises, elles seraient les signes avant-coureurs (si je puis dire…) de l’incapacité à passer la dernière haie — la plus haute…

    Plus de logiciel ProNote et autres horreurs informatiques qui s’apparentent davantage à du flicage qu’à de la pédagogie. Plus de tentations administratives d’intervenir sur le travail des professeurs, comme ce Principal de collège si désireux de faire plaisir à une mère d’élève plus stressée encore que son enfant. Plus de chantage : le conseil de classe serait la chambre d’enregistrement des performances — et on aurait de quoi juger. Pas de constellation de notes dont la valeur est rarement comparable : trois examens par an, des épreuves « lourdes », dans une salle conçue pour cela, afin d’augmenter le caractère solennel de la chose. On le fait en classes préparatoires, et personne n’en meurt. On le fait dans de nombreux lycées, sans trop oser le dire — mais certainement pas dans ceux qui expérimentent déjà la Réforme Descoings…

    Alors, du travail à la maison, certainement. Et avec toutes les aides du monde, bibliothèques, informatique, — ou parents : il y a tant de manières pour un parent de s’impliquer dans le travail de son enfant… Mais une vraie égalité dans la compétition au bout de l’effort. Un classement, éventuellement — les gosses en sont férus. L’effort, c’est tous les jours — et la performance, c’est au bout de la ligne droite.

 

Jean-Paul Brighelli

 

(1) J’ai eu, en Quatrième, au lycée Saint-Charles de Marseille, un professeur de Français-Latin-Grec, un dur à cuire, vieux de la vieille qui d’ailleurs prit sa retraite à la fin de l’année (il s’appelait Jean — requiescat in pace…) qui en arrivait à mettre des notes négatives (il ne voyait pas pourquoi il se serait arrêté à zéro — j’ai repris le truc autrefois en collège, avec un grand succès auprès des élèves, totalement conquis par les notes spectaculairement catastrophiques qu’ils avaient en dictée). Bref, je me suis retrouvé Premier en Version latine avec… zéro. Et il ne serait pas venu à l’idée de mes parents de contester ledit zéro — le dernier, leur avais-je précisé, avait -80. Ça finissait par être un gag : contrairement à ce que croit les sectateurs d’Antibi, la très mauvaise note désinhibe.