Le mercredi 7 novembre s’est tenue au ministère, rue de Grenelle, une réunion plénière de tout ce que la France de la refondation scolaire compte de gros bras et de petites mains. Face au ministre, encadré de ses principaux conseillers (Mark Sherringham, Philippe Court, Yves Cristofari et Laure D.), se tenaient aussi bien les représentants d’organisations ayant pignon sur rue (le GRIP via Jean-Pierre Demailly, Michel Delord et Guy Morel, Sauver les Lettres à travers Michel Buttet et Agnès Joste, Reconstruire l’école par Pedro Cordoba himself, Bernard et françoise Appy pour la Troisième voie, Brigitte Etienne pour LIRAS, et j’en passe), et des « personnalités » aussi éclectiques que Danielle Sallenave, Rachel Boutonnet, Cécile Ladjali, Marie-Christine Bellosta, Catherine Kintzler, Marc Le Bris, Denis Kambouchner, Eric Zemmour — et un ou deux autres…

La lettre d’invitation au ministère ne laissait guère planer de doute sur l’objet de la réunion, et les options : « D’une manière récurrente, des voix se font entendre pour stigmatiser la faillite de l’école républicaine et la destruction programmée de l’enseignement des disciplines, du cours préparatoire au lycée… » Restait au ministre, comme il le précisait, d’entendre ce qui pourrait se dire — les conclusions lui appartenant. Un ministre, comme un metteur en scène, est le seul habilité à dire le mot essentiel — « action ! »

Le tour de table dura longtemps. On avait des choses à (se) dire.
Le ministre ouvrit les débats avec ce ton amène qu’il affectionne quand il doit dire des choses un peu définitives : l’école qu’il connaissait, l’école qu’il voulait, était l’école de la transmission. Et comment transmettre, sinon par un usage concerté de la langue ? Et comment arriver à la maîtrise de la langue, sinon par un recours systématique à la littérature ?
On régla ultérieurement la question littéraire : on n’avait pas besoin de tout ce fatras de « littérature jeunesse » qui est presque parvenu à occulter des textes bien plus fondamentaux que les œuvres complètes de Gudule…
Autre nouvelle, pour mettre dans l’ambiance : les indicateurs internationaux, qui doivent livrer leurs conclusions ce mois-ci, marquent tous un recul très net des performances de la France scolaire. Nous progressons vers le fond de la classe…
D’où le souhait du ministre : parvenir — aussi vite que possible — à redéfinir des programmes nationaux clairs et lisibles — sur le modèle de ceux de 1923 : en trois pages, on tenait dans sa main toutes les ambitions du Primaire. Il n’est pas exclu que l’abondante production langagière de la techno-structure du ministère ait participé à l’écran de fumée qui permet aux pires intentions de s’épanouir.
D’où une affirmation très nette : la liberté pédagogique sera totale, à ceci près qu’elle fonctionnera dans les bornes étroites de programmes exemplaires.
Cela dans des temps très prochains. Auparavant, il conviendra, a ajouté le ministre, de dire la vérité sur l’état de l’école — et de la dire au peuple, pas aux spécialistes de la spécialité.
Bien entendu, le locataire de la rue de Grenelle doit composer avec les nécessités budgétaires, les circonvolutions et contorsions syndicales (là, j’en rajoute un peu, XD est en surface plus poli que ça). D’où l’importance de nouveaux programmes, qui feront basculer dans le qualitatif un raisonnement qui, pour le moment, ne s’inscrit que dans le quantitatif.

Les Appy ont ouvert le feu, expliquant (à loisir…) les subtilités de la troisième voie et de la pédagogie explicite. Ce que j’en retiendrai, dans les questions qui ont suivi, c’est l’affirmation — partagée par tous, ou presque — d’un nécessaire pragmatisme, ce qui n’exclut pas l’utopie — allez, je vous le dis, « utopie pragmatique » sera le maître-mot de mon prochain livre. Catherine Kintzler, jadis auteur d’un ouvrage fondamental sur Condorcet, est passée par la métaphore rugbystique pour expliquer qu’il fallait en revenir aux « fondamentaux » , et, selon son expression, « alléger le cartable » pour alourdir la tête. Certes, a répliqué le ministre — mais cela suppose de demander à des enseignants de faire différemment de ce qu’ils ont toujours fait, dans la mesure où nombreux sont ceux qui, dans les dix ou quinze dernières années, n’ont pas été formés aux « humanités » qui doivent redevenir la clef de voûte des études, du Primaire au Bac.
Pedro Cordoba a clairement expliqué que si l ‘on peut, en Primaire, élaborer tout de suite des programmes entièrement nouveaux — quoi qu’en pense le SNUIPP, qui comme nombre de syndicats de gauche est d’un conservatisme accablant —, une telle option n’était pas possible dans le Secondaire, où il faudra, dans un premier temps, gérer l’existant, et concevoir des programmes intermédiaires, des cotes mal taillées susceptibles de prendre en compte les difficultés réelles des élèves, et non des programmes utopiques qui ré-imposeraient la dissertation à des élèves qui ont perdu l’habitude de rédiger. Après s’être demandé si le collège unique, condamné par tous les participants, était réellement derrière nous, et si nous ne prenions pas nos désirs pour des réalités, il s’est penché sur l’enseignement des langues, notant combien le cadre européen de référence était inadéquat, mais laissait heureusement une marge d’interprétation que chaque pays devait utiliser pour pallier au mieux ses insuffisances. Quant à la formation des maîtres, une question est restée ouverte — mais le simple fait de la poser implique au fond une réponse : vaut-il mieux modifier les programmes, par arrêtés judicieux, ou prescrire aux IUFM et aux universités de nouvelles directives — qui risquent fort d’aller dormir dans un tiroir avec tant d’autres ? Je me suis alors souvenu d’une remarque de XD dans « Education nationale : un grand corps malade » : « Nous sommes prescripteurs, mais nous écoute-t-on ? » — preuve s’il en fallait que le ministre, nourri dans le sérail, en connaît tous les étrangleurs.

Comme je ne veux pas abuser de la patience du lecteur, la suite à plus tard — cela fera deux fils au lieu d’un seul.

Jean-Paul Brighelli