An 01 / suite du compte-rendu de la réunion du 7/11

Agnès Joste, pour Sauver les Lettres (relayée par Michel Buttet en seconde partie d’exposé) fit la catalogue de tous les points de désaccord de son organisation — une anaphore involontaire de « contre » qui manquait peut-être un peu de pragmatisme — en tout cas, d’esprit de proposition : SLL est donc « contre la réduction des horaires en Primaire » (ah, la pomme de discorde du samedi matin, et Darcos eut beau expliquer à quoi allaient servir ces heures — non supprimées mais déplacées pour l’instruction des plus faibles —, le désaccord persista), « contre le sujet d’invention » — un beau sujet de discorde en perspective avec Cécile Ladjali, qui comme le savent les lecteurs de ce blog, a tiré de ce prétexte de l’invention de splendides effets ; « contre les séquences », qui encouragent à une transversalité délétère ; « contre la transversalité » du français en Primaire (je rappelle aux non-initiés que c’est au nom de ladite transversalité qu’un énarque quelconque, il y a quelques années, avait cru bon de faire réduire les heures de Français au Primaire, sous prétexte que du français il s’en faisait aussi en maths, en Histoire, en Sciences — on additionnait ainsi des demi-quart d’heure, et on arrivait à la conclusion que l’on pouvait supprimer des heures entières de Français — c’est ainsi que l’on est arrivé à 6 heures hebdo, que Darcos veut porter à 8), et « contre les conventions européennes — du type Protocole de Lisbonne, j’en ai dit tout le mal que l’on pouvait en penser dans la Fabrique du crétin. Après avoir noté que l’égalitarisme en place est producteur d’inégalités (et, ajouterais-je, de bien plus d’inégalités que jamais n’en produisit l’élitisme le plus forcené), les duettistes ont ajouté qu’il fallait augmenter sensiblement les horaires, revenir en Français / Lycée aux programmes de 1985, et rajouter des heures en Collège.
Sur la question des programmes de Lettres, Darcos a fait chorus en notant que le structuralisme appliqué aveuglément aux textes œcuméniques étudiés autrefois en classe avait eu pour effet d’exclure les exclus du système. Seule une approche culturelle, historique, esthétique, pouvait les réconcilier avec les œuvres majeures — Danielle Sallenave, qui a plaidé cette cause il y a plus de 15 ans dans le Don des morts (Gallimard) buvait du petit lait d’entendre le ministre se faire le chantre d’un retour aux grandes œuvres.

Denis Kambouchner a fait chorus, demandant que les élèves ne considèrent plus les grands textes comme des ennemis. Il a eu une jolie formule : il faut, a-t-il dit, considérer le Primaire comme un « jardin de culture » dans lequel l’élève doit être immergé. Après avoir rappelé que l’ennemi, bien installé, était redoutable, tant il avait noyauté l’Education Nationale depuis trois décennies au moins, il a appelé à un Grenelle de l’Education — j’avais noté, dès la Fabrique du crétin, que la rue s’y prêtait…
Darcos est revenu sur cette question des grandes œuvres, suggérant de restaurer les « exercices d’admiration ». Et, mezza voce mais assez fort pour être entendu, il a clairement expliqué que si d’aucuns voulaient dresser une école contre l’autre, il passerait par le Parlement et l’opinion publique, qui est un peu fatiguée, ces derniers temps, de consacrer ce qu’il lui reste de budget à entretenir Acadomia et les éditions Belin, qui éditent la méthode Boscher…
Cécile Ladjali a rebondi immédiatement sur la question du « bain de culture » — parce que la culture s’inscrit contre la barbarie, que l’école doit se dresser contre la loi des Cités, où le « parler mal » est la norme (sous peine d’être un « bouffon »), alors que le « parler bien » est justement ce qui fait de nous des humains : du barbarisme à la barbarie, a-t-elle conclu en évoquant Barbara Lefèbvre, il n’y a qu’un pas. Il faut (re)donner les mots à ceux qui en sont dépourvus, par l’art et par les grands textes, l’émotion esthétique étant au fond le premier pas vers ces « exercices d’admiration » dont parlait le ministre. Le « par cœur » lui paraît essentiel, ne serait-ce que pour établir une « culture de l’effort » actuellement à la dérive : Racine, c’est mieux que Diam’s, n’en déplaise à ces leaders syndicaux qui voudraient limiter les études littéraires à l’analyse de Titeuf. Fine mouche, Ladjali a noté que le problème, contrairement à ce que pensent trop de gens, c’est moins l’écrit que l’oral : on parle le « 9-3 » dans la cité, le « parler bourgeois » au lycée — et pendons les pédagogues qui ont entériné cette division, et condamné les grands auteurs comme représentants infâmes de la culture bourgeoise.
Cela aurait amusé Baudelaire ou Flaubert (nous sommes au 150ème anniversaire de leurs démêlés avec la Justice impériale) de se savoir désormais « bourgeois » — du moins auraient-ils ri jaune.
Revenant sur la distinction cités / centre ville, XD a noté que les principaux demandeurs, en cette rentrée, de dérogations à la carte scolaire, ce furent les jeunes filles des cités, désireuses de continuer à travailler loin des « grands frères » — parce que pour elles, seule la réussite scolaire peut être gage d’émancipation. Et plusieurs des participants se sont demandé s’ils ne faudrait pas refaire des classes de filles, justement pour les protéger de l’a-priori négatif que trop de garçons ont sur les études et la réussite.

La suite un peu plus tard…

Jean-Paul Brighelli