Vint le tour du GRIP — un chorus émouvant de Morel / Demailly / Delord…
Morel attaqua bille en tête sur la grammaire, la nécessaire réécriture des programmes, la question de la progression, et les problèmes de nomenclature — renvoyant au séminaire Grip qui s’était tenu la veille et l’avant-veille (ces gens-là bossent, qu’on se le dise, parmi ceux qui, ici, passent en dilettantes — ou passent pour des dilettantes). Evoquant le SLECC, il eut l’assurance que le ministre visiterait une classe expérimentale de ce type dans un avenir très proche, et qu’il ne tiendrait qu’à nous de donner à cette visite un relief médiatique adéquat.
Puis des suggestions diverses sont venues s’ajouter à cette base : rédiger les problèmes de maths en français, afin que la maîtrise de la langue soit clairement l’enjeu du Primaire — la rédaction au Collège, souvent presque abandonnée, a souffert de l’abandon de la rédaction des problèmes, en Primaire. Jean-Pierre Demailly a déploré la « primarisation » du Collège, dont il faut impérativement restructurer les programmes : « Aujourd’hui, a-t-il ajouté, on demande aux élèves bien peu de pré-requis, en particulier en sciences. D’où, plus tard, la désaffection des matières scientifiques, qui se fait violemment sentir en classes préparatoires ». Les pays-modèles, il ne faut pas les chercher en Scandinavie (XD avait par avance discrédité toute idée de comparaison avec la Finlande), mais en Corée du Sud ou à Singapour.
Suivirent des remarques complémentaires sur l’américanisation des évaluations, qui demandent de moins en moins de rédaction et tirent nécessairement le niveau vers le bas, la nécessité de diversifier les filières, dès le collège, pour augmenter la flexibilité — la vraie fin du collège unique, n’est-elle pas là ? La Seconde indifférenciée fabrique des élèves indifférents à leur devenir, et repousser sans cesse l’heure du choix est la pire des solutions, surtout si l’on a en tête le souci de composer des programmes efficaces. En fait, les trois années du Second cycle, de la Seconde à la terminale, sont déjà notoirement insuffisantes pour préparer à une insertion universitaire harmonieuse. Il convient donc de pré-former les élèves de Collège…
Quant aux résistances que l’on pourrait trouver sur le terrain… Le SLECC et la pédagogie explicite convaincront les tièdes, et l’opinion publique, dûment informée, achèvera de persuader les durs : partout où sont appliqués les programmes SLECC, on constate un soutien massif des parents — et je l’avais moi-même vérifié à Roncq, fin août.

Je n’aurai pas l’outrecuidance de rapporter ma propre intervention — elle est en substance dans les Notes publiées depuis un mois : il ne faut pas s’interdire de rêver à un grand projet humaniste, pourvu que l’on se donne, dans le concret, les moyens de faire avancer les enfants à l’âge d’homme. En deux mots, et ce sera le thème central de mon prochain livre, il faut caresser l’utopie pragmatique — ne pas se réfugier dans des considérations quantitatives, mais chercher à faire mieux avec ce que nous avons déjà, à donner plus à ceux qui n’ont rien.
Danielle Sallenave a commencé par exprimer sa grande joie de voir enfin, en ce jour, brisée la grande solitude qui était la sienne pendant qu’elle criait dans le désert : le Don des morts remonte tout de même à 1991, et Sa Sainteté Bourdieu, dans l’Amour de l’art (1996), tirait à vue sur cette enseignante — elle était professeur à Nanterre, et je la salue bien bas au passage, j’ai soutenu ma maîtrise devant elle, il y a… trop longtemps
Je n’aurais jamais cru, au cours de ma vie, assister à une mutation physiologique (la disparition des dents de sagesse) aussi rapide. Sallenave, elle, n’aurait jamais cru assister à la disparition de la syntaxe. Il faut apprendre la langue, répéta-t-elle en insistant sur le singulier. Mais voilà : au royaume de Dogmatie, la pédagogie passe pour une science (alors qu’elle est un art qui peut, évidemment, utiliser des sciences). Et de citer Michel Leroux (De l’élève à l’apprenant, Editions de Fallois, 2007) — XD, grand amateur de Leroux, fit immédiatement chorus — racontant comment le strict relevé du vocabulaire d’une page de Proust peut faire croire qu’il s’agit d’un récit de voyage alors qu’il s’agit au contraire du récit d’un non-voyage, d’un enracinement qui n’osera jamais la mer… L’éducation, conclut-elle doit devenir une grande cause nationale.

Marc Le Bris recentra le débat sur programmes du Primaire : puisque volonté politique il y a manifestement de les recomposer — et cela fera assurément plaisir à tous ces parents qui s’angoissent devant la catastrophe —, il faut que les futurs programmes soient simples, logiques et progressifs. Calcul, lecture, écriture doivent devenir des actes réflexes — et il faut s’en donner les moyens. Le par cœur, le travail régulier, acharné, n’ont d’autre objet que de permettre aux élèves d’acquérir une vraie liberté, alors que le vagabondage qu’on leur autorise aujourd’hui est une chaîne lâche, mais une chaîne hypocrite, et plus prégnante qu’une vraie chaîne, parce que les enfants ont intériorisé leur assujettissement : l’analyse grammaticale, loin d’être une contrainte, est un chemin vers la liberté.
Le Bris insista pour finir sur la nécessité de mesurer les résultats, d’une façon plus fine que les évaluations aujourd’hui utilisées. À cette mesure, deux obstacles : les IEN, dont toute autonomie des enseignants diminue le pouvoir, et les enseignants eux-mêmes, parfois trop soucieux de se réfugier derrière des critères nationaux, tout imparfaits soient-ils. Or, c’est sur le terrain, école par école, que l’on doit mesurer les progrès accomplis.
Enfin, il déplora la façon sournoise dont des programmes aberrants, une hiérarchie aveugle ou idéologiquement bornée, laminent en peu de temps les bonnes volontés des néophytes de la profession, qui arrivent la fleur au fusil, et qui se découragent devant tant de barrages. Rachel Boutonnet avait expliqué en son temps comment elle avait dû ruser, ses premières années, avec des IEN qui ne voulaient voir qu’une seule tête — courbée, si possible.

(à suivre…)

Jean-Paul Brighelli