Un certain Christian Forestier est interviewé samedi 3 mars par Ouest-France (http://www.ouest-france.fr/ofinfosgene.asp?idDOC=381761&idCLA=3636), et y assène l’une de ces statistiques qui sont devenues le fond du discours sur l’école, et permettent généralement de ne pas s’interroger sur le sens de ce discours. Interrogé sur la valeur du système éducatif français, Sa Suffisance déclare : « C’est l’un des meilleurs du monde… Mais seulement pour la moitié des élèves ! L’étude internationale Pisa, qui compare le niveau des jeunes de 15 ans dans les 60 pays les plus développés, le montre bien. Nos petits Français y apparaissent comme, disons, un peu mieux que moyens… Mais si l’on n’étudie que les 50 % qui n’ont jamais redoublé, ils obtiennent des résultats extraordinairement élevés. A contrario, l’autre moitié obtient des résultats franchement mauvais. Donc, on a aussi l’un des systèmes les plus médiocres lorsqu’il s’agit d’aider les élèves en difficulté. »

Et il en déduit… qu’il faut supprimer le redoublement, « pression » inacceptable. Avec un argument inédit, mais qui ira droit au cœur des admirateurs de ces intellectuels qui s’appellent Papin, Ribéry ou Ronaldinho : « Pourquoi un élève qui aurait des difficultés en lecture serait interdit de jouer au foot avec ceux de son âge ? »
Et de prôner un allongement du temps scolaire, scandaleusement réduit sous la pression des « familles favorisées », et un soutien individualisé « à l’intérieur de l’école ». Pour cet homme qui a fait toute sa carrière sous l’égide du PS — mais pas seulement —, c’est une bonne manière d’adouber celle qui voudrait voir les enseignants faire de la garderie 35 heures par semaine dans les collèges et lycées… Et de ressortir l’inépuisable modèle scandinave, dont il a été déjà question ici même (1) — pour démontrer que rien n’est comparable, et que prôner le transfert en France d’un système finlandais où il y a moins de 0,5% d’élèves d’origine étrangère est une escroquerie.
Dernier point. Le redoublement « coûte 2 milliards d’euros par an » — ça, c’est un bel argument pédagogique. Et le soutien ne passera ni par une diminution du nombre d’élèves par classe, ni par un recrutement d’enseignants. En voilà un gestionnaire intelligent, qui prépare le terrain au futur titulaire, de droite ou de gauche, du ministère de l’Education, des vaches maigres et des rutabagas.

Deux choses.

D’abord, qui est ce Christian Forestier ?
C’est un apparatchik de l’Education nationale, l’un de ces institutionnels insubmersibles grâce auxquels l’école de Jules Ferry a été ruinée de fond en comble, ces trente dernières années. Professeur d’électronique dans un lycée technique à la fin des années 60, il se fait recruter en IUT, et devient président de l’université de Saint-Etienne en 1978 — il a 34 ans. C’est là que, trois ans plus tard, le PS arrivé au pouvoir vient le chercher pour en faire le plus jeune recteur de France — parce que Mitterrand, lui, contrairement à l’équipe actuellement au pouvoir à qui l’on reproche — c’est assez cocasse — son dirigisme, a commencé par virer tous les personnels en place, pour les remplacer par des amis sûrs, des carpettes dévouées.
L’art de la reptation, comme disaient Cyrano et Léo Ferré, vaut donc à Christian Forestier d’être successivement recteur de Reims, puis de Dijon, inspecteur général, recteur à nouveau, nommé finalement à Versailles, avant d’être directeur de cabinet de Jack Lang entre 2000 et 2002. Comme c’est un cumulard, il cohabite sous Bayrou, en 1993-95 (il est alors directeur d’administration centrale, l’un de ces hauts postes de la rue de Grenelle où l’on décide de tout dans le dos du ministre), et est nommé par Raffarin à la présidence du Haut conseil de l’évaluation de l’école de 2003 à 2005, avant de passer au Haut conseil à l’éducation, où il pantoufle présentement…
Soyons clairs : cet homme n’a pas vu un élève depuis la fin des années 70 — et il s’agissait d’étudiants d’université. Il n’a jamais de sa vie fréquenté une école primaire — mais il en parle avec l’autorité incontestable de celui qui en a entendu parler…
Par les temps qui courent, ne pas savoir est certainement un avantage, dans l’Education nationale, mais il ne faut pas en abuser

Quant au fond de son propos…
50% des élèves réussissent très bien… Et cette vieille baderne d’ajouter que les familles favorisées (honte à elles !) « se sont rabattues sur le soutien scolaire privé ».
On le sait bien ! La destruction de l’école a fait la fortune d’Acadomia, et autres boîtes où l’on exploite l’angoisse des parents devant ce qu’est devenue l’Ecole de la République. Et les thuriféraires du pédagogisme y arrondissent leurs fins de mois — on a dénoncé ici même la façon dont Evelyne Charmeux, grande prêtresse de la méthode globale, complète sa retraite dans l’une de ces institutions si démocratiques…
Nous stigmatisons sur ce blog, depuis sa création, cette pédagogie qui en est arrivée, sous prétexte d’égalité, à ne plus favoriser que les « héritiers », au sens bourdieusien du terme. Cette pédagogie qui, tout en réclamant sans cesse des « moyens », a fait des ZEP ces Zones d’Exclusion Programmée que je dénonçais dès la Fabrique du crétin (2). Désormais, quand on est né dans la rue, on y reste. Les élèves socialement défavorisées, parce qu’on ne leur donne pas l’occasion de mettre en avant leurs capacités, en sont réduits à s’exprimer, parfois, sur d’autres terrains que celui de l’Ecole, et avec des arguments autrement percutants que l’art de la dissertation ou les intégrales.

À qui la faute ?
À ces institutionnels de l’Education, ces petits esprits grands ambitieux qui se sont construit une carrière sur la destruction d’un système qui permettait, justement, d’accéder aux plus hautes charges en fonction du talent, et pas seulement du lèchecultisme.
Quelqu’un, hier, rappelait sur ce blog cette citation de Jean-François Revel (3) :
« L’égalité dans l’enseignement ne peut consister qu’à créer des conditions d’accès aux études dans lesquelles chacun réussirait en fonction de ses seules facultés intellectuelles réelles, et non de son milieu social.
« Cela ne signifie pas que tous les hommes ont les mêmes facultés intellectuelles réelles. L’enfant né dans un milieu porteur ne doit pas être favorisé s’il est médiocre — et pour cela nous avons besoin d’un enseignement sévère et sélectif. L’enfant né dans une famille sans moyens et sans culture ne doit pas être privé d’études de haut niveau s’il est intelligent — et pour cela aussi nous avons besoin d’un enseignement sévère et sélectif, apte à détecter les dons, au lieu de les réprimer en les empêchant d’émerger et en les maintenant au niveau des plus mauvais élèves.
« Cette dernière conception de l’égalité aboutit au pire tort que l’on puisse faire aux élèves défavorisés par leur milieu : leur infliger à l’école un second milieu défavorisant !
« Sous prétexte qu’ils vivent dans un entourage qui asphyxie l’activité intellectuelle, on leur fournit en classe une cargaison supplémentaire d’éteignoirs ! Voilà qui est fortement pensé.
« Ce système pédagogique anéantit la grande fonction historique de l’école, sa véritable vocation démocratique, qui est de corriger les inégalités sociales par les inégalités intellectuelles. L’idéologie qui l’anime postule l’égalité et l’identité de tous les êtres humains. Seules les inégalités sociales expliqueraient les inégalités de réussite dans les études. Comme l’expérience ne confirme pas ce postulat, il faut la contraindre à le faire, en organisant l’échec généralisé, qui fait office de purgatoire permettant d’atteindre le nirvana de l’égalité intellectuelle totale.
« Ce postulat antiscientifique engendre en fait l’école la plus réactionnaire qui soit, car seuls les enfants de milieux porteurs ont les moyens matériels et les relations nécessaires pour trouver, hors d’un enseignement stérile, la formation que cet enseignement ne leur fournit plus. La prétendue matrice de la justice accouche de la suprême injustice. »

Je ne saurais mieux dire.

Jean-Paul Brighelli

(1) http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2006/04/28/finlande….html#comments
(2) Ch. Forestier ne porte pas dans son cœur ces « profs écrivains » qui « avec des titres racoleurs comme La Fabrique du crétin », « jettent le discrédit » sur l’école — leur école ! Crapule, va !
(3) Jean-François Revel, La connaissance inutile (Grasset, 1988). Merci à « Guillaume » pour la référence.