Interviewé hier soir (31 janvier) par la recruteuse de Marc-Olivier Fogiel (pour M6) et ce matin sur France Info vers 9 heures et des poussières sur cette question de « l’autorité » — certains médias semblent s’imaginer qu’un incident mineur dans un collège de Maubeuge est violemment significatif des questions relatives à cet aspect du travail d’enseignant…

D’un côté, l’amont. Jamais l’image de l’enseignant n’a été si désastreuse dans l’opinion publique — les familles, et les enfants aussi. Dans un monde où le pouvoir doit être visible, et proportionnel au nombre de Rolex accrochées à son bras, nous sommes peu de chose, avec un salaire de départ qui tourne autour de 1300 € pour un Bac + 5 et quelques concours encore assez difficiles. La « revalorisation » annoncée par le président de la République tarde à venir. Les caisses sont vides ? Et les nôtres, qui avons perdu plus de 20% de pouvoir d’achat en 20 ans ?
Amont, toujours. Les missions dont nous sommes chargés pèsent aussi sur notre image — et la part « culturelle » de l’autorité « naturelle » est beaucoup fonction d’image. Nous étions des passeurs de culture, nous sommes aujourd’hui de gentils animateurs. Mais j’ai bon espoir que dans un avenir extrêmement proche, l’élève ne sera plus au centre du système, ni prié (humblement) de « construire lui-même ses propres savoirs ». Les Pédagogues ont cherché par tous les moyens à humilier les enseignants — pour se grandir eux-mêmes, qui « apprenaient à apprendre ». Quand on aura dégonflé la baudruche des « sciences de l’éducation », quand on aura confié la formation des enseignants aux universitaires de leur discipline, et non à des gourous ou des Goigoux, on réinstaurera peut-être un peu plus de confiance dans les esprits des néo-profs — et des autres, qui finissent par douter.

En aval, il y a ce que nous sommes chargés de faire en classe. Une réfection complète de tous les programmes s’impose (elle va sortir en Primaire, le reste suit), qui mettra le Savoir et la Transmission au centre du système (c’est aujourd’hui une revendication de Meirieu — ce n’est pas la girouette qui tourne, etc.). Quand les élèves consentiront à comprendre qu’ils viennent en classe pour qu’un spécialiste leur enseigne ce qu’il sait, et non pour passer le temps dans une salle chauffée, nous aurons fait un grand pas.
Aval encore, la réinstauration d’une coupure nette entre Instruction et Education. Peut-être faudrait-il re-responsabiliser les parents, qui se sont déchargés de bien des missions éducatives sur des enseignants qui n’en peuvent mais. Les baffes ne sont jamais une solution à quelque problème que ce soit, mais si les parents se montraient plus fermes envers Monchéri et Moncœur, nous n’en serions pas là. Une mythologie de l’enfant-roi s’est répandue dans le pays, avec les conséquences que l’on voit. Un enfant est un être en constitution, il n’a d’autre liberté que celle d’apprendre à constituer sa liberté — et à en connaître les limites.

Reste la question des sanctions — en attendant qu’un système idéal se mette en place. Le ministère doit impérativement donner un cadre strict aux règlements intérieurs des établissements — en proposant par ailleurs à chacun la possibilité d’adapter les règles générales aux réalités locales. Que ce soit dans l’habillement, le vocabulaire, la prise de parole (il doit bien y avoir quelque part un Pédagogue pour se réjouir de la spontanéité linguistique du marmot qui a traité son prof de « connard ») ou la réintroduction d’estrades en classes, les établissements doivent être capables d’imposer des règles strictes — près tout, les écoles privées le font bien, c’est même pour cela qu’on les plébiscite, bien plus que pour leurs résultats. C’est à l’établissement de sanctionner, pas à l’enseignant. Quand les familles devront se coltiner leurs lardons trois jours ou une semaine parce qu’il aura été exclu pour insanité langagière, on y verra plus clair. Mais cela suppose un peu de courage de la part des chefs d’établissement — et là, sans doute, je rêve.

Jean-Paul Brighelli