Bac unique, collège diversifié.

Xavier Darcos, qui adore dire des choses primordiales au détour de la conversation, sans avoir l’air d’y toucher, a donc expliqué qu’il réfléchissait à un Bac unique, que seules des options distingueraient. C’est dire, sans le crier sur les toits, que le Bac actuel n’est pas satisfaisant. C’est dire aussi que les Bacs multiples institués par la loi Jospin, et qui ont eu du mal à se mettre en place, étaient la mauvaise réponse aux attentes des élèves, de leurs parents — et du marché.
Qu’on y réfléchisse un instant. La galaxie de Bacs inventés par le PS avait au fond pour seul objectif une pré-professionnalisation des élèves — le Bac Pro est l’ultime caricature de ce souci bizarre, de la part de gens de gauche, de plaire absolument à l’image qu’ils se font du patronat. Cette politique étrange a eu deux conséquences majeures :
– D’un côté, le public a très vite hiérarchisé les Bacs, du plus prestigieux (S) jusqu’aux moins cotés. Là encore, comme en pédagogie, le souci d’égalitarisme a engendré plus d’inégalités que le système précédent, qui déjà était si peu satisfaisant que dès le début des années 1980, un prof de philo, Maurice Maschino, demandait benoîtement : « Voulez-vous vraiment des enfants idiots ? »
– Et d’un autre côté, le patronat, pour lequel on avait inventé cette myriade d’examens taillés sur mesure, n’a cessé de se plaindre du peu d’adéquation du bachelier nouveau aux contraintes économiques. Que demandent les industriels, en fait ? Des élèves polyvalents, aussi intelligents que possible, capables d’apprendre effectivement une spécialité (et chacun sait bien que c’est l’entreprise qui forme, pas le système scolaire, toujours en retard d’une technique), et suffisamment généralistes pour se reconvertir, plus tard, à tel ou tel métier dont personne, aujourd’hui, n’a la moindre idée. Pour l’avoir vécu, je peux affirmer que les premiers informaticiens de la fin des années 70 étaient aussi bien des mathématiciens que des littéraires — mais c’est qu’ils avaient, les uns et les autres, suffisamment de latitude intellectuelle pour se faire aux systèmes binaires, ou pour comprendre les subtilités des langages artificiels. Nous avons vu ici même que bien des patrons, et non des moindres, réclament à grands cris des littéraires — et on leur fournit des commerciaux, ou prétendus tels (http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2007/08/06/litterature1.html).
Car comme l’a susurré le ministre, c’est peut-être du côté des sciences économiques que l’on a développé le plus grand marasme. Entre économie, gestion et communication, ces trois mamelles de la nouvelle économie vue par la rue de Grenelle du quatuor Jospin / Allègre / Royal / Lang, qu’apprennent réellement les élèves qui puisse leur servir dans la vie professionnelle ? N’y a-t-il pas quantité de matières qui ont été insérées dans les programmes sous la pression des syndicats, toujours désireux de faire entrer dans le métier de futurs permanents (la thèse n’est pas de moi, c’est une affirmation de Claude Allègre soi-même dans ses « 10 questions plus 1 » parues en avril dernier), et qui sont traitées de façon si générale qu’il vaudrait peut-être mieux les enseigner carrément, et mieux, dans les cycles supérieurs, BTS, IUT ou Facs ? Les économies, si économies on devait faire, ne peuvent s’effectuer sur le dos des matières générales, dont le niveau baisse sans cesse : c’est si vrai que ce sont justement ces matières générales, si négligées, qui gênent si fort les élèves de Bac Pro lorsqu’ils parviennent à se faire admettre en BTS.
Alors, oui : renforcer l’enseignement des matières fondamentales (un super-socle, en quelque sorte), panacher avec des enseignements aujourd’hui fort négligées, comme les disciplines artistiques — essentielles à une « culture humaniste », comme disent le HCE et Nicolas Sarkozy —, ne pas oublier quelques heures de sport pour défouler l’adrénaline et la testostérone de ces jeunes gens fougueux, et amener toute une classe d’âge au plus haut des capacités de chacun.

Complémentaire : c’est au collège que l’on doit réintroduire de la diversité. Le collège unique, inventé avec les meilleurs intentions du monde par ces deux grands libéro-gauchistes qu’étaient René Haby et Valéry Giscard d’Estaing, a fait la preuve de sa nocivité. Nombre de voix se sont élevées contre cette structure rigide, qui gêne la progression des meilleurs, et anéantit celle des plus faibles. Pourtant, que je sache, ni les parents d’élèves, ni les syndicats enseignants ne se sont prononcés contre une mesure que bien des chefs d’établissement s’efforcent de contourner, l’air de rien. Il n’y a que le SNALC (dont je ne suis pas membre, mais qui fait ces temps-ci des analyses souvent pertinentes) qui, récemment, a lancé une pétition — à signer d’urgence sur http://www.snalc.fr/petition.tpl — pour que cesse enfin cette escroquerie qui sous prétexte d’égalité annihile toute chance. Diversité dans la formation initiale, afin que chacun aille, à son rythme, au plus haut de ses capacités ; uniformisation d’un examen final (avec des options qui permettront un enseignement renforcé au gré des goûts et des talents), afin que tous disposent d’un viatique d’égale valeur pour la poursuite des études : c’est peut-être la voie de l’avenir que vient de tracer le ministre — l’air de rien.

Jean-Paul Brighelli