Retour au GRIP, dont j’ai déjà beaucoup parlé sur ce blog (1). Cet organisme qui donne au mot pédagogique enfin sa vraie valeur a non seulement regroupé les meilleurs spécialistes du Primaire, mais leur a fait commettre des livres qui sont autant de lanceurs des apprentissages fondamentaux — des bons apprentissages et des bonnes pratiques.
Comme tant d’autres dont j’ai parlé ici même (2), le GRIP, qui vivait chichement d’une maigre subvention, est aujourd’hui comme la cigale de la fable confronté aux économies de bouts de chandelles par lesquelles le gouvernement prétend compenser une noble et belle politique de cadeaux aux copains hexagonaux et aux coquins internationaux. Autant le dire et le redire : prétendre remettre les enfants sur le chemin de l’Ecole et de la culture et couper les vivres à ceux qui justement s’en soucient le mieux est une politique de gribouille.

J’ai donc offert une tribune à Guy Morel, afin qu’il décrive exactement le cordon d’étrangleur ottoman que le ministère a expédié au GRIP — et à la plupart des organisations qui s’efforcent de remettre du plomb dans les têtes et de l’espoir sur les bancs de l’Ecole. Qu’il l’ait fait sous forme de Lettre ouverte est un témoignage de sa modération, dont je le félicite. Qu’elle trouve place ici est une preuve de la colère qui monte, qui monte, qui monte.

A lui la parole.

Un dernier mot. La situation est si grave que ce texte paraît ce jour même sur le blog de Luc Cédelle, Interro écrite (http://education.blog.lemonde.fr/), alors même que l’honorable journaliste du Monde et moi-même naviguons sur des eaux pédagogiques diamétralement opposées. C’est dire l’urgence — et les candidats à la présidentielle devraient la mesurer à l’aune du désastre imposé par une Rue de Grenelle qui, encore une fois, commence et finit à Bercy.

Jean-Paul Brighelli
(1) Par exemple dans http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2010/05/21/grip-forever.html

(2) Voir ma Note récente sur la manière dont Luc Chatel a sucré la maigre subvention qui permettait de faire de vrais livres pour les enfants aveugles ou mal voyants (http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2011/11/27/lettre-sur-les-aveugles.html)

LETTRE OUVERTE DU GRIP

À MONSIEUR LE MINISTRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE

Monsieur le Ministre,

Par lettre de votre chef de cabinet adressée à Jean-Pierre Demailly, membre de l’Académie de sciences et président du Groupe de Réflexion Interdisciplinaire sur les Programmes (GRIP), nous avons appris que la subvention accordée depuis  2005 à notre association porteuse de l’expérimentation SLECC, déjà réduite de deux-tiers l’an dernier, était supprimée.

Seule raison alléguée : « un contexte budgétaire restreint ».

Cette décision appelle de notre part deux remarques que nous estimons devoir rendre publiques parce qu’elles touchent à l’avenir de l’École.

La première vise l’erreur de gestion que vous commettez. Dans une nation organisée, quelle que soit la rigueur des temps, la dépense, en effet, ne se mesure pas en termes étroitement comptables mais en fonction de sa rentabilité.

De ce point de vue, les subventions consenties par vos prédécesseurs, François Fillon, Gilles de Robien et Xavier Darcos, à l’expérimentation SLECC ont produit des gains difficilement contestables. Il suffit de consulter les résultats des classes concernées aux évaluations nationales pour s’en convaincre. Qui plus est, s’appuyant sur la pratique des enseignants SLECC, le GRIP a pris l’initiative, afin d’étendre le bénéfice de l’expérience, de publier des manuels de classe (lecture, calcul, grammaire, observation) qui rencontrent dans la profession un intérêt croissant (1) et ont amené le CNES à solliciter les professeurs des écoles du GRIP pour une mission de formation, malheureusement différée, des instituteurs haïtiens.

C’est cette expérimentation en plein développement, si utile pour le redressement de l’école primaire et le rayonnement international de la pédagogie française que vous condamnez à péricliter pour économiser la somme exorbitante de 13 500 euros.

Au sein de votre ministère, pourtant, des dépenses moins productives, d’un tout autre ordre de grandeur, et dans lesquelles vous auriez pu trancher, ne semblent pas avoir été soumises, comme le notait récemment la Cour des comptes, à la même rigueur budgétaire (2).

Faut-il comprendre — ce sera notre deuxième remarque — que la réduction de l’échec à l’école primaire est passée, en dépit de tous les discours, au second plan de vos préoccupations ?

Cet objectif, auquel les membres du GRIP se sont entièrement consacrés, demeure pourtant la priorité des priorités.

L’INSEE vient de publier une étude des plus préoccupantes sur les élèves en difficulté de compréhension à l’issue du CM2 et leur parcours ultérieur. En voici le résumé : «Depuis dix ans, leur proportion a augmenté. Le phénomène concerne maintenant un élève sur cinq et il augmente particulièrement dans les collèges en zones d’éducation prioritaire (ZEP).  À l’entrée en sixième, le pourcentage d’élèves en difficulté de lecture dans le secteur de l’éducation prioritaire est passé de 20,9% en 1997 à 31,3% en 2007. »

Conséquence : «En fin de collège, dans les collèges de ZEP, la proportion d’élèves dans les niveaux de performances les plus faibles est passée de 24,9% en 2003 à 32,6% en 2009″. Et les difficultés des élèves les plus faibles s’aggravent. » (3)

Est-ce vraiment le moment de couper les vivres à une association qui, parmi d’autres, œuvre avec efficacité et de manière désintéressée à la réduction de cet échec ? En lecture, mais aussi en calcul, et du point de vue de la formation intellectuelle générale. 

Assurer au primaire, de la maternelle au CM2, l’acquisition par tous et chacun des bases culturelles indispensables à la poursuite d’études, c’est le seul moyen, Monsieur le Ministre, d’éviter la mise en place de tardives et vaines remédiations, et de ne pas faire du collège le chaudron des déceptions et des violences.

C’est d’autant plus urgent que des voix s’élèvent pour suggérer le renoncement. Ainsi la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), qu’on a connue mieux inspirée, recommande une éducation spéciale, à programmes réduits (4), pour les enfants des quartiers défavorisés, programmes inférieurs en contenus à ceux consécutifs à la loi Falloux de 1850.

Le GRIP, au contraire, inscrit son action, avec l’expérimentation SLECC, dans la continuité avec le projet des fondateurs républicains de l’Instruction publique.

Ce projet, il convient d’en rappeler les termes :

L’instruction primaire, telle que la définit la loi du 28 mars 1882, n’est plus cet enseignement rudimentaire de la lecture, de l’écriture et du calcul que la charité des classes privilégiées offrait aux classes déshéritées : c’est une instruction nationale embrassant l’ensemble des connaissances humaines, l’éducation tout entière, physique, morale et intellectuelle ; c’est la large base sur laquelle reposera désormais l’édifice tout entier de la culture humaine. »(Ferdinand Buisson, 1887)

Fournir aux éducateurs de ce pays, après les avoir expérimentés et confrontés au jugement des enseignants, les instruments de travail utiles pour avancer, avec d’autres, dans cette voie, la seule digne d’un pays moderne, c’est le but que le GRIP s’est fixé.

Il ne tient qu’à vous, Monsieur le Ministre, de démentir ce signe et de rétablir cette subvention, voire d’oser la relever à son niveau de 2009.

Le Groupe de Réflexion Interdisciplinaire sur les Programmes.

01-01-2012

(1) http://www.slecc.fr/

(2) http://www.vousnousils.fr/2011/11/07/hausse-de-41-en-4-ans-des-depenses-de-communication-des-ministeres-de-leducation-516100

(3) http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/FPORSOC11l_D1_Eleves.pdf

(4) http://www.fondapol.org/etude/12-idees-pour-2012-3/