Jeudi dernier 6 novembre était organisée au Ministère des Universités, rue Descartes, une réunion au sommet sur la mastérisation et les nouveaux concours.
J’ai eu ici même l’occasion d’en dire tout ce qu’on pouvait en penser – m’appuyant sur des analyses bien plus pertinentes que ce que j’aurais pu produire seul (1) : je comprends le souci de s’aligner sur ce qui se fait en Europe, je saisis bien, parce que j’ai lu Marie Duru-Bellat (2), que cette « mastérisation » témoigne d’une fuite en avant dans l’inflation générale des diplômes, je sais même que la plupart des syndicats y sont favorables (3), et je me doute que renvoyer la balle aux universités, en leur suggérant de définir des masters « professionnels », vise sans doute, à moyen terme, à régionaliser le recrutement pour en alléger la charge financière… Reste toutefois à matérialiser ces masters : les premiers à réagir ont été les IUFM. Supposés dissous dans les facs, ils ont vu dans cette mastérisation l’occasion non seulement d’y survivre, mais d’en prendre le contrôle. Les universitaires, confinés dans leurs UFR, n’ont compris ce qu’on leur faisait qu’avec un léger retard… Les voici donc alarmés, les voici qui donnent de la voix (4).
La DGES, dorénavant patronnée par Patrick Hetzel, auparavant conseiller Education de François Fillon (et qui s’intéressait déjà à la question à Matignon), a publié à la mi-octobre un document de travail relativement bien accueilli, en ce qu’il ouvre la possibilité d’inventer des masters diversifiés. La DGES suggère ainsi de « veiller à ce que les formations offertes constituent des masters au sens plein du terme, répondant au double objectif de préparer les étudiants au doctorat et de leur offrir un parcours qualifiant et professionnalisant », et précise : « Tous les masters donnent accès aux concours de recrutement des enseignants ». C’est redonner aux disciplines une priorité que la dictature des Sciences de l’Education semblait étouffer.
L’objet de la réunion tenait donc moins à la définition desdits masters qu’aux difficultés liées à un calendrier trop serré, de l’avis de tout le monde (les maquettes sont censées être remises fin décembre). La discussion promettait d’être stimulante… D’autant que la salle choisie pour les trente personnes présentes tenait plus du cagibi, dans les combles d’un joli hôtel particulier dont les salons resteront définitivement privés, promettait, par son aspect sauna, de faciliter les contacts…
Et pour animer les débats, Valérie Pécresse a délégué un certain Thierry Coulhon, mathématicien de son état, président, jusqu’à la rentrée, de l’université de Cergy-Pontoise (5). Cheveux poivre et sel, et des rides parallèles qui trahiraient peut-être un goût pour le rire, s’il n’avait pas choisi de se composer un masque aussi rébarbatif que possible. Je ne comprendrai jamais que l’on choisisse, pour dialoguer avec des syndicats fort dissemblables et plus susceptibles qu’un boisseau de jolies filles, les personnes les moins faites pour les séduire. Il fallait un danseur, ce fut un mathématicien qui l’obtint.
Thierry Coulhon a donc pris la parole pour lancer les débats, d’un ton cassant, le débit précipité, le regard froid derrière ses lunettes — tous les signes extérieurs de cet autoritarisme que les demi-habiles croient être de l’autorité, et qui témoigne en fait d’une vraie crainte de ne pas être pris au sérieux.

Le représentant de la CGT prend alors la parole. C’est un syndicat où, quelle que soit la branche, ils se déguisent en métallos : ventru, bourru et moustachu, il pose une question sur la formation des PLP, et des disciplines professionnelles. Thierry Coulhon, décidé à ne pas en rater une, réplique en lui suggérant de relire Marx…
Le SNESUP affirme qu’il est favorable à l’amélioration de la formation, que l’objectif master lui paraît cohérent, pourvu qu’il mène toujours à des concours nationaux recrutant des personnels statutaires — les uns et les autres sentent bien, dans le projet, la tentation de réinventer les maîtres-auxiliaires de jadis, avec les « reçus-collés » de ces masters nouveaux. Mais il dénonce d’un même élan un calendrier « démentiel » : le président d’université qu’est Thierry Coulhon, dit-il, devrait savoir qu’il faut au bas mot deux ans pour construire des maquettes cohérentes, afin d’envisager au mieux des dispositifs transitoires, des systèmes de soutien financier pour favoriser la diversité sociale du recrutement. Pour l’instant, les étudiants de M1 paniquent : y aura-t-il des bourses pour les postulants ? Sur quels critères ? Sociaux, s’il vous plaît, les critères, hein ! Pas question de bourses au mérite… Et ne pourrait-on envisager des mesures de pré-recrutement ?
Au tour de la représentante de la Fédération Nationale Enseignement Culture FO. Elle se dit elle aussi très attaché à des concours nationaux, et redoute que la « professionnalisation » amène une baisse des niveaux disciplinaires (ricanements du Conseiller, amusé qu’on demande moins de professionnalisation). Elle s’inquiète du projet qui suggère que des « membres de la société civile » soient au jury des concours. Enfin, elle proteste contre le projet de compagnonnage non rémunéré qui, sur le modèle des défunts CPR, servirait de formation professionnelle in situ aux nouveaux diplômés. Finalement, FO demande l’abandon complet du projet de mastérisation, et la non-publication du document : il ne s’agit plus même de revoir sa copie, mais de la déchirer. FO ne serait-il pas le plus réactionnaire de tous les syndicats ?
Le SGEN, inquiet lui aussi du calendrier, reste cohérent avec l’idéologie constructiviste qui est la sienne : le projet, explique-t-il, ne va pas assez loin ; il donne encore trop de poids aux disciplines, au détriment de l’aspect « professionnel », alors qu’une multiplication des stages, « des allers-retours entre théorie et pratique », donnerait bien plus « d’outils d’analyse » (?) aux futurs enseignants. Sans compter les nécessaires connaissances épistémologiques, didactiques, historiques… Le SGEN, ces derniers temps, aspire à dépasser le ministère sur sa droite.
Le SNALC, après avoir remarqué que la concertation se fait dans l’urgence et le désordre, après avoir revendiqué une plus grande formation disciplinaire, et non une pseudo-formation professionnelle (comme si la seconde ne dépendait pas de la première), pose la question de l’agrégation : si tout le monde est recruté à M2, quelle sera la spécificité du dernier concours de recrutement sérieux ? ( « Y’a qu’à la supprimer », a rigolé le représentant du SGEN assis à côté d’elle). Pour les bourses, ne serait-il pas possible de panacher critères sociaux et mérite ? Quant aux masters, le SNALC se félicite que subsiste une distinction forte entre masters disciplinaires de recherche et masters professionnels tout en s’inquiétant du contenu de ces derniers.
(Pour la petite histoire, le représentant du SGEN, qui se tenait à côté de la représentante du SNALC, lui a fait un signe de tête à la fin de son intervention — le côté « j’ai dit ce que je devais dire, vous avez dit ce que vous deviez dire, nous sommes l’un et l’autre dans notre rôle, si nous allions prendre un pot en sortant ? » Monsieur Cadart, je vous y prends !)
L’UNSA note qu’il eût été bon d’organiser une concertation avant, plutôt qu’après : ce que ce syndicat accepte pour la réforme des lycées, il le dénonce pour celle de la formation. Comprenne qui pourra… Et d’ajouter qu’il ne comprenait pas qu’on fasse encore des distinctions byzantines entre masters de recherche conduisant au CAPES et masters professionnels dévolus aux futurs PE : ne faisons-nous pas tous le même métier ?
Un certain Barjot intervient alors pour le Syndicat Autonome. Il s’inquiète lui aussi du calendrier (« Trois mois de plus, s’il vous plaît, Monsieur le bourreau… »), fait sur l’agrégation quelques suggestions pertinentes (un M2 complet, ce qui permettrait de dégager une année supplémentaire pour étudier un programme spécifique), et s’inquiète finalement de ce que vont devenir les étudiants collés : des maîtres-aux ! Des maîtres-aux, vous dis-je !

Alors Coulhon parla. Pour dire qu’il n’avait pas de réponses. Qu’il serait bien tenté de dire à ces messieurs-dames d’aller voir chez l’employeur (la rue de Grenelle), mais qu’il va tenter de s’en garder ! Que le ministère discute de façon positive sur le sujet avec l’Inspection Générale… Au représentant de la CGT, il affirme que les masters ne concernent pas les PLP — ce que son adjointe (Marie-Danielle Campion, directrice adjointe du Cabinet) dément aussitôt (au ministère aussi, ils devraient pratiquer la concertation préalable) : tout le monde sera recruté à Bac + 5, précise-t-elle. Et c’est un master mutualisé pour les parcours des PE / PLP / Certifiés qu’il faut monter : un dispositif très complexe, reconnaît-elle…
Flou inacceptable, déclare alors le responsable de l’UNSA. Mais Thierry Coulhon tente de reprendre la main : « Toutes vos questions touchent à la formation des maîtres, pas à la circulaire qui est aujourd’hui l’objet du débat. Vous avez bien saisi l’ambition de la réforme — et certes le calendrier est serré, mais incontournable… » Il n’est pire sourd que… Il s’aperçoit soudain qu’il a oublié la vaseline : « Discussion riche et intéressante », lâche-t-il. « Serait-il possible de mettre par écrit tout ce qui a été dit ? Ainsi, quand nous nous reverrons début décembre… « Le 2 ? » suggère assez fielleusement le SGEN. Monsieur le Conseiller ne relève pas : il n’a pas l’air de savoir que c’est la date des élections professionnelles… Il reste sur sa superbe et son quant-à-soi. On pourra, dit-il, proposer des maquettes pour fin décembre, et les affiner dans les deux années à venir… La règle du jeu ne peut d’emblée être parfaite…
Il doit être spécialiste du principe d’incertitude, ce mathématicien-là.
Néanmoins, il consent à suggérer à Patrick Hetzel de donner jusqu’au printemps pour définir les maquettes de masters. Les discours du style « mais c’est impossible ! » ne l’intéressent pas. La mutualisation des masters est souhaitable, mais il faut aussi les différencier, car les métiers de PE et de Profs du Second degré ne sont pas tout à fait semblables : mais il n’y aura pas un « master chic » pour les uns, et un « master pauvre » pour les autres. Tous égaux ! « Ouais, marmonne le responsable CGT, les PE, ils doivent aussi apprendre à changer les couches… »
Et quant à la maquette des concours, c’est au Ministère de l’Education de fixer les choses. Ça, c’est la technique bien connue dite de la patate chaude. Même chose en ce qui concerne les stages : adressez-vous à Darcos !

Commence alors une vive discussion sur la question des bourses et de l’allongement des études. La CGT, très remontée, fait remarquer que le recrutement à M2 augmentera les difficultés financières des étudiants. Et d’en déplorer le principe même, comme FO — ce à quoi Frédérique Rollet, représentant le SNES, objecte qu’au contraire, l’allongement des études revalorisera toute la profession… « Tous les cadres de rang A de la Fonction Publique sont recrutés à Bac + 5, alors, pourquoi pas nous ? » Ils devraient aussi se concerter, chez les syndicats de gauche…
Thierry Coulhon reprend la parole pour préciser les modalités de stages : entre l’écrit des concours (janvier) et l’oral (juin), il y aura bien de quoi caser la préparation de l’oral, le passage des masters, et des stages en situation : ce n’est plus Marx qu’il devrait citer, c’est Stakhanov. La question amène une discussion animée — c’est le moins que l’on puisse dire : on était à deux doigts du pugilat — entre les divers syndicats présents… Il y a toujours, dans ces réunions, un moment où le coffre — et la « rude carrure », voir plus haut — reprennent le dessus. Peut-être devrait-on commencer par là : on les enferme, on les laisse régler les comptes, et on se plie à l’avis des survivants.
Quant à ceux qui échoueront… Heu, franchement, c’est une question difficile, dit Monsieur le Conseiller… Mais si les représentants du ministère ne sont là que pour répondre aux questions faciles, avons-nous encore besoin d’eux ?

Il est 17h45. Cela fait plus de trois heures que l’on se dispute de façon parfaitement stérile. On convient donc de reprendre les conversations en décembre. D’ici là, le Conseiller va s’informer — et les syndicalistes faire des haltères et du sac de sable.

Jean-Paul Brighelli

(1) Voir en particulier la remarquable analyse sur la mastérisation de notre ami Pedro Cordoba sur http://www.r-lecole.freesurf.fr/
(2) Marie Duru-Bellat, l’Inflation scolaire, les désillusions de la méritocratie, la République des idées, Seuil, 2006.
(3) Le SNALC a ainsi proposé en 2007 un recrutement pour le CAPES à M1, et à M2 pour l’agrégation. Le ministère a cru mieux faire…
(4) Voir http://www.sauvonsluniversite.com/. On y trouvera non seulement les textes officiels (ainsi, l’intégralité de la « circulaire Hetzel), mais aussi quelques analyses de valeur.
(5) Voir http://www.u-cergy.fr/rech/pages/coulhon/