Roncq

J’étais donc, du 22 au 24, dans la riante cité de Roncq, entre Lille et Tourcoing — un plat pays qui n’est pas le mien.
Pourquoi diable le GRIP (http://grip.ujf-grenoble.fr/) tenait-il congrès dans ce paysage désolé, sous ce ciel bas et lourd qui pesait vraiment comme un couvercle ? Pourquoi diable avais-je quitté mon Midi ensoleillé, et troqué pour trois jours ma bouillabaisse safranée contre un bouillon de poisson incolore ? « Waterzooie ! Waterzooie ! Waterzooie ! Morne plat ! » fait dire Goscinny à un chef belge (1).
Bref, le premier contact fut rude.

Quant à la raison pour laquelle le Grip tenait congrès en cet extrême-nord, c’était plus clair : Françoise Candelier, pilier de l’association, y officie, et malgré les colères des inspecteurs, les embûches de l’institution, la suspicion de certains collègues, elle a entamé avec quelques volontaires, dans l’école Jacques Brel, une expérimentation des principes du SLECC,.
Vous avez dit « SLECC » ? Qu’et-ce donc que cette bête-là ?
Le SLECC, par une audacieuse reformulation des programmes, a l’ahurissante prétention d’enseigner aux enfants à Lire, Ecrire, Calculer et Compter (tous renseignements pratiques sur le tout nouveau site, http://www.slecc.fr/).
Les parents, justement, étaient là. Ils témoignèrent avec une éloquence d’autant plus émouvante qu’elle n’avait rien de conventionnel, de l’efficacité du système. Ils racontèrent comment leurs enfants, difficiles souvent, déscolarisés parfois, avaient eu une deuxième chance — et comment, grâce à un enseignement savamment progressif — car tout est là —, ils l’avaient saisie.
Cela fait des mois et des années désormais que sur ce blog comme dans mes livres, je défends le droit pour tous d’aller au plus haut de ses capacités. « Fils de bourgeois ou fils d’apôtre », tous doivent pouvoir apprendre, se former, savoir. Et on n’y arrive pas en suivant la stratégie imbécile de « l’élève au centre ». On n’y arrive pas en suggérant à des élèves qui ne nous ont rien fait de « construire eux-mêmes leurs propres savoirs ».
On y parvient, ont expliqué les divers orateurs qui se sont succédé à la tribune trois jours durant, en structurant sérieusement son cours, en construisant une progression, en ne laissant jamais un enfant sans rien faire — ni rien apprendre. On y parvient en imposant le silence par le travail, l’attention de chaque instant pour chaque enfant, la patience d’enchaîner les petits pas. On y parvient, a raconté Rachel Boutonnet, en utilisant une méthode d’apprentissage de la lecture qui ne soit pas une fumisterie — Boscher, par exemple, mais il y en a d’autres, éditées ou en cours de construction.
On y parvient aussi en mettant en place des évaluations sérieuses pour remplacer tous les thermomètres cassés par l’institution. Jeudi 23, le Monde, sous la plume de Luc Cédelle (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-947450,0.html), donnait un avant-goût du rapport du Haut Comité à l’éducation, qui malgré la présence en son sein de quelques vieilles barbes du constructivisme et de la pédagogie Meirieu, a bien dû reconnaître que 40% des élèves entrant en Sixième avaient aujourd’hui des très sérieuses difficultés. Et d’autant plus sérieuses qu’ils avaient eu plus de mal au départ : après vingt ans de pédagogisme pur et dur, nous laissons les plus déshérités aux poubelles de l’Histoire (2). C’est un beau succès, pour des idéologues qui prétendaient s’insurger contre la culture des « héritiers ». Rien de plus bourgeois que ces néo-pédagogues…
« Mais fils de bourgeois ou fils de rien, tous les enfants sont comme les tiens… », comme chantait le grand Jacques.
La demande des parents est immense. Parents d’enfants en difficulté, en perdition parfois, témoignant de l’efficacité de la démarche du SLECC : la vraie égalité des chances, elle est là — pas à l’IUFM de Lyon ou d’ailleurs.
Bien sûr, une question s’est posée, très vite. Les extraordinaires résultats du SLECC tiennent-ils à la valeur de la méthode, ou à la qualité des enseignants ? Pourrait-on reproduire ailleurs les résultats d’une Françoise Candelier ou d’un Jean-Pierre Picandet, qui mènent leurs élèves de CP, en un an, à la maîtrise réelle de la lecture et de l’écriture, et des quatre opérations — dois-je rappeler que la division, si l’on suit les programmes officiels, s’apprend (et avec quelle méthode aberrante !) en CM1 ?
D’où l’annonce, par Jean-Pierrte Demailly, d’une journée de réflexion consacrée exclusivement à la formation des maîtres, en octobre. D’où le paradoxe posé par Rudolf Bkouche : nous sommes pour la liberté pédagogique, mais dans l’état où le système a mis les nouveaux « professeurs des écoles », ne vaudrait-il pas mieux, dans un premier temps, que le ministère fixe clairement des objectifs, et explique comment y parvenir ?

(Parenthèse. Mercredi 22, j’ai repris le train de Paris pour aller assister, en avant-première, à la présentation d’un long documentaire sur l’école — « Un grand corps malade » — que Canal+ diffuse le 3 septembre. Marc Le Bris, qui était présent à Roncq — j’y reviendrai — y explique par exemple comment les services du ministère, chargé par Robien de rédiger une circulaire sur l’enseignement de la lecture, sont parvenus à tromper les bonnes intentions du ministre et à conforter les pédagogues dans l’utilisation de méthodes nocives. C’était plaisant à voir, ce docu-là. On y croise Le Bris, impitoyable, Lafforgue, saignant, Guy Morel, renversant, Cécile Revéret — qui racontait à Ronq comment enseigner en collège les subtilités du pronom relatif —, impériale. Et quelques autres, rencontrés au hasard du tournage apparemment, vitupérant ceux qui ont fait de l’école de France, jadis première de la classe, le cancre du dernier rang européen. Les auteurs se sont rendus en Finlande, le pays qui caracole en tête des hit parades pédagogiques — et les formateurs finlandais, quelque peu hilares, expliquent ce qu’ils pensent de leurs homologues français. Le même film donne la parole à d’anciens ministres de l’Education, Chevènement protestant contre la sur-interprétation de sa parole imprudente sur les « 80% au niveau du Bac », Robien plus ou moins satisfait de son passage rue de Grenelle, Allègre plus fossilisé encore que d’habitude, et Darcos annonçant le programme — prudemment. Lionel Jospin, auquel on a proposé aussi — et naturellement — de s’exprimer, « n’a pas cru bon de répondre à l’invitation ». Mais François Dubet, toujours aussi caustique, est là pour peser les termes du débat, et l’inévitable Meirieu aussi, prêt à reconnaître tous les errements du système qu’il a mis en place quand il était conseiller d’Allègre, et aussi quelques profs des IUFM de Lyon et de Saint-Etienne, pas encore informés que leur ancien gourou les avait lâchés… Je reparlerai début septembre de ce documentaire auquel j’ai eu une petite part — à ne rater sous aucun prétexte : ceux qui ne savent pas encore ne pourront plus dire qu’ils ne sont pas au courant, et ceux qui en sont déjà à résister y trouveront des pratiques de classe aptes à les réconforter dans leur combat).

Pardon pour cette trop longue digression. Je reviens à Roncq, où se concaténèrent les récits roboratifs d’expériences réussies, dans des contextes souvent très peu favorables — car une expérience ne vaut pas grand-chose si on ne la fait pas en milieu hostile. Brigitte Guigui y raconta avec une auto-ironie jubilatoire comment un inspecteur — François Morin — l’avait explosée en vol, sous le plus monstrueux des prétextes, parce qu’elle enseignait avec succès en CP avec la méthode Boscher. La loi Montchamp est pavée de bonnes intentions, mais son application aveugle peut mener à des situations de crise dont les enfants handicapés sont les premières victimes. Allons ! Voici que les instituteurs doivent aussi connaître le langage des signes, être psycho-thérapeutes spécialistes de l’autisme, gérer les comportements les plus violents et ne pas laisser en chemin les pathologies les plus lourdes… Aux qualités que l’on demande à un maître, combien de ministres mériteraient, aujourd’hui, d’être enseignants ?

Je ne vais pas, dans les limites d’une Note, raconter par le menu tout ce qui s’est dit durant ces trois jours (voir http://www.slecc.fr/sources-slecc/documents/page_accueil/roncq/roncq_PROG.pdf). L’école primaire ne se résume pas à l’apprentissage de la lecture et des maths, et il a aussi été question d’Histoire, de Géographie, de Leçons de choses — avec, à l’appui, des comparaisons ravageuses, constantes, entre les manuels d’époques révolues, mais toujours pertinents, et ce que nous proposent aujourd’hui quelques éditeurs indignes — et il n’est pas mauvais de dire que le secteur éditorial aussi a été infiltré par la cinquième colonne pédagogique.
Bref, il a été question d’humanité.

Non que j’aie été d’accord avec tout. Lorsque Gilbert Sibieude (association Lire-écrire, http://www.lire-ecrire.org/) se déclare favorable au retour de l’examen d’entrée en Sixième et au redoublement-sanction, je ne peux le suivre sur les chemins d’une nostalgie stérile. Nous n’imposerons pas aujourd’hui des méthodes ni des programmes hérités directement de 1923 : nous ferons avec les élèves que nous avons, avec la société où nous vivons, mais avec la certitude qu’une mutation en profondeur des programmes et de la pédagogie (un bien joli mot usurpé depuis trente ans par des profanateurs) peut nous permettre de regagner la confiance des parents, le cœur des enfants, et la complicité retrouvée de os collègues. Ne laisser aucun enfant derrière, ne peut pas consister à lui infliger le pensum d’une année supplémentaire — sinon dans le cas de ce que Marc Le Bris appelle plaisamment des « bébés-lune », ces gosses qui sont encore, à six ans, dans le ventre de leur mère. Mais il ajoute : « L’école de Médréac [où il enseigne] a un très faible taux de redoublement, justement parce qu’elle ne se l’interdit pas. Et qu’on y pratique de bons programmes, distillés selon une bonne progression, — avec un peu de transpiration. »
D’ailleurs, quand on appliquera partout les programmes du SLECC, y aura-t-il encore des redoublants ?

Jean-Paul Brighelli

(1) Un site analyse l’ensemble des jeux de mots d’Astérix chez les Belges — dont celui que je reprends ici (http://www.mage.fst.uha.fr/asterix/belges/etude.html).

(2) Je voudrais saluer l’article de Luc Cédelle dans le Monde daté du 24 qui rappelle non sans ironie que l’Inspecteur Général Jean Ferrier, en 1998, avait déjà secoué l’alarme, et remis à Ségolène Royal un rapport dans lequel, pour la première fois, il signalait que 15% des élèves entrant en Sixième ne savaient pratiquement ni lire ni écrire. Sa Gracieuse Pintade l’a carré sous ses fesses, et seules les associations nées dans ces années noires (le GRIP, Sauver les Lettres, Reconstruire l’école, et quelques autres) se sont battues pour faire accepter par l’institution une analyse qu’elle avait déjà eue en main.