Je viens de recevoir (merci, David !) un beau volume tout fraîchement sorti du 5, rue Sébastien-Bottin. Il s’intitule, en toute simplicité, « Les Plus belles pages de la littérature française ». Bref, une anthologie au sens le plus pur — recueil des « plus belles fleurs » de rhétorique…
Avec, dès la Préface, des intentions fort louables : « L’acte de lire a été tellement analysé, disséqué, et le commentaire de textes a atteint un tel degré de sophistication qu’on peut craindre que trop souvent il n’éloigne de la lecture la plus naturelle et la plus gratifiante un grand nombre de lecteurs qui ne sont pas des professionnels de l’enseignement, et qu’il ne rebute, hélas, trop d’élèves, et de parents, parfois surpris ou lassés par ce qui leur apparaît comme une scolastique qui occulte le plaisir de lire… »

Je passerais volontiers sur ce qu’une telle phrase, qui enfile à loisir les « qui » et les « que », a de laborieux, si cette lourdeur syntaxique ne révélait une contorsion mentale d’envergure.
De qui, ce retour au « plaisir du texte », comme disait jadis le regretté Roland ? D’Anne Armand, inspectrice générale de Lettres qui en 2001 préconisait au collège de lire de la « littérature jeunesse » moderne (voir http://eduscol.education.fr/D0033/actfran_armand.htm) ; Marc Baconnet, ancien doyen de l’Inspection générale de Lettres, qui défendait jadis la conception « moderne » de l’orthographe et l’enseignement en séquences (voir son débat chez Finkielkraut avec Mireille Grange, sur http://www.sauv.net/rubicon.php) ; de Patrick Laudet et Isabelle Mimouni, professeurs de prépas — la dernière fut une amie au point que nous fîmes jadis, bien avant qu’elle ne participe à la mise en place des nouveaux programmes de Français selon Viala, un manuel de Français pour les BTS.
Tout ce joli monde se reconvertit donc aux « plus belles pages » — retour au Lagarde & Michard, plus un discours d’escorte qui étouffe un peu la lecture « plaisir, mais qui me rappelle heureusement certains manuels du début des années 1980, quand on voulait donner aux élèves le plus et non le moins.
Réjouissons-nous, ou rions sous cape : les plus acharnés défenseurs des pédagogistes oublient ce qu’ils ont mis en place, et en reviennent — avec conviction, d’ailleurs — à une étude en profondeur de textes essentiels. S’ils enseignaient en collège ou simplement en lycée, ce serait donc là le contenu de leur cahier de textes…
Et tout cela n’est pas présenté en « séquences pédagogiques ». C’est chronologique, linéaire, fort étoffé, illustré d’une riche iconographie d’époque — savant, en un mot.
La seule chose qui me chagrine, ce n’est pas cette palinodie attendue (« ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent », disait le regretté Edgar Faure). C’est sa publication en « beau livre » chez Gallimard. Que ne l’ont-ils éditée chez tel ou tel éditeur scolaire ! Voilà qui marquerait vraiment l’an 01 du renoncement aux lubies de la secte…
Mais sans doute les manuels nouveaux sont-ils déjà en préparation.
Allez, je ne veux pas être désagréable, en cette période de fêtes et de pardon universel… Ne boudons pas notre plaisir, et relisons tranquillement Villon, Rabelais, Ronsard et les autres (à chaque fois, c’est le texte le plus célèbre qui est cité — les « stances » du Cid au chapitre Corneille, par exemple, ou l’alambic de l’Assommoir). La littérature est de retour, même chez ceux qui ont tant contribué à la marginaliser dans les programmes — à leur corps défendant parfois, n’est-ce pas, Isabelle…

Jean-Paul Brighelli