Roger Monjo, philosophe (de formation) dévoyé dans les sciences de l’éducation, enseigne entre autres à l’IUFM de Nîmes. De temps à autre, et en dehors de sliens d’amitié qui nous rapprochent, il m’adresse sur son site des reproches forcément infondés, auxquels je répond de mon mieux.
Sa dernière salve est à la fois une analyse de mon dernier ouvrage — un peu superficielle, à mon goût —, et une critique de l’ensemble de mes propositions. Le lecteur la trouvera sur http://recherche.univ-montp3.fr/cerfee/article.php3?id_article=400
J’ai répondu à cette charge semi-amicale. Comme je préfère que rien ne se perde, je donne ci-dessous cette réponse — à laquelle lui-même renverra sur son site : ainsi espérons-nous établir une circularité qui, paradoxalement, pourrait faire avancer la réflexion…
Bonne lecture à tous, et pardon pour ceux qui arrivent ici pressés : ces deux lettres ouvertes prennent presque autant de temps au lecteur qu’elles en ont pris aux rédacteurs…
JP Brighelli

Cher (mais si, mais si !) Roger,

Ta lettre m’a fait une impression bizarre : j’ai dans l’idée que, plus que moi, c’est toi-même que tu tentes de convaincre. Tu voudrais enfoncer le clou — mais c’est ta paume que tu crucifies.
Comme si tu n’étais pas bien sûr de la validité de tes objections, et, encore moins, de la qualité de tes suggestions : ce n’est pas pour rien que tu les noies sous les chiffres, auxquels on a toujours fait dire ce que l’on veut. En fait, que ce soit par lettre ou en public, il faut toujours être convaincu pour être tout à fait convaincant.
Et convaincant, tu ne l’es pas — cela soit dit en toute amitié. Nous sommes à quelques mois d’une échéance électorale qui, si elle n’est pas primordiale sur le plan économique (tu sais comme moi que les arbitrages, en ce moment, se font davantage à Wall Street ou à Shanghai qu’à l’Elysée), sera déterminante sur le plan intérieur — dans cette proximité que constituent l’Ecole, la Justice, la sécurité, etc. Au fond, aux deux sphères traditionnelles dont je tente la dissociation dans mon dernier opus (Une école sous influence, ou Tartuffe-roi), il faudrait rajouter une troisième, celle des intérêts internationaux — et articuler les effets croisés de ces trois domaines hétéroclites. Il y a un prix Nobel à la clé pour celui qui analysera ce fonctionnement — le moment où le laisser-faire pédagogique (second cercle), en se combinant avec l’obscurantisme jusqu’auboutiste (niveau religieux : première sphère), sert, sans même y avoir pensé, les intérêts du capitalisme en phase mondialiste — troisième cercle.
L’Enfer, comme aurait dit Dante, est au centre de cette combinaison létale.

Nous voici donc au cœur du problème. Ce que j’appellerais Démocratie vs République vs Capitalisme international.
Rappel des faits. À une sphère privée (famille, traditions, origines, cultes ou préférences sexuelles) s’oppose une sphère publique (celle de la Cité au sens grec du terme : un langage, une culture, des habitudes politiques, et l’ensemble des corps constitués — à commencer par l’école ou la Justice — ou la Santé). Quant à la troisième sphère que j’évoquais à l’instant, elle est celle des intérêts supra-nationaux, des stratégies de conquête, économique ou militaire — elle est celle de la mondialisation, que ce soit la mondialisation des échanges ou celle des menaces.
L’Ecole appartient donc à la seconde sphère. Elle n’a pas à laisser y entrer ce qui ressort du premier cercle (c’était déjà l’opinion de Jean Zay avant-guerre, comme tu le sais), sous peine de s’assujettir aux intérêts exogènes de la troisième sphère. Ou, si tu préfères, donner la parole aux élèves (loi Jospin, article 10) sur des sujets personnels, des croyances ou des superstitions familiales ou ethniques, c’est détruire les Savoirs que doit promouvoir la sphère scolaire, en leur jetant à la figure la concurrence de pseudo-savoirs. Et c’est, à terme, jeter les malheureux, parfaitement désarmés, entre les griffes d’un système économique qui se soucie peu de l’individu, et le préfère inculte que revendicatif.
C’est si vrai que dans un roman tout récent, que je ne peux que conseiller aux âmes sensibles et naïves (Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte, Seuil, octobre 2006), Thierry Jonquet rappelle que dans la Social-démocratie allemande (1871), Marx et Engels évoquaient déjà cette « racaille » (Das Gesindel, pour les puristes — le mot n’a pas été inventé par Nicolas Sarkozy…), « cette lie d’individus déchus de toutes les classes » — la future base des Sections d’assaut hitlériennes. Les émeutes de novembre 2005, qu’il serait naïf d’imputer à des menées islamistes subversives (ils ont au contraire tout fait pour désamorcer la colère des banlieues) ne sont que le prurit de ces zones de non-droit, ces ghettos dans lesquels on a cru à tout jamais enfermer les problèmes — comme le dénonçait déjà Jean-Claude Michéa dans l’Enseignement de l’ignorance, en 1998.
Et au cœur des ghettos sociaux se sont développés ces ghettos scolairs qui coïncident trop souvent avec les Zones d’Exclusion Programmée (en français, ZEP
J’avais déjà dénoncé ce mécanisme dans la Fabrique du crétin, en montrant que nous avons, au fond, l’école que mérite un certain état de la France. Le plus farce, c’est que ce sont des enseignants globalement de gauche qui se sont rendus objectivement complices de cette reddition à l’ennemi de classe.
Comment ?
Il y a dans l’existence d’une nation des dates-phares. Le 14 juillet 1789, 1936 et les congés payés, 1945 et le vote des femmes — il était temps… Et des dates d’apocalypse — août 14, le 17 juillet 42 et le rafle du Vel d’Hiv’, et 1989 — loi Jospin.
J’exagère ? Pas même.
Je vais reprendre quelques-uns de tes arguments, en tentant de démonter le mécanisme pervers qui, sous l’apparence d’une parfaite Raison, a fait dériver le système scolaire vers ce que nous connaissons aujourd’hui — et sur l’état duquel nous sommes à peu près tous d’accord. Pour tous, l’école va mal. Certains affirmeront que c’est parce que les « nostalgiques » de ma génération ne sont pas encore tous à la retraite — mais ça ne saurait tarder1. D’autres parce que les plus opportunistes — ou les plus demeurés — des enfants du baby-boom ont trahi la cause même de l’école.

« 80% d’une classe d’âge au niveau du Bac », dit un jour Chevènement. Des pédadémagogues en firent « 80% d’une classe d’âge au Bac ». Pas plus tard que le mois dernier, à la FNAC de Lyon où j’étais en débat avec lui, Philippe Meirieu annonça qu’il rêvait de 100% au Bac — « pourquoi pas 110 ? » demanda un loustic dans la salle, pourtant peuplée des créatures de l’IUFM voisin, venues applaudir leur ex-patron.
Surenchère dans la médiocrité — un Bac accordé au plus grand nombre voit son niveau réel baisser automatiquement, qu’on entende par là niveau des bacheliers ou valeur de l’examen — et, plus grave, creusement des inégalités.
Et c’est bien le cœur de ce que je peux reprocher à tes amis2 : la sacro-sainte « égalité des chances », ce slogan creux ânonné par des crétins de droite et de gauche (mais surtout de gauche), a fabriqué en trente ans plus d’inégalités que jamais l’élitisme n’en engendra. Bien sûr, il y a des causes extérieures à l’école, trente ans de crise, une internationalisation du capitalisme que personne n’a, en France, clairement analysée, et une dérive de l’immigration. Mais l’Ecole aurait dû être, justement, le pilier d’une reconquête sociale. Elle a, au contraire, été au service des « casseurs » de la République.
« Au niveau du Bac », c’était valoriser, dans la pensée du « Che » de Belfort, toutes ces formations qui, des CFA aux Compagnons du Devoir, pouvaient être créatrices d’emploi — et que le slogan imbécile de « 80% au Bac » a détraquées par anticipation. C’était dire que le « niveau » ne signifiait pas l’examen, mais une dignité équivalente. « 80% au Bac », c’est créer cet engorgement si sensible en universités, c’est surtout dévaloriser le premier des diplômes du Supérieur, et, à terme, l’ensemble de ce qui suit. Tu notes toi-même que Marie Duru-Bellat et François Dubet, qui sont loin, très loin d’épouser mes thèses, jugent sévèrement un système universitaire qui produit des titres qui ne valent rien — ou pas grand-chose — sur le marché du travail. Parce qu’en définitive, et je suis un peu confus d’avoir à te le rappeler, ce n’est pas l’université, ni le gouvernement, qui décrètent la valeur d’un diplôme : c’est le marché — si bien que le Bac a aujourd’hui une pure valeur symbolique, et non marchande : à terme, on s’en passera fort bien. Mais qui s’en soucie vraiment parmi les Pédagogues, qui persistent à en faire le sésame d’entrée dans des universités qui crèvent de pléthore ?
L’extraordinaire pouvoir de nuisance de ces idéologues (dont, par parenthèse, les propres enfants disposent pleinement des meilleurs moyens de contourner la carte scolaire, d’avoir des aides à domicile et du para-scolaire en quantité) s’est déchaîné lorsqu’après l’invention des Bacs professionnels, ils ont arraché au ministère, qui n’en voulait pas à l’origine, la promesse que ce Bac très technique ouvrirait uniformément aux Facs.
Alors, puisque tu aimes les chiffres… Tu sais bien que 50% des étudiants inscrits en Première année ne passent pas en Seconde année. Mais surtout, tu dois savoir que ce chiffre, quand on le scrute en détail, révèle l’échec complet des bonnes intentions pédagogistes. Que si les étudiants issus de S n’échouent qu’à 30%, les L et ES à 50%, les STG et STI sont recalés à 70%, et les Bac-Pro à 95%.
95% ! Pas parce qu’ils sont stupides — aucun groupe n’est stupide dans une telle proportion. Mais parce que leur formation antérieure est notoirement insuffisante — tout simplement parce qu’on a voulu les préparer à des métiers, sans considération d’une formation générale moribonde depuis le CP. Sans se demander s’il était intelligent de former à des métiers qui n’existeraient plus, parfois, trois ans après — de la même manière que l’on n’a aujourd’hui aucune idée des jobs proposés dans la décennie à venir. Que seule une formation très généraliste prépare à l’impondérable — ce qui fait des Classes préparatoires, que tu voudrais supprimer, le modèle de ce qu’il faut faire — partout. Et que le patronat demande à qui veut l’entendre : « Donnez-nous des gens capables de s’exprimer, de dominer une culture, qui connaissent les mathématiques et les sciences et possèdent une ou deux langues étrangères. Pour ce qui est de la formation professionnelle, nous nous en chargerons… » C’était l’antienne de l’université d’été du MEDEF, fin août dernier : j’y étais, et pas un de tes amis, parce qu’ils méprisent complètement le monde de l’entreprise. À croire qu’ils n’ont à cœur que de former des fonctionnaires, à leur image. Ou qu’ils se savent déjà « héritiers », et géniteurs d’héritiers, au plus pur sens bourdieusien du terme — et entendent bien protéger leurs privilèges. Mais, plus globalement, c’est qu’ils ne sont pas dans le réel, mais, comme tu le dis toi-même, dans l’utopie : c’est joli sur le papier, mais ça ne donne pas à manger.
Des détails ?
Nous allons crever d’avoir négligé l’apprentissage systématique de la langue française : un tiers d’heures de français en moins, de la maternelle au Bac, grâce à des artifices comptables et à la fameuse « transversalité » inventée conjointement par un énarque soucieux de rogner le budget et des pédagogues qui haïssent l’idée même du savoir. Et plus aucun apprentissage systématique de la grammaire, à tel point que les professeurs de langue s’arrachent les cheveux devant ces enfants incapables d’identifier un verbe dans une phrase. Nous allons crever de ne plus vouloir enseigner les maths — ça s’apprend, ça ne se devine pas, sauf quand on est Pascal. Nous allons crever de laisser passer dans la classe supérieure des gosses désorientés par la classe inférieure : le redoublement est, paraît-il, une violence3. Mais qu’en est-il de ces malheureux qui se retrouvent cernés par des camarades qui comprennent, pendant qu’eux-mêmes tentent désespérément de s’accrocher ? Qu’en est-il de ces analphabètes qui se traînent jusqu’en Terminale en camouflant, toute leur vie, un handicap que leur a fabriqué une école laxiste ?
Ils brûlent des voitures, en novembre, 2005, et des autobus, avec passagers, en octobre 2006. Toute violence répond à une violence — action, réaction. Alors, bien sûr, violence des ghettos… Et ces ghettos éducatifs, fortifiés encore par une carte scolaire qui ne profite qu’aux riches, n’est-ce pas une forme de violence ?
Un exemple entre mille. On procède chaque année à des évaluations de Sixième. Mais on se garde bien de la faire fin CM2, ça ressemblerait à un examen de passage… Et, quelle horreur, on serait bien obligé de constater qu’on laisse passer 17% de gosses analphabètes : ce sont les chiffres officiels, et crois-moi, j’ai examiné ces « évaluations » à la loupe sur les cinq dernières années ; eh bien, on a modifié, toujours dans le même sens débilitant, les exercices et leur notation, pour tenter de contenir à 17% ce chiffre terrifiant des analphabètes que l’on ne rattrapera jamais. À l’arrivée, 160 000 enfants sortent de ce merveilleux système sans rien — sinon la rage d’avoir été méprisés par ces pédagogues pleins de jolis projets et de belles paroles.
D’ailleurs, ils ne se contentent pas de brûler des voitures : ils brûlent aussi l’école qui ne leur a rien appris. Accessoirement, ils agressent leurs profs à coups de couteaux.
Et ce ne serait rien, si en fait des méthodes mortifères (« construire soi-même ses propres savoirs » ! Du néo-platonisme combiné à du néo-rousseauisme ! Qu’en dis-tu, philosophe de formation que tu es ?) n’avaient plébiscité l’expression immédiate, quitte à en faire un droit (article 10 de la loi Jospin de 19894).
Et comment veux-tu qu’ils expriment quelque chose pour laquelle ils n’ont pas les mots ? Comment veux-tu qu’ils construisent une phrase claire, quand on refuse désormais de leur enseigner la syntaxe ? Comment veux-tu qu’ils ne se fassent pas lourder avant même le premier entretien d’embauche, quand leurs dossiers sont cloutés de fautes d’orthographe ?
Et surtout, comment veux-tu qu’ils n’aient pas la tentation de meubler leur tête creuse avec le premier prêt-à-penser qui passe ? Ne pas leur apprendre — quitte à leur apprendre par cœur —, c’est laisser le champ libre à tous les extrémistes.
Et c’est, en définitive, l’accusation la plus grave que je pourrais porter contre la Nouvelle Pédagogie — qui n’a rien de nouveau, au fond, parce qu’elle n’est qu’une réactivation de la vieille tendance à la collaboration. À grands coups de débats, de « discours » réputés tous équivalents, de refus de la hiérarchie dans la pensée, de démissions et de dénis, on a ouvert la porte de ces jeunes cervelles à des idéologies monstrueuses. Le rapport Obin, qui ne remonte qu’à 2004 (et qui vient opportunément de paraître, sous le titre L’Ecole face à l’obscurantisme religieux — avec quelques contributions intéressantes, toutes signées de femmes et d’hommes de la gauche républicaine, quand ce n’est pas d’extrême-gauche) dénonçait déjà la main-mise des extrémistes religieux de toutes farines sur des secteurs entiers de l’éducation. On n’a pas légiféré en 2004 contre « quelques voiles », comme tu le dis : on a essayé de sauver la République. Mais ce que l’on a fait sortir par la porte — les signes religieux identitaires — est rentré par la fenêtre, parce que personne n’a le courage de s’opposer à des petits ignorants qui croient que le Jihad est un devoir sacré, ou que le 11 septembre est un jour de fête. Ou que la guerre d’Algérie fut menée par les bons (le FLN — voir ce qu’il est devenu, au pouvoir) contre les méchants (les Céfrancs). Et les 200 000 harkis massacrés dans des conditions ignobles par les « résistants » algériens de la onzième heure, ils étaient quoi ? L’Histoire est un produit dangereux à manipuler, et ce n’est pas sans raison que les Britanniques n’incluent pas dans leurs programmes scolaires celle des trente dernières années. Ni toi ni moi n’avons étudié la décolonisation — l’actualité de nos années-lycées —, ni la guerre froide. Cela ne nous a pas empêchés d’avoir sur ces événements des avis parfois fort lucides. Et sais-tu pourquoi ? Parce que nous étudiions alors l’Histoire antique bien plus que l’histoire moderne, et que le vrai apprentissage à la citoyenneté, il se trouve dans les écrits de Démosthène, de Xénophon ou de Cicéron bien plus que dans les articles dans le Monde de Tariq Ramadan5, ce faux modéré qui prêche une suspension de la lapidation — et se fait applaudir par une gauche transie de culpabilité, alors qu’elle devrait voter son expulsion du territoire.
Si je pense qu’il est aujourd’hui urgent d’aborder ces problèmes, c’est justement pour ne pas les laisser aux mains de ceux qui, à l’extrême-droite, en tireront des thèmes passionnels — c’est-à-dire racistes. Ceux qui, à gauche, ne comprennent pas cette urgence sont objectivement complices d’un retour à la barbarie. On a commencé par ne plus apprendre le français (et il n’y en a qu’un, je te signale — il n’y a pas « diversité de langues » à l’intérieur d’une même culture) à des jeunes déboussolés, on a exalté la langue des cités au lieu d’apprendre celle de la Cité, on a caressé les abominations dans le sens du poil — pour quoi faire ? Pour qu’un jeune Juif se fasse enlever, séquestrer, torturer et finalement assassiner à Bagneux ? Pour qu’une jeune fille se fasse brûler vive ? Pour qu’un mari agresse l’obstétricien qui voulait examiner sa femme sur le point d’accoucher ?
Ce ne sont que des comportements minoritaires ? J’espère bien. Ils ont été produits en une quinzaine d’années de laxisme pédagogique et de démocratie loukoum. Leur nombre augmente chaque année de façon exponentielle. Alors, entendons-nous bien. Je n’en suis pas (pas encore ?) à retenir la leçon d’Oriana Fallaci dans la Rage et l’orgueil ou la Force de la raison. Mais qui ne voit que le manque d’autorité à l’école engendre des renoncements bien plus graves que nos querelles sur la « baisse de niveau » ?
Là est le vrai débat. Il ne s’agit plus de pédagogie, ni de nostalgie — je n’ai jamais pensé être nostalgique des coups de règle sur les doigts, et si j’ai appelé mon blog « bonnet d’âne », c’est par dérision — et auto-dérision (une qualité qui manque cruellement à certains de mes adversaires). Il s’agit de sauver ce qui peut encore l’être.
Et de même qu’Aragon chantait, à propos des exécutions d’Estienne d’Orves et de Gabriel Péri, « celui qui croyait au Ciel et celui qui n’y croyait pas », je rêve de rassembler, en ce combat urgent, celui qui croit en la pédagogie et celui qui croit au Savoir — toi et moi, et, j’espère, quelques autres.
Bien à toi, comme toujours — quoi que tu croies…

Jean-Paul Brighelli

Notes.

1. Tu sais que dans les cinq ans à venir, près de 350 000 enseignants feront valoir leur droit à la retraite. Tu sais aussi que nous n’avons pas les étudiants pour les remplacer — même si nous embauchions tout le monde, ce que j’espère que tu ne souhaites pas. Les CAPES bi-polaires (Robien vient de réinventer l’eau chaude et les PEGC) ne sont pas une réponse. La dilution des savoirs dans la pédagogie, avec des horaires peau de chagrin pour toutes les matières fondamentales (celles-là mêmes qui souffriront les premières grandes saignées, parce qu’elles existaient lors des recrutements massifs des années 60-70) est une option qu’u n prochain gouvernement examinera avec sérénité. Tu sais que « on ne se bat pas dans l’espoir du succès », comme dit Cyrano : à ma fin, c’est la Nouvelle pédagogie qui va triompher — parce qu’il ne restera rien de l’Ecole, ni, d’ailleurs, de la France. Certains des amis de tes amis (voir le « Journal d’école » de Lubin, http://journaldecole.canalblog.com/) s’en féliciteront, qui vouent une commune haine à l’idée de culture et à l’idée de discipline. Je me bats le dos au mur, comme ils se sont battus à Alamo (je n’y suis pour rien si, comme tu le sais, mes références sont héroïques au lieu d’être pédagogiques).
2. Au passage, je me souviens, dans l’un de ces débats, avoir dit à Meirieu que, tout adversaire qu’il fût, je le respectais dans ses convictions, et dans son talent d’orateur — c’est un manipulateur plus habile que moi, tu le sais bien. « Mais, ajouitai-je, n’avez-vous pas un peu honte d’avoir couvert de votre bienveillance, et de l’ample manteau des « sciences de l’éducation », tant de minables sous-diplômés, de Sylvain Grandserre à Pierre Frackowiack en passant par Roland Goigoux ou [ici, liste non limitative, que chaccun complètera au gré de ses expériences, de tous ceux qui ont trouvé en IUFM ou en Fac un refuge contre la dure condition de l’enseignant chahuté en collège ou en lycée]. Eh bien, il a souri, cet homme — tant il les connaît bien. Tant, au terme de son ambition, il est sur le point de passer de l’autre côté du miroir, là où l’on peut s’offrir le luxe d’être objectif — et légèrement méprisant.
3. Tu aimes les chiffres : tu sais bien que si l’on a supprimé pour l’essentiel les redoublements (et encore, la France est le pays d’Europe où l’on redouble le plus — c’est de ma faute, sans doute), c’est moins pour des raisons pédagogiques que pour des raisons comptables : un redoublant, cela coûte cher — deux fois le prix d’un élève ordinaire pour un an. Je pourrais affirmer sans trop me forcer que les pédagogues qui justifient désormais les passages systématiques dans la classe supérieure sont objectivement complices de calculs économiques qui arrangent des gouvernements que, souvent, ils récusent. Bel exemple de cohérence. Et d’ailleurs, ces mêmes Diafoirus de l’éducation réclament, sans cesse, plus de crédits — une antienne reprise en chœur par certains syndicats, accord a minima pour éviter de poser de vraies questions. Les budgets du Secondaire sont importants, et le retour sur investissement est, si je puis dire, inconséquent. C’est bien une preuve, parmi d’autres, que ce n’est pas prioritairement au niveau économique que doivent se prendre les futures décisions, mais au niveau des programmes, de la volonté de rétablissement d’un système aujourd’hui moribond.
4. Juillet 89, pour être précis. On fêtait le bicentenaire de la Révolution, et en même temps, on sortait une loi dont les résultats évidents sont la résurrection du servage et l’arrêt définitif de l’ascenseur social — une métaphore creuse peut-être, tout empreinte d’idéologie scolaire, mais qui signifie quelque chose pour ceux qui, comme moi, sont venus de rien. Sans parler des effets plus pervers encore, l’islamisation des collèges et des lycées, bientôt des écoles primaires : des millions de Musulmans qui ne demandaient qu’à vivre tranquilles ont été livrés en otages à quelques poignées de fondamentalistes qui, au nom du droit à l’expression, se sont empressés de bâillonner les autres — les filles, en particulier. Comme quoi une faute (cesser d’enseigner des savoirs sérieux) peut engendrer un crime.
5. Voir sur ce Frère Musulman camouflé l’excellent livre de Caroline Fourest, journaliste à Charlie-hebdo, Frère Tariq (Grasset, 2004). Et la Grande-Bretagne qui lui a si volontiers servi la soupe commence à se poser, par la bouche de Jack Straw ou de Tony Blair, de sérieuses questions sur l’incompatibilité du voile et du plum-pudding. Elle en arrive même à regarder l’exemple français — au moment où ici, des idéologues retardés persistent à lorgner vers l’Angleterre.