Un ancien élève du lycée des Tarterêts de Corbeil (Un BTS de compta-gestion qui ne comptait que des vedettes…) s’est rappelé récemment à mon bon souvenir. Son épouse, prof d’anglais en BEP-Bac Pro, a bien voulu témoigner de la situation où mijotent ses élèves — un état que connaissent bien certains des aventuriers de ce blog, qui pourront y joindre leur témoignage, pour confirmer ou infirmer ce qu’elle dit.
Je le livre brut de décoffrage — je m’en voudrais de tenter d’améliorer un texte qui n’est malheureusement que trop parlant, et qui se suffit parfaitement à lui-même. Que son auteur trouve ici l’expression de ma gratitude…

« Concernant les langues, je puis au moyen vous renseigner sur ce qu’il se passe en enseignement professionnel (BEP et Bac pro, je n’ai que peu d’information sur les CAP), puisque j’en suis chaque jour témoin.
Mais avant tout, je vais vous résumer la situation de côté-ci de la barrière, qui est bien pire que du côté de l’enseignement général, même si le niveau y a également beaucoup baissé en 10 ans.
Il est vrai que les élèves de BEP sont pour leur immense majorité en échec scolaire aggravé et pour certains dans des situations de misère sociale extrême. Ainsi, un élève — un réfugié des pays baltes (je ne saurais dire duquel en particulier) — a été témoin du massacre de sa famille dans sa « tendre » enfance… Nombre d’élèves de section professionnelle sont directement issus des SEGPA des environs. Ils sortent à peine d’un parcours « privilégié » (je mets le terme entre d’énormes guillemets, être en SEGPA est loin d’être un privilège, ce n’est pas à vous que je l’apprendrai) : deux voire trois professeurs seulement tout au long de l’année, effectifs très réduits (15 élèves maximum je crois) pour permettre un travail très individualisé avec chacun d’eux, et énorme travail de réintégration — d’intégration tout court dans certains cas — tant scolaire que sociale. Et arrivés au lycée, ils sont parachutés dans des classes de 25 élèves où ils deviennent pratiquement anonymes, et où les programmes et la façon d’enseigner sont en totale rupture avec ce à quoi ils étaient habitués. Bref, autant dire que les SEGPA, puisqu’elles ne vont pas jusqu’au bout, contribuent à détruire encore plus les élèves qui en sortent. Au mieux, ils maîtriseront quelques rudiments de français et de calcul, mais peu s’intégreront correctement dans le monde du travail. Et que dire de la violence que la rupture citée plus haut entraîne chez eux !
Les élèves venus de SEGPA ne représentent heureusement pas la majorité des élèves de BEP. Le reste du contingent est nourri en grande partie par les éjectés de l’enseignement général. Trop de lacunes, trop hyperactif, trop fainéant ? Hop ! direction BEP. Ils sont donc dans leur très grande majorité démotivés et souffrent de complexes d’infériorité intellectuelle évidents. Certains vont jusqu’à tout rater intentionnellement, afin de ne surtout pas être confrontés à un nouvel échec alors qu’ils auraient travaillé dur. On se rassure comme l’on peut…
Majoritairement, les élèves sont des enfants d’immigrés (Maghrebins ou Africains) : techniquement ils sont français mais ne se considèrent pas comme tels. Le sectarisme dont ils font preuve est très inquiétant. Certains refusent tout bonnement d’obéir. Vous pensez, une « céfran », une « meuf » qui plus est, leur donne des ordres ! Qui est-elle, cette « pute » (une poignée considère que ce qui est féminin et pubère et qui ne porte pas le voile est forcément une prostituée), pour leur dire ce qu’ils doivent faire ? Malgré tout, il faut parvenir à rester ferme et ne JAMAISrevenir sur une décision, — sauf erreur manifeste. Cela peut prendre ¼ d’heure pour qu’un élève change de place. Sur un cours, c’est énorme, mais sur le long terme, c’est la crédibilité de l’enseignant qui est en jeu. Finalement, il faut parvenir à se faire respecter en ne cédant pas à leurs caprices ou à leurs intimidations. Mais que d’énergie inutilement déployée ! Parfois, les cours ressemblent à de la garderie plutôt qu’autre chose… C’est à croire que depuis qu’ils sont nés, ces enfants n’ont jamais été confrontés à une quelconque autorité. Ils la refusent en bloc.
Dans le tas, il y en a bien un ou deux par an (toutes spécialités confondues : électrotechnique, comptabilité-gestion, vente, technique d’usinage) qui ont choisi la voie professionnelle, mais ils déchantent assez vite pour des raisons évidentes.
Il est nécessaire de préciser que les parents sont soit totalement transparents, soit pas du tout objectifs quant leur petit chéri qui n’a jamais rien à se reprocher…
Pour parler plus spécifiquement des langues, c’est un peu comme le français : les instructions officielles interdisent les cours de grammaire pure. Chaque texte doit faire l’objet d’un ou deux points survolés, noyés entre un rappel sur l’utilisation du « verbe +ing », du « s » à la troisième personne du singulier, et des nombreuses interruptions pour tenter de mettre un peu d’ordre dans le brouhaha presque incessant. La transversalité des savoirs est également une valeur-phare. Mais à côté de cela, il n’y a pas véritablement de programme. Ou plutôt, si, mais personne n’en a cure. Il suffit d’essayer de mettre la main dessus pour s’en persuader…

Ainsi, dans la pratique, il arrive de temps à autres que des cours entiers soient consacrés à la grammaire (ces cours sont d’ailleurs étonnamment calmes et studieux). La transversalité quant à elle reste très anecdotique, étant donné que « l’anglais utile », celui qui est supposé servir pour écrire un CV, déchiffrer un mode d’emploi ou passer un entretien d’embauche, n’est pas ce qui les intéresse le plus — même si c’est ça leur programme. Je préfère leur parler de sciences (clonage, astronomie, phénomènes météorologiques…), de faits de société souvent portés sur le couple tolérance / intolérance qui fait gravement défaut chez les élèves (Rosa Parks, Martin Luther King, Rodney King…), voire même leur proposer des images choc afin de les faire réfléchir (en particulier, l’image de cette petite fille nue lors d’un napalmage au Vietnam, détournée par un artiste qui lui fait tenir la main de Ronald Mc Donald et de Mickey Mouse. Tout un symbole). À côté de cela, je n’hésite pas à leur faire étudier des passages d’Oliver Twist (ça passe mieux avec le récent film de Roman Polanski), par exemple. En un sens, le désintérêt profond, tant des hautes instances que de la majorité des parents (quel comble !), à l’égard de l’enseignement professionnel, est une chance. Cela permet nombre d’expérimentations et une certaine liberté dans les contenus et le déroulement des cours. Ce qui ressort de mes trois petites années d’expérience, c’est que l’enseignement « traditionnel » donne de bien meilleurs résultats que le reste. Après un bon gros bourrage de crâne de grammaire pure, les notes sont bien meilleures qu’avec un enseignement frelaté.

Reste que quoi qu’il arrive, les résultats sont pipés. Lors des corrections du bac pro en juin dernier, voici les recommandations qui été transmises aux correcteurs :
– aucune annotation sur les copies. Seulement la note finale. Sans doute une manœuvre pour faciliter une fraude en cas de demande de recomptage, et permettre ainsi que la note de la copie et celle portée sur la feuille de résultat soient les mêmes. Il va de soi que la majorité des correcteurs ont « oublié » de ne pas annoter leurs copies.
– dans la mesure du possible, pas de note en-dessous de 5, voire 6/20, c’est trop humiliant pour les élèves. Et puis, autant éviter la double correction imposée (on perd du temps, donc de l’argent) en cas de note inférieur à 5…
– ne pas sanctionner les fautes, mais mettre en valeur ce qui est juste. Et quand rien n’est juste, récompenser l’effort.
Résultat des courses : une frange de ces gamins, qui sont totalement ignorants, complètement analphabètes et sans aucune qualification se retrouve tout de même diplômée et obtient par la suite le bac pro dans certains cas. Autant vous dire qu’avant de faire appel à un électricien ou un plombier, il vaut mieux se renseigner en profondeur, ou mieux, apprendre soi-même, c’est beaucoup moins risqué. Les autres, ceux qui ont (essayé de) travaillé(r), ont quelques chances d’intégrer un BTS ou une qualification dite supérieure. »

No comment en ce qui me concerne, ce sont des classes que je n’ai jamaies eues. Mais ça confirme tellement tous les témoignages…
JPB