Depuis quelques semaines, une pétition lancée par le SNALC et demandant l’abrogation du collège unique a été mise en ligne (http://www.snalc.fr/petition.tpl). J’en ai parlé précédemment, j’y reviens — parce que les disputes actuelles autour de ce que « nous » ferons du Collège lors que « nous » serons écoutés en haut lieu me paraissent quelque peu surréalistes — ou un tant soit peu « Perette » et ses rêves de grandeur. « Donnez-moi l’arsenic, je vous cède les nègres » : ne dirait-on pas que les conseillers vertueux de l’anti-pédagogisme se disputent la peau d’un ours encore bien vivant ?

Objet du débat : que mettre à la place du collège unique ? Faut-il imaginer une souplesse extrême, une progression par matière, un système d’Unités de Valeur capitalisables par l’élève dès la Sixième ? Ou au contraire en revenir aux immortels principes de 1923 — ou quelque date que vous voulez, pourvu qu’elle soit antérieure à la loi de juillet 1989… Ou encore : devons-nous écrire des programmes intangibles, coulés dans le bronze, pour les classes de Collège (et, tant qu’à faire, de Lycée), sans tenir compte des réalités du terrain, qui nous disent que 40% des élèves de Sixième maîtrisent mal l’écrit, et que 160 000 enfants sortent du système fin Troisième sans rien dans les mains, et pas grand chose dans la tête ?

Nous savons bien que nous ne pouvons pas sacrifier la génération en cours (au double sens du terme) sur l’autel de programmes idéaux, suite logique des programmes parfaits que le SLECC — ou quelque autre organisme qui aura repensé les progressions depuis la Maternelle — aura mis en place. Il faut imaginer, à partir de programmes aussi pensés que possible, un rythme, une progression radicalement inédits. Non des « programmes intermédiaires », dont le risque est, comme les « ponts provisoires », qu’ils deviennent définitifs, mais une pédagogie — je me refuse absolument à laisser ce joli mot à ces gens qui l’ont annexé en le galvaudant — nouvelle et ondoyante.

Quelles solutions dans l’immédiat ? D’un côté, ceux qui voudraient ressusciter l’ancien Cours Supérieur, une sorte de CM3 / CM4 qui ouvriraient les actuelles Sixième / Cinquième — mise à niveau dont le risque est de fabriquer un grand nombre d’enfants à responsabilité limitée, si je puis dire (sans compter que ce serait refaire du « collège unique » par manque de diversité dans l’ambition). Avec un barrage conséquent fin Cinquième, et le risque inhérent d’orientation précoce vers des métiers manuels qui aujourd’hui demandent plus de dispositions qu’autrefois, et recrutent bien au-delà de quatorze ans : aucune fédératioin patronale, pas même celle du Bâtiment, ne s’est déclarée favorable, il y a deux ans, à l’abaissement de l’âge de sortie du Collège pensé un moment par le gouvernement Villepin.
D’un autre côté, créer dans la plupart des disciplines des « groupes de compétence », avec cours de rattrapage pour les plus atteints. Cela risque de faire éclater le « groupe classe » avant même qu’il existe.
Sans compter quelques illuminés qui préconisent le retour d’un examen d’entrée en Sixième. Et que fait-on de ceux qui y échouent ? On les fusille pour l’exemple ?

Les uns et les autres sont cependant conscients que la première chose que doivent faire les enseignants de collège, aujourd’hui et demain, c’est de reprendre en Sixième (et encore en Cinquième, et parfois encore plus tard — et sans doute aussi en Seconde), en trois ou quatre mois, le programme du… Primaire. Le tronc commun d’un collège diversifié, il est là — et toute évaluation précoce en Sixième n’a aucun sens : la meilleure preuve, ce sont les contorsions, dans les énoncés de ces tests, qui d’année en année permettent de maintenir la fiction d’un « niveau » à l’entrée en Sixième (« seulement » 17% d’analphabètes). Ce n’est qu’à partir de ce rappel de connaissances non intégrées que l’on peut diversifier véritablement l’enseignement.
Je rappelle que l’objectif de l’école est double — et il n’aurait jamais dû être autre chose : permettre à chacun d’aller au plus haut de ses capacités, et laisser le moins d’enfants possible en route, en autorisant chacun à exploiter ses talents.
L’égalité est un leurre, les enseignants le savent bien, les parents l’admettent, les élèves le vivent au quotidien. Certains sont plus capables de ceci que de cela, et quelques-uns sont incapables de bien des choses. Il y aura toujours non des cancres (j’ai une tendresse personnelle pour le cancre, qui n’est souvent qu’un bon élève délaissé), mais des bébés-lune. La seule loi naturelle — darwinienne — de la classe, c’est la diversité. Tel qui brille en langues est rétif aux mathématiques, tel qui vomit les disciplines générales sera un dessinateur hors pair. Il a fallu tourmenter sérieusement les principes de 1789 pour faire de la proclamation des « mérites » la base d’une vulgate égalitariste. Qui ne comprend que l’« élitisme républicain » respecte davantage les « droits » qu’une politique volontariste d’égalité par le bas ? Qui n’a compris, aujourd’hui, que l’idéologie pédagogiste est un nouveau Manifeste des Egaux — qui ne survivra pas plus que n’a survécu l’évangile selon Babeuf ?
Aujourd’hui et demain, partons du principe que les premières semaines ou les premiers mois sont des remises à niveau — et que ceux qui réagissent les plus vite doivent, avant les autres, intégrer un cursus classique que d’autres rejoindront, au fur et à mesure de leur éveil au Savoir. Pour cela, il est essentiel que les établissements disposent d’une marge plus grande qu’aujourd’hui dans leur politique éducative, et donc dans leur budget. Essentiel aussi que les enseignants disposent, dans le cadre de programmes fermes et définitifs, de la plus grande latitude pédagogique — et que cesse enfin cette contrainte si artificielle qu’est la construction en « séquences » — l’anti-vie même. Et surtout il est primordial que s’établisse une vraie communication entre les écoles primaires et les collèges — au point que certains instituteurs pourraient très bien être mandatés pour faire faire des révisions générales à quelques élèves de collège décontenancés par les vrais programmes de Sixième — tout comme des enseignants de collège pourraient essaimer la bonne parole en CM2 pour préparer les enfants à un régime fort différent — en leur faisant envie, non en leur faisant peur. Ce n’est pas en campant chacun dans nos citadelles que nous changerons quoi que ce soit : à pseudo-« citoyen », citoyen et demi : il nous faut être plus solidaires, si nous voulons nous différencier, et permettre aux élèves d’exprimer leurs talents ou d’expliquer leurs faiblesses.

À vous désormais de lancer des propositions sur la gestion effective de classes de Collège, dans quelque matière que ce soit. À vous d’écrire les programmes — parce que la règle démocratique est de notre côté, et non du côté de ces didacticiens qui prétendent dès l’abord tout savoir. Un grand principe d’incertitude a toutes les chances de faire moins de mal, surtout s’il s’appuie sur quelques convictions profondes et un réel savoir, que des certitudes erronées.

Jean-Paul Brighelli