Le SNALC s’est fendu d’une analyse exhaustive des mirifiques propositions de la commission Pochard. Je la livre à votre attention, afin d’éviter la désinformation qui court déjà dans une certaine presse.

 Bonne lecture à tous et à toutes. Et rien ne vous empêche, pendant ce temps, de signer l’une ou l’autre des pétitions syndicales sur l’affaire de la gifle – ou les deux : http://www.snalc.fr/petition_sign.tpl  ou http://www.lille.snes.edu/spip9/spip.php?article1369

 Jean-Paul Brighelli

RAPPORT POCHARD : LA GIFLE  !

            « Ultime tentative pour revaloriser une condition enseignante bien mise à mal depuis au moins deux décennies, la commission présidée par M. Pochard – dont les travaux ne pouvaient être que biaisés, dès son installation, par la présence des pires contempteurs du corps enseignant- vient, ce lundi 4 février, de présenter ses propositions à X. Darcos. Bien que prudentes sur certains points, tant les réactions enseignantes semblent craintes, ces préconisations représentent l’aboutissement des pires préceptes pédagogistes distillés depuis trente ans, comme des préoccupations des plus libéraux des budgétaires…

Toujours plus d’autonomie des établissements

L’autonomie des contenus ou des certifications n’est certes pas envisagée (les programmes et diplômes devant rester nationaux) mais :

Ø            Les établissements pourraient jouer sur des horaires annualisés et globalisés – chacun pouvant décider d’affecter plus ou moins d’heures à une discipline, un projet, etc.- et sur l’éclatement du groupe-classe : la commission parle ainsi de « liberté dans l’organisation des cursus scolaires ». Autant dire que la pédagogie de projet, appuyée sur la promotion de la pluri-trans-co-disciplinarité devient dans cette perspective le seul référentiel d’organisation pédagogique possible! Afin d’assurer cette autonomie, la partie de la dotation horaire la favorisant ne devrait plus être inférieure à 10% du total des heures affectées (moins de 5% aujourd’hui). Ce qui signifie clairement que les délires pédagogistes locaux trouveront encore davantage de moyens pour s’exprimer !

Ø            Les conditions d’exercice des enseignants pourraient être partiellement fixées par établissement, avec des séquences de travail non plus hebdomadaires mais pluri hebdomadaires, trimestrielles, voire annuelles. Le conseil pédagogique serait chargé de cette organisation nouvelle du travail des professeurs, en cohérence avec le projet d’établissement. Dans le cadre des affectations sur poste, une contractualisation pourrait même être envisagée entre enseignant et établissement receveur (avec la signature d’un « contrat d’affectation » de type droit privé, indiquant les objectifs à atteindre et les conditions pour les atteindre). De manière plus générale, les chefs d’établissement joueraient un rôle plus important dans le recrutement (davantage de postes à profil). La caporalisation latente des professeurs induite par ces prescriptions ne trouble cependant pas les rapporteurs de la commission  lorsqu’ils déclarent que « les prescriptions concernant les méthodes et les modalités pédagogiques ne devraient plus avoir lieu d’être ». Déclaration de principe, pour ne pas dire provocatrice, car on voit mal en effet comment, dans ces conditions, pourrait s’exercer une quelconque liberté pédagogique !

                                                                                

Redéfinition des missions des enseignants : toujours plus pour gagner… peu !

Si les rapporteurs de ce texte proposent une classification pour le moins claire des missions et activités des professeurs (définition d’un « socle commun » et d’activités modulables, ceci se justifiant parfaitement dans le cadre de la multiplication « sauvage »des tâches annexes), leur prise en compte peut laisser perplexe. Plusieurs options sont envisagées pour intégrer l’ensemble de ces missions dans le temps de travail, sans qu’aucune ne soit véritablement satisfaisante :

Ø      1ère option : l’alignement sur les 1607h des autres fonctionnaires, mais la commission reconnaît elle-même la difficulté de mise en œuvre…

Ø      2ème option : une obligation de service, soit hebdomadaire, soit annuelle, limitée au seul temps d’enseignement, soit 648h, communes aux certifiés et agrégés, avec complément de rémunération pour les agrégés. Si cette solution a le mérite de proposer une contrepartie financière à l’allongement de la durée de travail des professeurs agrégés, il n’est pas évident que cette compensation soit suffisante (c’est-à-dire équivalente à trois heures supplémentaires-semaine). Par ailleurs, cette proposition suppose bien évidemment l’annualisation du temps de travail…

Ø      3ème option : une obligation de service incluant enseignement et activités dites « indissociables » (accompagnement des élèves, conseils de classe, orientation, etc.), celles-ci étant soit incluses dans le temps de travail (ce qui signifie une diminution des horaires d’enseignement eux-mêmes), soit ajoutées statutairement au temps d’enseignement (avec rémunération supplémentaire), soit modulées au niveau des établissements eux-mêmes (le chef d’établissement décidant d’un nombre d’heures ou de jours dûs, avec rémunération correspondante).

Dans les deux derniers cas, le temps de présence serait évidemment accru dans les établissements. Pour les activités dites « complémentaires » ou non obligatoires (coordination, formation d’autres enseignants, encadrement d’activités pédagogiques, etc.) on ferait appel aux volontaires, qui bénéficieraient d’une rémunération spécifique. Le conseil pédagogique –coquille vide actuellement mais n’étant pas destiné à le rester !- aurait un pouvoir de décision quant au choix des volontaires susceptibles d’effectuer ces tâches. Certaines fonctions actuelles (chef de travaux, directeur d’école, coordonnateurs disciplinaires…) pourraient avoir statut d’emploi, afin de mettre en place des encadrements intermédiaires. Toutes ces mesures ne peuvent malheureusement qu’entraîner une caporalisation accrue des professeurs, soumis à l’autorité locale de nouveaux petits chefs et au bon vouloir d’un conseil pédagogique aux pouvoirs renforcés… !

Formation et recrutement : bradage des concours et des compétences disciplinaires

Dans l’hypothèse la plus favorable, celle où les concours seraient maintenus, nombre de dispositions ne laissent d’inquiéter : la commission souhaite tout d’abord simplifier les concours, qui comportent (sic !) « trop d’épreuves, trop de redondances ». Or il est évident que cette simplification, justifiée par de simples principes budgétaires sous couvert de motivations pédagogiques, ne peut aboutir qu’à un appauvrissement de la qualité des recrutements. Selon nos rapporteurs, la « multiplicité des épreuves cherche à sanctifier des connaissances plutôt que des capacités » : il s’agit donc bien de recruter à l’avenir de gentils animateurs socioculturels, plutôt que des spécialistes de leur(s) discipline(s) ! Les auteurs de ce rapport estiment également par-là même que l’obtention d’un diplôme vaut autant que la réussite à un concours, ce qui n’est certes pas la même chose ! Certaines épreuves des concours internes pourraient ainsi être remplacées par la Validation des Acquis de l’Expérience, afin de faciliter le passage vers la fonction publique des salariés du privé, et les maquettes des concours externes pourraient se calquer sur celles des concours internes (avec, donc, beaucoup moins d’épreuves, plus professionnalisées). De manière générale, la volonté d’ouverture à d’autres milieux professionnels, ressortissants de l’UE… entraînerait la multiplication des procédures simplifiées de recrutement (3ème concours, etc.) !

Foin également des spécificités des corps : le rapport propose en effet le regroupement des concours CAPET et CAPLP, afin de permettre plus de flexibilité d’un établissement vers un autre… et cette mutualisation pourrait être étendue aux CAPES !

Et comme un bonheur n’arrive bien évidemment jamais seul, revoici aussi le spectre de la bivalence, avec 3 options envisagées : la mise en place de CAPES bivalents, sur la base de licences bi disciplinaires ou de doubles licences (ce qui reste la solution la plus acceptable), le développement des mentions complémentaires (malgré leur échec si avéré qu’elles ont été « gelées » pour 2008) et le recours à des PLP qui enseigneraient en collège (merci pour eux… !). Cette bivalence serait uniquement destinée aux collèges et aboutirait à la création d’un nouveau corps d’enseignant (l’expérience en demi-teinte des PEGC semblant avoir été passée en pertes et profits…) pouvant accueillir des professeurs d’école enseignant en collège. Au passage, signalons que la commission propose également le recours plus important aux détachements des PE dans le second degré en vue d’une intégration définitive à l’issue de deux années d’exercice… C’est donc bien de primarisation du collège  qu’il est question, sinon de la constitution progressive du corps unique de la maternelle à l’université !! La commission précise d’ailleurs plus loin qu’elle s’est « interrogée sur la possibilité de regrouper les différents corps »… 

Dans tous les cas, si les concours devaient être maintenus, la commission préconise également une professionnalisation de leurs épreuves (sous contrôle des IUFM…), ainsi que leur déconcentration (avec affectation académique). Là encore il est possible de douter de la qualité académique de tels concours et de l’enseignement qui en résulterait…

Mais le pire reste sans doute à venir, puisque la commission Pochard envisage aussi la pure et simple disparition des concours nationaux, en proposant de distinguer à terme certification et recrutement. Les auteurs de ce rapport expriment en effet une préférence nette pour un modèle « simultané », largement pratiqué dans les systèmes européens,  à savoir l’instauration d’un master professionnel en enseignement puis un recrutement sur tests et entretien par une autorité locale. A cet égard, plusieurs options sont proposées :

Ø      Une qualification nationale (épreuve et/ou test et/ou entretien) telle qu’elle se pratique pour les recrutements dans la fonction publique territoriale, conduisant à l’établissement d’une liste d’aptitude, vivier pour les académies ou établissements.

Ø      Un recrutement sur candidatures individuelles pour les lauréats des master d’enseignement (auprès des autorités académiques voire même des établissements eux-mêmes). La commission préfère visiblement cette solution pour le moins « libérale », qui implique un  « choix mutuel » entre l’établissement et le professeur.

Parmi toutes ces propositions, l’agrégation reste enfin la grande absente… Les auteurs du rapport se bornent en effet à préciser qu’elle pourrait rester un concours national ou (dans l’hypothèse ou la certification diffère du recrutement) demander une certification niveau doctorat.

Seules propositions de bon sens au sein de ce galimatias,  la réactivation des allocations IUFM (supprimées en 1997) et des IPES pour les jeunes issus des milieux défavorisés. Par contre, l’argumentaire utilisé pour justifier ces mesures est particulièrement abject : les bénéficiaires « constitueront un vivier d’enseignants plus proches socialement de leurs élèves et ils formeront une population d’enseignants stables dans les académies fuies aujourd’hui par les néotitulaires dès qu’ils en ont la possibilité » ! Autant dire que ces jeunes enseignants sont recrutés pour rester dans leur cité, loin de toute idée d’ouverture et de promotion sociale !!

Enfin, les mesures préconisées pour faciliter les débuts de carrière sont particulièrement décevantes : aucune proposition crédible n’est faite pour éloigner les jeunes professeurs des postes les plus difficiles. La commission n’est pas non plus favorable au renforcement des primes et autres avantages à enseigner en ZEP (trop cher sans doute !) et se borne à préconiser la définition par les recteurs d’une liste académique de postes « acceptables » pour les débutants (en termes notamment d’encadrement), comme la continuité « établissement de stage/premier poste », avec encadrement de professeurs expérimentés (qui ? dans les ZEP il y en a si peu…).

Revalorisation des carrières : beaucoup d’annonces, peu d’effets

Du point de vue des rémunérations, la commission précise bien qu’il n’est pas question de toucher aux bornes indiciaires (sous prétexte d’harmonie avec le reste de la fonction publique). Si elle n’exclut cependant pas une revalorisation du bas de grille de la catégorie A, ses préférences se portent plutôt vers une dotation à l’installation des jeunes (pour acheter matériel pédagogique, informatique et abonnement Internet… c’est-à-dire simplement les moyens –a minima- d’exercer son métier, pas de vivre plus décemment !). Les rapporteurs du texte se bornent donc à évoquer la possibilité de carrières moins « linéaires », avec soit la possibilité d’accéder plus tôt à la hors classe, soit la mise en place de deux « rendez-vous » d’avancement (au lieu d’un), le premier après 10-15 ans d’activité, le second 10 ans environ avant la retraite. Des parcours professionnels différenciés seraient mis en place sur la base de ces concertations : des carrières « programmées » dans lesquelles l’enseignant et l’institution s’engagent par contrat, le professeur acceptant des contraintes particulières mais bénéficiant de garanties et contreparties ; des carrières « conseillées », moins engageantes mais aussi moins valorisées et enfin des carrières nominales « classiques », à l’ancienneté.

Afin d’améliorer les traitements, la commission propose donc simplement de développer les « rémunérations accessoires », avec 2 options proposées :

Ø            Une prime pour tous, calquée sur le principe de l’ISOE, en contrepartie néanmoins d’un temps de présence plus important dans l’établissement, au-delà du temps d’enseignement. Mais la commission semble peu attirée par cette solution, qui « accentue une tendance à l’égalitarisme »…

Ø            Une prime modulable, cette solution ayant « la préférence des gestionnaires de l’Education nationale » ( !), en fonction de la « diversité des conditions d’exercice ». La définition des tâches, missions et fonctions, ouvrant droit à prime serait effectuée localement, sous couvert d’un minimum d’encadrement national et académique.

Autre dispositif pour le moins éculé d’une revalorisation sans moyens conséquents, le développement de la promotion interne, notamment par un accès facilité au corps des agrégés, les auteurs du rapport souhaitant que le concours de l’agrégation interne évolue vers une reconnaissance des acquis de l’expérience. Ceci signifie clairement que le concours de l’agrégation cesse de reconnaître une excellence disciplinaire et académique… ! Il s’agit bien de casser un concours jugé « élitiste », de le transformer en validation des capacités à assimiler les préceptes pédagogistes et de faire de ses nouveaux lauréats les promoteurs de ce pédagogisme : « l’accès à l’agrégation interne ainsi conçue pourrait être l’occasion de confier aux nouveaux agrégés de nouvelles fonctions au sein des établissements scolaires » !

Enfin, serpent de mer de tous les projets de réforme, la reconnaissance du « mérite » des enseignants est largement évoquée -quoique mal définie- par la commission, qui reconnaît elle-même –prudemment !- la difficulté à l’évaluer : pour les auteurs de ce rapport, le mérite est certes l’expression de l’acceptation de fonctions complémentaires à l’enseignement. Mais parlant d’une éventuelle rémunération « à la performance », la commission indique ainsi que « le temps n’est pas encore venu d’une telle rémunération ». Tout au plus suggère-t-elle une évaluation globale des établissements plutôt qu’une évaluation individuelle des professeurs ! Chaque établissement bénéficierait ainsi, en fonction de ses performances –mesurées à l’aune des contrats d’objectifs- d’une « masse de primes à répartir entre les différents acteurs de l’établissement »… En revanche, la notation chiffrée des professeurs pourrait être remplacée par une autre forme d’évaluation (entretien professionnel ou entretien approfondi tous les 3-4 ans entre chef d’établissement, inspecteur et professeur). Dans tous les cas, le partage de la responsabilité de l’évaluation entre inspecteur et chef d’établissement, avec un renforcement du rôle de ce dernier,  semble primordial à la commission : il pourrait se voir confier l’évaluation « ordinaire » des professeurs, les corps d’inspection se réservant les évaluations plus ciblées (débuts de carrière, RV de carrière au moment des promotions, professeurs en difficulté, etc.). En cas d’évaluation négative, un professeur pourrait enfin être contraint à une obligation de « formation » : « s’il apparaît que pour une raison ou une autre, un enseignant a besoin selon son inspecteur, son chef d’établissement ou son directeur d’école, de suivre une formation, il ne pourra pas s’y soustraire ». Sans commentaires …

Malheureusement sans surprises, les propositions de la commission Pochard esquissent les contours du futur « flexi-prof » : académiquement peu fiable mais éducateur zélé, mobile et adaptable… copie conforme de ses homologues britanniques ou finlandais, quoique assurément moins rémunéré, tant les contreparties financières à une telle dégradation de la profession restent minces, sinon conditionnées à une docilité sans faille vis-à-vis des autorités locales. Pour le SNALC, ce n’est assurément pas par la mise en application de telles propositions que la fonction de professeur pourra retrouver sa dignité perdue, ni les élèves un enseignement de qualité… Il enjoint donc X. Darcos  d’enterrer définitivement ce texte aux côtés des rapports Legrand ou Thélot, auxquels il n’a rien à envier du point de la nocivité pour les professeurs, comme pour leurs élèves. »