Grande réunion au sommet au ministère aujourd’hui — la mère de toutes les réunions, comme aurait dit le regretté Saddam Hussein — sur la question des concours.
Etaient présents le ban et l’arrière-ban des ministères (Philippe Court, Mark Sherringham, Thierry Coulon l’inimitable, etc.) et des syndicats, de Cadart l’inexpugnable dragueur (Thierry, fais attention à toi : tes réflexions sur le Midi, son soleil, ses jolies filles, tu te les gardes !) à Aschieri, dit l’Eminence grisâtre. Bref, tout le monde (sauf FO, jugé « non représentatif » — ça me vexerait, si j’étais à FO). Même le SNALC…
Au programme, les concours de recrutement, nouvelles moutures.
On se souvient (voir http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2008/10/04/concours-de-recrutement.html) que les diverses propositions n’ont pas exactement fait l’unanimité — sinon contre elles. On sait désormais que ce n’étaient que boutades, taquineries ministérielles — ou, plutôt, une façon d’obtenir quand même une réduction du nombre d’épreuves, avec, si l’on n’y prend garde, une pédagogisation feutrée, mais réelle.
On connaît la technique des marchands de tapis : une offre inacceptable, des marchandages compliqués, des contre-propositions, et finalement un accord qui donne quand même satisfaction au marchand, qui fait en général 100% de bénéfices, sinon plus, et au client la certitude de ne pas s’être fait avoir — pas plus que d’autres touristes.
Tout le monde sauve la face.
Qu’il ait fallu six mois au ministère pour en venir au point de départ inévitable — une négociation globale avec les syndicats — reste un mystère. Hubris ? Sans doute. Envie d’aller trop vite ? Certainement. Mauvaise appréciation des résistances ? Oh oui…
Que de temps et d’énergie perdus…
Que disent les nouvelles maquettes ?
Qu’il n’y aura plus de « connaissance du système éducatif », ni d’entretien d’embauche (j’avais tapé, un peu vite, « embuche » : au circonflexe près, c’était ça…). Que dans leur quasi-totalité les épreuves seront des épreuves disciplinaires. Mais qu’il y en aura moins. Par exemple en Lettres modernes, trois épreuves écrites (Composition + Analyse de texte — grammaire, lexicologie, stylistique et ancien français —, et version de langue ancienne ou moderne), et deux à l’oral (présentation d’une Leçon — épreuve commune à tous les CAPES , une épreuve disciplinaire avec adjonction de pédagogie — il y en aura toujours trop — alors que l’épreuve sur dossier était une épreuve de pédagogie avec ajouts disciplinaires, et une explication de texte + grammaire, comme aujourd’hui). En Lettres classiques, on aura, à l’écrit, la surprise au dernier moment de faire du grec ou du latin (il faudra donc connaître les deux), la dissertation pourra être la même qu’en Lettres modernes, si j’ai bien compris, et les épreuves d’oral aussi.
Deux points litigieux. Les programmes, dans toutes les matières, seront ceux des collèges et lycées. Ce n’est pas très gênant en Lettres, puisqu’en gros on fait tout, Langue ou Littérature, entre la Sixième et la Terminale. C’est compliqué en Histoire/Géo, parce que c’est énorme — mais il semble bien qu’il y aura à l’écrit un programme sur des périodes précises, même si à l’oral une épreuve « sur documents » semble pour le moment concerner la totalité du programme d’Histoire et / ou de Géographie. Ce sera discutable en maths, dans la mesure où ce que l’on apprend dans cette discipline entre la Sixième et la Terminale (et que restera-t-il de Maths dans une Terminale d’un lycée rénové par le SGEN ?) n’est pas franchement toute la Mathématique…
Le problème, c’est l’attitude des syndicats. « Ah, le mot IUFM a enfin été cité ! » s’est exclamé Aschieri. Le Sgen était moins extatique que d’habitude (ils doivent avoir envie de lâcher le ministre, après lui avoir ciré les pompes durant des mois), l’UNSA itou. À eux trois, ces malfaisants représentent quand même une sacrée force de frappe.
Pourquoi est-ce un problème ? Les moutures des concours (qui pourraient se passer au mois d’octobre de l’année de M2) supposent essentiellement des connaissances disciplinaires : exeunt donc les masters pro si discutables, source du conflit qui anime les facs depuis trois mois, et qui titillait si fort les IUFM que certains d’entre eux en avaient mitonné des pré-moutures dès novembre : tu parles, des masters pleins de didactique et de sciences (?) de l’Education — avec tout plein de beaux reçus-collés dont on pourrait faire des auxiliaires, comme autrefois… D’ailleurs, dans le tout premier projet du ministère (en novembre), n’importe quel master devait permettre de s’inscrire à un concours (bon nombre de candidats au CAPES en ont déjà un, de toute manière). Retour à la case départ : vous pourrez poser votre candidature avec un Master de Lettres, d’Histoire, de Maths ; Sans forcément passer sous les fourches caudines de l’IUFM — ou d’un UFR intégré aux facs qui le remplacera avantageusement.
Est-ce si sûr ?
Les syndicats se sont aussitôt alarmés : ils espéraient bien que tous les IUFM seraient maintenus en l’état… Quand on tient une organisation totalement nocive, on ne la lâche pas. Et la Leçon est tout de même fortement pédagogisée.
Mais le risque central, il est postérieur au CAPES. Puisqu’il peut être passé à M1 (avec inscription en M2), mais ne sera validé que si l’on obtient M2. Et là, les sciences de l’éducation espèrent se tailler la part du lion (ou de la hyène ?), en obligeant les malheureux pré-titulaires de baisser culotte et pavillon devant la magnificence des sous-disciples de Meirieu : ah, les héritiers, comme dirait Bourdieu…
Il va donc falloir être particulièrement attentif, dans les semaines qui vont suivre (une dizaine de réunions sont prévues, entre les mêmes). Les troupes vives du SNES (la belle Frédérique Rollet n’était pas là — est-ce un hasard ?) devraient peut-être expliquer à leur Père supérieur qu’à la base, elles vomissent souvent les sciences de l’éducation, assez souvent le collège unique, presque toujours les programmes Viala, et tout ce qui a détruit l’école depuis vingt ans. Les troupes de l’UNSA, qui syndiquent plus de Conseillers d’Education que de profs, pourraient faire de même. Les troupes du SGEN — non, là, je rêve !
Que le ministère, que d’aucuns croyaient de droite, s’acharne à ce point à faire plaisir au SGEN restera comme l’une des énigmes de ces deux dernières années. Darcos s’est fâché avec ceux qui lui voulaient du bien, il a flatté ceux qui rêvent toujours, au fond, de le pendre. La réforme du lycée, dont vous trouverez une analyse plutôt pertinente sur http://www.mediapart.fr/club/blog/claire-mazeron/200409/lycee-la-reforme-en-douceur, se glisse en sourdine par la porte étroite d’une grosse centaines de lycées « volontaires », et par la grâce d’un Richard Descoings qui fait semblant de consulter, et conclut, dans les débats du Nouvel Obs, que l’on ne peut s’entendre, décidément, qu’avec l’UNSA et le SGEN — et voue le SNALC et le SNES aux gémonies. Et le ministère tente pendant les discussions d’habiliter les maquettes de masters qui sont remontées malgré le mouvement qui agite les facs. Rien n’est joué, rien n’est gagné. Il est bien possible qu’on arrive à sauver l’essentiel, au niveau de la formation. Mais on pourrait tout perdre en persistant à vouloir mélanger un juste combat pour défendre les Savoirs, et la défense des intérêts partisans d’une bande de scientologues de la pédagogie.
Jean-Paul Brighelli
PS. Pour le moment, rien n’est dit sur l’agrégation, qui ne devrait pas bouger. On ne peut que souhaiter que les agrégés soient enfin prioritaires pour entrer en lycées, comme on le leur promet depuis des années — ça durera jusqu’à ce que le SGEN ait la peau de l’agrèg.