Ainsi donc, Jack Lang, en approuvant une réforme voulue par le président de la République, a déplu aux instances du PS… Pauvres choux (cailloux, hiboux) ! On va tancer l’impudent, a juré Jean-Marc Ayrault. Ça ne se passera pas comme ça, a fulminé Julien Dray. Faut voir, a marmonné François Hollande, dont c’est le refrain déjà psalmodié à propos de Georges Frèche — ce « faut voir » qui permet de ne jamais rien trancher.

Et silence tonitruant des autres leaders historiques, tout aussi remarquable que les éclats de voix des susdits.

Et dans l’autre camp, Jean-François Copé, l’homme qui pensait jadis qu’un enseignant gagnait 5000 € par mois, a trouvé la position de Lang « responsable » et positive. Entre futurs collègues…

Jack Lang a franchi ostensiblement le Rubicon, mais en réalité, cela fait belle lurette que ce vélociraptor botoxé (1) se livre à des contorsions compliqués pour complaire à son futur maître. Interviewé sur son approbation de la politique de Nicolas Sarkozy, il a hautement protesté — mettant en avant le « scandale » de la politique éducative de l’équipe Fillon. En clair, il se pose en rival et successeur de Xavier Darcos, dans un gouvernement dirigé, par exemple, par ce phare de la pensée qu’est Xavier Bertrand.

L’idée m’en est venue en avril, lors de l’enregistrement de l’émission de Serge Moati. Lang, flanqué de l’inévitable Meirieu, vitupérait les décisions d’un Xavier Darcos qui avait décidé de ne pas répondre à la polémique, alors même que l’ancien ministre de Mitterrand, quelques jours auparavant, avait co-signé dans le Nouvel Observateur, avec Luc Ferry, le meilleur philosophe du Café de Flore, une attaque frontale contre sa politique en général et les programmes du Primaire en particulier. Je me suis retrouvé, avec Natacha Polony, en première ligne pour défendre des décisions que je persiste à croire justes, même si l’orientation actuelle du ministère a de quoi déconcerter les bonnes volontés. Xavier Darcos, par sa relative aménité, voulait-il ménager un futur collègue au sein d’un gouvernement remanié ?

Non que je croie que l’UMP tolèrerait un seul instant, sinon comme hypothèse pour rire, la nomination de Lang à un ministère où il s’est illustré par son incompétence (encore que, principe de Peter aidant…). Mais si ce n’est là, ce sera ailleurs – dans quelque poste honorifique qui satisfera son goût des paillettes et de la parlote.

Je ne crois pas que Sarkozy opérera un remaniement tant que la France préside l’Europe (quoique l’argument puisse être un écran de fumée visant à rassurer Fillon tout en préparant déjà pour Matignon le cordon et les janissaires). Mais à moyen terme, cela vous aurait de la gueule, une équipe Lang / Meirieu revenant aux affaires sous Sarkozy II.

Allons, cessons de jouer à nous faire peur. Et revenons à des choses plus sérieuses. La politique-fiction, par exemple.

Le congrès du PS aura eu lieu (à la mi-novembre). Et l’un des scenarii sera l’arrivée au pouvoir des libéraux (Delanoë, Royal, Valls et consorts), qui pensent constituer un parti démocrate à l’américaine, selon l’analyse de Jean-Luc Mélenchon. Sans comprendre (ou peut-être le comprennent-ils fort bien) que c’est exactement ce qu’attend la droite, qui comptera sur l’inéligible Besancenot pour regrouper les mécontents et disséminer la gauche, tout comme Mitterrand, dans les années 80, a inventé le Front National pour anéantir la droite.

La prise en main de l’appareil du PS par ses éléments de gauche, alliés ou non à tel ou telle opportuniste —rassemblement des bonnes volontés des uns et des ambitions des autres — pourrait seule éviter un tel scénario. Est-elle crédible ? Et quelles seraient les options Education d’un tel rassemblement ? Qui les inspirerait ? L’ineffable Frackowiack, désormais retraité et toujours manitou de la pensée du courant majoritaire du PS sur l’Education, penchera du côté des sirènes libérales. Voilà un garçon qui ferait un adjoint de poids à un ministère Lang. Mais qui conseillera, en cette matière, les trentenaires doués et ambitieux que sont (ici, liste non limitative des jeunes loups en quête de pouvoir, chacun y mettra ses trentenaires préférés…).

Ce qui s’est joué à Versailles est poudre aux yeux dans une partie de poker menteur. Le « renforcement des pouvoirs de l’assemblée » ne vise qu’à autoriser une politique européenne supra-nationale sans en référer au peuple, c’est évident (2). Les gesticulations du PS, dont la direction actuelle n’a qu’à se féliciter de la plupart des articles en débat, n’avaient d’autre objet que de faire croire qu’il existe toujours un Parti Socialiste, à trois mois d’un congrès qui sera difficile — surtout en l’absence des membres qui avaient si opportunément pris leur cotisation sur Internet pour faire passer sainte Ségo, et qui n’ont pas renouvelé leur adhésion. Pendant ce temps, la rue de Grenelle envoie des signaux brouillés, comme si elle marchait sur trois pattes et voulait faire avancer à la fois les idées des « instructionnistes » et donner des gages à des pédagogistes tapis derrière la porte. Les programmes du Primaire étaient une avancée des uns, le refus de remettre en cause le collège unique, et le lycéen réinstallé au centre du système par Jean-Paul de Gaudemar sont autant de victoires des autres (et je ne parle même pas des futurs processus de recrutement des maîtres, sur lesquels je ferai une Note un de ces jours).

Je sais bien (atavisme corse, peut-être) que j’ai un peu tendance à flairer des complots partout. Mais là, c’est tellement gros…

La seule chose qui pourrait contrarier ces messieurs, c’est un mouvement de fond de tous ceux qui en ont assez de faire les poubelles après onze heures du soir, qui n’ont plus les moyens de se loger, plus les moyens de manger, plus les moyens de se déplacer. De tous ceux, aussi, qui voient fondre les effectifs autour d’eux, et qui se demandent s’ils seront ou non dans la prochaine fournée — dans le privé comme dans le public. Rien que dans l’Education, nous allons droit dans le mur, avec des départs massifs à la retraite qui ne seront pas compensés, ou très peu, alors même qu’une classe nombreuse, la génération née après 1998, arrive au collège. Faudra-t-il réinventer l’eau chaude et les « maîtres-aux », recrutés régionalement dans des facs dont on sort forcément qualifié — à moins qu’on n’aille chercher des renforts pédagogiques dans les pays de l’Est ou en Afrique (voir ce qui s’est passé dans les hôpitaux depuis dix-douze ans) ?

Un tel mouvement est-il crédible ? Si oui, est-il prochain ? Il est évident qu’un climat d’émeute siérait fort à une gauche du PS désireuse de prendre les rênes de ce parti exsangue pour le revivifier, mais ne fera pas du tout les affaires des apparatchiks de la rue de Solférino.  Quant à Jack Lang, qui ne se résigne pas de n’avoir été, dans l’Histoire, que le courtisan le mieux habillé des années Mitterrand, serait-il vraiment autre chose, dans l’Education ou ailleurs, qu’un cautère sur une gueule de bois ?

Jean-Paul Brighelli

 

(1) L’expression appartient à l’un des honorables correspondants de ce blog. Qu’il trouve ici l’expression de mes remerciements pour cette trouvaille verbale si totalement adéquate à ce socialiste d’opérette.

(2) C’est l’opinion de Nicolas Dupont-Aignan, qui pense (France 2, les Quatre vérités, 21 juillet) que l’entrée dans la CEE de la Turquie pourrait être ainsi approuvée par une Assemblée-godillot, sans passer par un référendum dont l’issue est très probable. Je crois moi aussi que l’ensemble des modifications constitutionnelles n’est qu’un écran de fumée pour faire passer quelques décisions difficiles à faire avaler à l’opinion. C’est d’ailleurs ainsi que les ont analysées les députés de l’UMP qui — assez courageusement, il faut le dire — ne se sont pas ralliés au texte du gouvernement.