Mercredi dernier, je surveillais l’épreuve de Français du BTS d’Assistante de direction — je le mets au féminin parce qu’à peu de choses près, il n’y a que des filles, dans cette spécialité autrefois appelée « Secrétariat »…
Comme il se doit, j’ai accompagné l’une des candidates aux toilettes (qu’on n’y voie aucune intention perverse : il faut tout savoir faire dans l’administration, et depuis qu’il n’y a plus de surveillants, on doit savoir aussi faire « dame pipi »).
J’avais remarqué, en jetant un coup d’œil sur les bordereaux que doivent signer les étudiants, que dans la salle où j’officiais avec une collègue (et pendant ce temps-là, ni elle ni moi ne faisons cours…) les candidates, dans leur quasi-totalité, avaient largement dépassé les 20-22 ans canoniques. Comme la jeune fille, quelque peu dévorée d’une envie de fumer forcément illicite, s’attardait sur la mezzanine qui surplombe la cour, je lui demandai quel avait été son cursus.
Elle était là, m’expliqua-t-elle, grâce à la préparation du GRETA. Par ailleurs, elle avait une maîtrise de Lettres…
« Mais, ajouta-t-elle, pas question de passer un concours d’enseignement ! Rien qu’à l’idée d’être prof… »
Le geste qui accompagna la phrase inachevée était éloquent — le haut-le-cœur au bord des lèvres…

Qu’est-il arrivé à ce métier — « le plus beau métier du monde », comme le rappelait non sans ironie le titre d’un film il y a quelques années (1) — pour qu’une jeune fille pas idiote, qui n’écrivait pas mal, comme je m’en suis aperçu lorsqu’elle a rendu sa copie, préfère un emploi somme toute subalterne à ce qui fut jadis un métier de seigneurs ? Quelle image dégradée de l’enseignant s’est imposée dans les jeunes cervelles ? Et comment rendre à la fonction une part de cet attrait qui m’a jadis poussé — moi et tant d’autres — à me faire « prof » en dépit d’un salaire notoirement bas ?

L’une des solutions, en amont, serait de rétablir l’IPES, ce concours qui se passait (entre 1954 et 1975) en première ou deuxième année de Fac, et qui, en échange d’une bourse presque égale au SMIC, permettait à l’étudiant qui l’avait réussi d’entreprendre ses études d’enseignant dans un relatif confort. Mais il est tout aussi important, en aval, de réformer urgemment l’Education, pour que le respect de l’enseignant soit une nouvelle réalité, à travers des programmes débarrassés de ce fatras idéologique qui permet aujourd’hui aux élèves de ne rien apprendre tout en se pensant maîtres du monde. Il faut remettre les savoirs au cœur des programmes ¬— et donner aux futurs enseignants les moyens de dominer largement leur discipline, et non d’user leurs fonds de culottes ou de jupes sur les bancs d’un IUFM face aux spécialistes de la vacuité intellectuelle.
Parce que le respect de l’enseignant (qui est au fond pour l’élève une autre face du respect de soi-même) ne peut naître que d’une admiration, d’une soif de connaissances que seule peut provoquer la maîtrise du Savoir.
Aux Universités de former les futurs enseignants — non pas en les obligeant à suivre des cours correspondant aux sujets de thèse des Maîtres de conférence, mais en instituant un cursus spécifique qui mène aux métiers de l’enseignement. À cette heure, la formation qui prépare le mieux à ces métiers, ce sont les Classes préparatoires — que tant de gens, dans l’université, voudraient voir disparaître. Eh bien, qu’ils en fassent autant, de leur côté — qu’ils dispensent un enseignement rigoureux, précis et encyclopédique — car on ne fait pas longtemps illusion, en classe, si les élèves ne sentent pas que l’on en sait dix fois plus que les programmes mêmes n’exigent. Et peut-être redonnera-t-on aux titulaires d’une Maîtrise l’envie d’être à nouveau profs — et non dactylos porteuses de café.

Jean-Paul Brighelli

(1) De Gérard Lauzier (1996). Un ramassis de clichés pesants, auxquels Depardieu, avec sa grâce habituelle, ajoute quelques tonnes.

1 commentaire

  1. Bonjour,

    je relis ceci en 2016 : je suis dans l’enseignement, en maths, issu des prépas. Je me motive surtout en reprenant la recherche, et cela nourrit mon enseignement, puisque je me remets à apprécier ma discipline ; et sans doute cela passe-t-il dans mes cours.

    D’autre part je suis tout à fait d’accord avec « l’encyclopédisme ». Je souhaiterais que l’on revienne bien plus au par coeur et tout d’abord au fait qu’une discipline ne peut se comprendre qu’avec une certaine quantité de savoirs, en amont des fameux savoir-faire!
    Parfois je dis aux élèves que je suis un maître dans la discipline, voire leur maître (en classe). Cela passe très bien, en réalité ils aiment mieux avoir devant eux des gens qui sont sûrs d’eux et qui savent (tout comme les parents), plutôt que des poseurs qui prétendent en réunion pédagogique(iste!) : tout le monde est un apprenant, le professeur apprend autant que l’élève.
    C’est nier les nombreuses années d’apprentissage que ledit professeur, lui, s’est astreint à accomplir.

    Gabrie

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