Jeudi prochain 10 décembre se réunit au ministère, rue de Grenelle, à 14 heures, un CSE (Conseil Supérieur de l’Education, l’instance où sont réunis tous les syndicats pour discuter des projets ministériels) qui entérinera la réforme du lycée.

Qui l’entérinera parce que telle est la volonté du ministère. Que le SNES, le SNALC, la CGT, Sud-Education soient contre (1) n’entamera en rien la résolution du ministre : l’instance est consultative, et on peut s’asseoir sur ses (probables) vociférations. Que les mécontents fassent des pétitions, ou quittent la salle après l’allocution du ministre (qui enfin sera présent), peu importe : les dés sont pipés.
D’autant que le SE-UNSA et le SGEN (et aussi la FCPE et les représentants lycéens…) appuient cette réforme — bien qu’ils la trouvent timide : celle de Gaudemar, l’année dernière, leur convenait bien mieux. Là, au moins, on dégraissait en grand.

Vous avez dit timide ? En réunion de CSL (Commission Spécialisée Lycée) le 2 décembre dernier, le SE-UNSA, bientôt approuvé par le SGEN, a regretté publiquement — « j’ai un témoin ! » — que les élèves de Terminale S, qui, comme la presse s’en est enfin fait l’écho, n’auront plus de cours d’Histoire-Géo, aient tout de même la possibilité de prendre 2 heures d’option Histoire. Pourquoi cette indignation ? Parce qu’en leur offrant cette possibilité, le Ministère s’obstine à faire de la filière S une section pluri-disciplinaire, susceptible d’attirer d’autres élèves que les « purs » ( ?) matheux — donc, à terme, restauration de l’existant, c’est-à-dire une filière élitiste — oh le vilain mot…

Mais, dit le Ministre, ils en feront quand même, de l’Histoire-Géographie ! Puisqu’ils en auront quatre heures en Première — et ils passeront une épreuve anticipée de la discipline fin Première, tout comme ils passent l’épreuve anticipée de Français — « et je ne sache pas, ajoute-t-il, qu’ils en soient pour cela plus illettrés… »

Voire…

Notons au passage qu’une pétition lancée par l’Association des Professerus d’Histoire-Géo circule, a été signée par de grands noms de toutes étiquettes, et qu’il suffit d’aller sur http://www.aphg.fr/ …

Reprenons dans l’ordre les points forts de cette réforme.

 

Sur la base de trois années de lycée, un élève de Section S aura perdu 54 heures d’Histoire-Géo — et, au passage, 198 heures d’enseignements scientifiques — si ! Rien d’étonnant : dans le même temps, un élève de série L (rappelez-vous : il faut revaloriser la filière littéraire, a dit Not’ bon Maître, comme dit Jean-François Kahn) aura perdu 54 heures d’enseignements littéraires — et je n’évoquerai que pour la forme le fait qu’il ne fera plus de maths en Première…

À l’heure où tout le monde appelle à un tronc commun aussi fort que possible pour toutes les sections, le ministre rabiote sur toutes les matières (2).

Tout cela pour mieux « rééquilibrer les matières » (on en enlève un peu partout) et les séries, favoriser l’apprentissage des langues (au gré d’options qui font assez bien sur le papier, mais qui ne seront pas présentes partout, comme pour le reste — exit le latin et le grec, sauf dans des niches écologiques protégées), et mieux encadrer les élèves, auxquels on enlève des heures de cours en échange… en échange de quoi ? De deux heures d’« accompagnement personnalisé » — c’est-à-dire de ce que tous les profs de France font gracieusement, en sus de leurs heures de cours — mais Luc Chatel sait-il comment se passent des cours ? D’autant que les deux heures susdites doivent aussi permettre d’approfondir, de rattraper, de « coacher », et autres merveilles issues de l’imagination demi-fertile, demi-habile, d’un quelconque dir-cab, d’un responsable DGESCO fatigué, et d’une flopée de conseillers gentiment ignares (« nous ne leur avons pas laissé les meilleurs », rigolait récemment un ancien conseiller de Darcos).

Le même d’ailleurs révélait récemment qu’après la réforme du Primaire, Xavier Darcos avait naturellement envisagé de raconter l’histoire dans l’ordre, et de s’occuper du collège, où s’accumulent les principales difficultés.

 

Qu’il faille remettre sur la table le fonctionnement du collège unique, de plus en plus inique, ou repenser la politique des ZEP, de plus en plus Zones d’Exclusion Programmée, quel que soit le dévouement des enseignants qui parviennent à s’y accrocher, c’était une évidence. Certains syndicats le disent tout haut, d’autres mezza voce, mais les faits sont têtus : entre ceux qui entrent en Sixième sans savoir lire et écrire, et ceux qui sortent de Troisième en n’en sachant guère plus, il n’y a pas de quoi pavoiser. Nos bonnes intentions nous sont revenues dans la figure : nous voulions faciliter l’accès de tous à la culture, nous avons accentué les inégalités. C’est au collège, bien plus qu’au lycée, qu’il faut repenser l’orientation. C’est au collège qu’il faut entamer la reconquête des séries professionnelles — non au lycée, en inventant je ne sais quelles passerelles que les formations différenciées rendent infranchissables.

Mais des ordres sont venus d’en haut (l’Elysée ou Bercy, blanc bonnet bonnet blanc…). Une réforme du collège se ferait nécessairement à moyens constants, ou à peu près. C’est sur une réforme du lycée que l’on pouvait économiser des postes…

 

Ce qu’il y a de miraculeux avec les logiques imbéciles, c’est qu’elles sont logiques d’un bout à l’autre.

La réforme du lycée se passe en même temps que les « discussions » (voir plus haut, pour savoir ce qu’est une discussion rue de Grenelle, et plus bas, pour savoir ce qu’il en est rue Descartes) sur la mastérisation et les nouveaux concours de recrutement. Moins d’épreuves, moins de disciplinaire, le grand retour des Sciences de l’Education sous la bannière de la « professionnalisation » — les profs aujourd’hui en place, et particulièrement ceux formés avant la réforme Jospin, sont probablement de dangereux amateurs —, et, surtout, la mise en place des conditions nécessaires pour former un corps avantageux de « reçus-collés » et autres vacataires en puissance : la mastérisation, sous ses oripeaux de revalorisation (le ministère ne pouvait-il pas se contenter de revaloriser des salaires scandaleusement bas ? Voilà qui inciterait peut-être les étudiants à revenir en masse vers les concours de recrutement, aujourd’hui fortement boudés), réinvente l’eau tiède et les maîtres auxiliaires. Le Figaro rappelait récemment, sous la plume de Natacha Polony, que le rectorat de Créteil recrute par petites annonces des Licenciés ayant « des compétences avérées » (?). C’est un premier pas…

Les gens du ministère Pécresse, qui gèrent le dossier, ne semblent guère au courant — ou plutôt, ils font preuve d’une mauvaise foi révélatrice des décisions prises — et du peu de cas que l’on fait en ce moment des réalités universitaires. Le 4 décembre dernier, une délégation des associations d’Historiens était reçue au ministère par Thierry Coulhon, dir-cab adjoint, Carole Moinard, conseillère indispensable, et Claude Boichot, Inspecteur général de Physique, apparatchik parmi les apparatchiks et — retenez bien ce point — membre puis président de divers concours (3).

Ci-dessous le récit de cette entrevue, qui donnera au lecteur non spécialiste une idée du ton qu’utilisent, avec la fine fleur de l’Université, les petits-maîtres du ministère :

 

« La discussion avait pour objet la mise en œuvre de la mastérisation des concours.

M. Coulon a présenté le calendrier suivant (les deux premières phases devant s’achever d’ici fin décembre) :

— première phase: discussion sur le contenu des concours

— deuxième phase: préparation de la circulaire relative au cadrage des Masters

— troisième phase: organisation des stages

— quatrième phase: dialogue avec les universités sur leurs projets, qui seront présentés au CNESER en juin 2010.

 

Il a été rappelé que:

 

— tous les Masters doivent pouvoir mener aux métiers de l’enseignement, et que c’est aux universités de mettre en place les formations permettant ce type d’orientation, par exemple sous la forme de «parcours» spécifiques.

— Masters et concours sont dissociés dans leur organisation comme dans leur fonctionnement (même si, c’est le paradoxe principal de la réforme, le contenu et le calendrier du Master sont entièrement déterminés par la nouvelle mouture des concours).

— les stages ne sont pas obligatoires, mais conseillés. Il s’agit de stages d’observation et/ou de pratique accompagnée en M1, en petits groupes, pendant quelques jours, puis de stages en responsabilité en M2 de 108 h (soit 6 semaines à temps plein), rémunérés 3 000 euros. Ces stages seront coordonnés par les rectorats (sur le fonctionnement desquels le Ministère ne sait rien). Le déroulement des stages pourra être évoqué lors des oraux du Capes, mais on ne pourra sanctionner un candidat qui n’en aura pas fait. Mme Moinard pensait que les examinateurs avaient le CV?des candidats sous les yeux lors des oraux. Nous l’avons détrompée. Nous avons rappelé que les membres des jurys des oraux n’ont ni le CV, ni les notes de l’admissibilité sous les yeux lors des épreuves d’admission. M. Boichot a refusé de nous croire sur ce dernier point.

—Les préparations simultanées du Capes et de l’Agrégation sont désormais incompatibles (nous avons visiblement appris à nos interlocuteurs que, jusqu’à présent, dans notre discipline, les deux choses étaient étroitement associées)

—Le contenu précis des Masters n’intéresse pas beaucoup le Ministère. Nous avons appris à nos interlocuteurs comment fonctionnaient les Masters actuels, issus de l’ancienne maîtrise et de l’ancien DEA, avec, dans bon nombre de cas, la rédaction de deux mémoires (l’un en M1, l’autre en M2). Il nous a été dit que la réalisation de deux mémoires était parfaitement inutile. Un seul suffira, par exemple en M1, ou en M2, cela n’a pas d’importance. Les non admissibles au Capes (en M2) pourront faire un second mémoire pour occuper leur printemps et valider leur Master.

— La réforme entrant en vigueur dès la rentrée prochaine, l’écrit du Capes aura lieu fin novembre 2010. Le calendrier n’est pas négociable. Les étudiants auront trois mois « intenses ». Ils prépareront également pendant l’été, bien que, comme nous l’avons signalé, bon nombre d’entre eux soient salariés pendant les grandes vacances. Nous avons donc constaté que c’est en M1 que s’effectuerait la préparation, et qu’il n’y aurait donc plus beaucoup de temps pour faire un véritable mémoire. On nous a répondu que nous nous trompions.

— Une voie consacrée à la recherche devrait concerner une poignée d’agrégatifs. M. Coulon nous a demandé quelle était la proportion de doctorants susceptibles de faire carrière ans l’enseignement supérieur et la recherche. Nous lui avons appris qu’il y avait environ une trentaine ou une quarantaine de postes de maîtres de conférences d’histoire (toutes périodes confondues) mis au concours chaque année. Il n’est pas interdit de penser que, dans l’esprit du Ministère, tel devrait être — à peu près — le nombre des personnes susceptibles de passer l’Agrégation et de s’engager dans une thèse.

Par ailleurs, nos interlocuteurs ont refusé catégoriquement d’évoquer la réforme du lycée et de donner des indications, même très générales, sur le nombre de postes mis au concours.

 

M. Coulon nous invite à prendre contact de toute urgence avec monsieur l’inspecteur général Wirth pour les questions relatives aux programmes du concours, et avec monsieur Duwoye, secrétaire général des ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, pour les détails de nos préoccupations. »

 

Et de conclure, avec un humour très poli et très désespéré :

« L’impression générale n’est pas très encourageante. »

 

Les réformes en cours sont de toute évidence connectées. Moins d’exigences disciplinaires en amont (formation / recrutement des maîtres), moins d’exigences en aval — le lycée sera light ou ne sera pas. Et unique, comme le collège. Il sera aussi piloté par des chefs d’établissement tout puissants, qui composeront un « Conseil pédagogique » de leur cru qui leur permettra de gérer au mieux l’autonomie — le grand mot est lâché — qu’ils n’avaient pas demandée — ni eux, ni personne : l’autonomie ainsi prévue, c’est le règne des pontifes locaux, des administratifs régionaux, c’est l’éclatement de l’Education Nationale — le seul objectif qui rende compte des gesticulations des ministères. C’est, demain, le chèque-éducation qui donnera à chacun la possibilité de s’adresser à un Privé lourdement subventionné. C’est, par crainte du jacobinisme, l’abandon de toutes les prérogatives d’Etat qui assuraient encore une relative égalité dans le droit à l’Instruction. C’est la mort programmée de l’Ecole — plus que jamais.

Je ne peux concevoir qu’un syndicat responsable se fasse, par lassitude, le complice d’une telle politique. La discussion, de toute évidence, est déjà close.

Le reste se passera, comme d’habitude, dans la rue.

Jean-Paul Brighelli

(1) http://www.snalc.fr/affiche_article.php?actu=1&id=317&id_rep=281http://www.snes.edu/Le-projet-de-reforme-du-lycee-du.html

(2) Pour qui veut le détail : http://www.snalc.fr/fichiers/REFORME%20DU%20LYCEE%20-%20ETAT%20DES%20LIEUX%20Novembre%202009.pdf

(3) Sur cet intéressant personnage, voir http://www.educpros.fr/recherche-de-personnalites/fiche-personnalite/h/0e42e10b5d/personalite/claude-boichot.html