Je sors d’un entretien-débat avec François Dubet au Monde de l’Education (1), sur l’hypothèse d’une réforme du Bac — entre autres choses.
Réformer le Bac ?
Dans un monde parfait, dans cet éden pédagogique dont le pédagogisme nous a exilés ; dans une Ecole dont la transmission des Savoirs serait la pierre angulaire — une Ecole où dès la fin du CP on Saurait Lire, Ecrire, Compter et Calculer (pour ne pas parler de ce que l’on saurait faire à la fin du CM2) ; dans un système où le Collège et le Lycée auraient été réformés, où on aurait passé à la trappe le collège unique et la sainte séquence, et où seraient enseignées des bases assez solides et assez générales pour supporter, plus tard, toutes les spécialisations ; dans un monde aussi où l’orientation vers les voies professionnelles ne s’effectueraient jamais par défaut, mais pour valoriser les désirs et les compétences — parce que l’on saurait que le Bac général n’est pas une fin en soi et qu’il est une vie, une vie active et fructueuse, en dehors des strictes performances académiques…
Dans ce monde-là, je n’hésiterais pas à me faire le propagandiste inlassable du contrôle continu. D’autant que 55% des formations supérieures (BTS, IUT, Prépas, Universités à numerus clausus ou à dérogations) recrutent déjà sur le seul critère du livret scolaire. On y sélectionne en tenant le Bac pour acquis — et il l’est effectivement pour 83% des candidats, chiffre surréaliste mais dont il faut bien se dire qu’il ne diminuera plus, les parents ne le comprendraient pas. Les élèves concernés par ces sélections spécifiques jouent la carte de ces filières dès la Première — et, dans le système utopique évoqué ci-dessus, sans doute dès la Seconde.
Dès la Seconde ? Bien sûr ! La « Seconde indifférenciée » conçue à la fin des années 70 est à mon sens le marqueur historique le plus sûr de l’échec patent, et précoce, du collège unique (1975). On a réalisé très vite qu’il manquait bien des bases aux élèves de la réforme Haby, et on a cru les leur donner en créant une Troisième-bis, comme si c’était à la fin qu’on acquérait les bases. Si Xavier Darcos a le temps de mener à bien une réforme sérieuse des programmes, il aura tout loisir de restaurer des Secondes différenciées — en fait, un socle commun solide et des spécialités. Il y gagnerait en efficacité — et en nombre d’heures. La clé d’une redistribution intelligente des postes est là — pas dans les diktats de Bercy.

Retour à l’utopie et à un Bac continu. En passant sur trois ans des partiels trimestriels, chaque élève, en fin de Terminale, disposerait de 9 notes par matière : de quoi éliminer la crainte d’être noté à la tête du client par son prof de l’année (trois subjectivités finissent par faire une objectivité). De quoi aussi dissiper la crainte de l’arbitraire dans la notation d’un examen final — et, in fine, l’angoisse née du bachotage. Dans un système idéal, quelle économie en anxyolitiques ! C’est la Sécu qui serait contente…
Et un Bac acquis sur trois ans le serait probablement, cette fois, par tout le monde — j’en ai fait la proposition légèrement iconoclaste dans « Fin de récré » : plus de redoublements, plus de stress parental. Tout bénéfice.
Sans compter que le troisième trimestre durerait à nouveau trois mois pour tout le monde. De quoi justifier une vraie ambition dans les programmes, et un allégement simultané d’une semaine scolaire que tout un chacun s’accorde à trouver trop lourde…

Mais nous ne sommes pas dans un système idéal. Le Bac 2008 n’a que le nom de famille de celui créé il y a deux siècles par Napoléon. Il n’a qu’une parenté lointaine avec celui de Jules Ferry — il est déjà très différent de ses parents proches qui, dans les années 1960, ne concernaient que 15% d’une classe d’âge. Le Bac ? Appellation incontrôlée ! Il y a quarante ans, il ouvrait au métier d’instituteur. Aujourd’hui, il faut un Master 1. Le Bac est l’étalon-toc de cette inflation scolaire qu’a analysée Marie Duru-Bellat.
Alors, toucher au Bac ?

On peut, pour se donner bonne conscience ou amuser la galerie, tailler dans l’invraisemblable maquis d’options qui engendrent, aujourd’hui, près d’une centaine de Bacs différents. On peut mieux répartir les épreuves, entre Première et Terminale (ça se faisait dans les années 50-60), limiter la désorganisation de l’année scolaire, faire passer les épreuves ailleurs que dans les lycées (c’est déjà le cas, çà et là, depuis l’année dernière), et, peut-être, alléger la facture. Le Bac, c’est 40 millions d’euros en seuls frais de gestion. Et pour quels résultats…

Broutilles. L’urgence, c’est de modifier les élèves — en leur donnant plus, en leur donnant mieux. Ce n’est pas le thermomètre qu’il faut changer, c’est tout ce qui provoque la fièvre. Il faut que les programmes de Primaire soient appliqués — et deux fois plutôt qu’une. Il faut que les programmes de collège enfoncent le clou — et que les voies professionnelles soient vraiment explorées, et préparées, dès la Quatrième. Il ne faut plus laisser un gosse à la dérive — No child left behind, ont dit les Américains, et cette décision commencent apparemment à porter ses fruits. Il faut enfin repenser le Lycée, peut-être en concevant un vrai tronc commun et un système simplifié d’options, Littéraire, Scientifique, Economique, Technique et Tertiaire.
Il faut surtout — cessons de rêver — que le Bac conserve son caractère national, anonyme, auquel les Français sont si attachés. Dans un système idéal, les Proviseurs de lycée, publics pu privés, ne chercheraient pas à peser sur les notes mises aux élèves pour des questions de gloriole — ou d’avancement. Mais dans le monde réel, des pressions permanentes s’exercent déjà sur les correcteurs, via les IA, IPR et autres Présidents de jurys. Seront-elles encore nécessaires quand la très grande majorité des élèves arrivera à l’examen avec de vraies connaissances ?
Dernier point. Peut-être faudra-t-il tirer un jour la conséquence de toutes ces sélecions opérées sur dossiers : le Ba peut-il rester le premier grade universitaire, ou doit-il ^tre clairement, comme chez tous nos voisins, un exmen de fin d’études ?
Mais suis-je sot ! La question ne se posera pas, et on n’aura plus 50% d’échecs en première année de fac, dès lors que l’on aura remis le système sur ses pieds, le Savoir au centre du système, et les irréductibles du pédagogisme à la retraite.

Jean-Paul Brighelli

(1) À paraître en juin.

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