J’avoue ne pas tout comprendre au procès dit du Carlton de Lille.
Voilà un gentil garçon qui a du tempérament, qui participe à des partouzes comme il s’en monte sans cesse dans le meilleur monde et dans les autres, qui a peut-être eu recours à des prostitués (est-ce un délit ? Non) et a un goût prononcé pour la sexualité libérée — j’entends celle qui ne sert pas à faire des enfants, comme on dit dans la Genèse. Sodomie ! Les journalistes se sont un peu gargarisés avec le mot, mais ce n’est pas leur faute : le dossier d’instruction n’a apparemment pas raté une pénétration anale — ce qui n’est pas un délit non plus, en France tout au moins, chacun étant libre de faire de ses fesses ce qu’il veut, pourvu qu’il n’y ait pas contrainte.
Or, tout est là : les juges, à rebours du Parquet, qui avait estimé qu’il n’y avait pas matière à poursuite, ont fait de la sodomie l’axe central de leur dossier d’accusation. Voir sur le sujet un article très complet du Parisien.
Raisonnement en trois temps. 1. Seules des prostituées peuvent accepter se faire enculer — hmm… 2. Seules des prostituées peuvent accepter, si jeunes, se faire enculer par un vieux bedonnant — hmm… 3. Aucune tendresse dans ces enculades, menées de façon vigoureuse et parfois même avec une sorte de brutalité.
Hmm…

La dernière Enquête sur la sexualité en France (sous la direction de Nathalie Bajos et Michel Bozon, La Découverte, 2008) révèle (p. 275) chez les femmes, en moyenne, une pratique régulière pour environ 10% d’entre elles (15% pour les hommes), et une pratique irrégulière pour 40% (50 chez les hommes). Dans la tranche d’âge qui préoccupe les juges, les 18-25 ans, les chiffres pour les femmes sont respectivement de 7 et 25%. Et ce sur un très large échantillon sociologique, qui doit bien inclure deux ou trois putes, sur près de 100 000 personnes testées, mais aussi des agriculteurs, des profs, des flics et des économistes du FMI et d’ailleurs. En moyenne, c’est dans la tranche CAP / Bac que l’on se fait le plus sodomiser chez les dames, et que l’on s’y prête volontiers chez les hommes : considérant que DSK a fait des études supérieures, l’ex-directeur du FMI appartient à un créneau qui, en croisant l’âge et le niveau d’études, sodomise à 13%. Ce n’est pas majoritaire, mais ce n’est pas négligeable, c’est plus que jamais Mélenchon n’attira de votes, peut-être davantage que ce qu’aura Hollande en 2017.
Le même ouvrage (pp. 278-279) révèle que le recours à la prostitution ne faiblit pas, mais que l’éventail de drague s’ouvre grâce à Internet, qui procure dans le même temps un accès inédit à la pornographie — j’ai fait un livre sur le sujet, encore disponible sur les sites de soldes, je ne vais pas m’étendre sur la question.

De la prostitution sur le plan consommation, je ne sais rien — rien que ce que m’ont appris les livres : Roger Vailland, homme de gauche indubitable, membre du PC, en faisait grand cas ; il raconte par ailleurs dans Drôle de jeu qu’il faut savoir se servir d’une prostituée pour apprécier ce qu’elle apporte — et autant j’ai pour les maquereaux un mépris souverain (l’un des bons souvenirs de ma vie sera d’avoir cassé les incisives d’un apprenti-barbeau sur la margelle de la fontaine des Danaïdes, en haut de la Canebière), autant je respecte les prostituées, à qui je souris gentiment quand elles croient bon de me proposer leurs services, au hasard des rues.
Quant à la sodomie…

Ce que ce procès révèle, c’est l’épidémie de moraline, comme aurait dit Nietzsche, qui se répand en ce moment plus vite que la grippe — et le succès de Cinquante nuances, cette bleuette du SM rêvé par les impuissants, en témoigne directement. Eric Dupond-Moretti, avocat de David Roquet, a d’ailleurs dénoncé la « dérive puritaine de l’instruction ». Et Valérie de Senneville, journaliste aux Echos, n’a pas manqué de souligner qu’« il y a une sorte de complaisance de la part des juges à s’étendre sur des détails pornographiques qu’[elle] trouve assez dérangeante ».
Ce que les juges reprochent à DSK, c’est ce qu’ils ne font pas, ou ce qu’ils prétendent qu’ils ne font pas — car  la moraline se pimente volontiers d’hypocrisie. Il faudrait les sortir de temps en temps, les amener aux Chandelles ou ailleurs, là où se perdent les philosophes épicuriens contemporains, leur montrer que nombre de filles, et parfois fort jeunes, et tout à fait maîtresses de leur corps, ne jouissent vraiment que par ci ou par là. Et que les mots crus, voire grossiers, et les pratiques « un peu rudes », correspondent chez certaines à des demandes que le Net a d’ailleurs popularisées — « défonce-moi donc le cul » — au-delà même du pur principe de plaisir. Le foutre parle une langue débarrassée des fioritures, Sade a remarqué cela il y a beau temps, et la Philosophie dans le boudoir est un long exercice d’acquisition du vocabulaire pour la jeune Eugénie, en sus (si je puis dire) d’être une initiation de l’envers et de l’endroit.

« Désirs sexuels hors norme » dit l’acte d’accusation. « Hypersexualité », disent les psychiatres convoqués en renfort. Ma foi, ce que ces deux jugements révèlent, c’est la pauvreté des étreintes des juges et des psychiatres — ceux-là tout au moins. « Vu son âge, il devait prendre du Viagra », dit l’un des participants. C’est possible, mais le contraire n’est pas impossible, savez-vous… Les jeunes hommes sont des mitraillettes, les vieux des fusils à un coup — mais ils peuvent indéfiniment retenir l’explosion. Un que je connais, comme dit Brantôme, s’est vu maintes fois accuser de faire exprès de ne pas jouir, pour épuiser sa partenaire. DSK n’a jamais que quatre ans de plus que lui : tout ce que cette affaire proclame, c’est que les juges (et les psychiatres), quoique certainement plus jeunes — sinon, ils seraient à la retraite — n’ont pas ses capacités. Alors, basse jalousie d’hommes aux érections incertaines ?

Quant à l’argument de l’âge… « Que pouvaient-elles faire là avec un type bedonnant, trente ans plus âgé et rustre ? » dit l’une des ex-participantes. Ma foi, des hommes « d’un certain âge » qui sodomisent à leur demande des filles nettement plus jeunes, cela se trouve tous les jours. Trente ans d’écart, cela n’est rien — cela s’est pratiqué durant des siècles, et quand Mahomet à 44 ans a épousé Aïcha, elle était âgée de neuf ans, et Hafsa, épousée l’année suivante, n’avait guère plus, quoique déjà veuve.
DSK n’a peut-être pas pris modèle sur Mohammed, mais depuis l’aube des temps des hommes mûrs se sont retrouvés avec des filles plus jeunes — et bien plus rarement le contraire, parce qu’au fond de l’inconscient gît le désir de reproduction, qui à partir d’un certain âge devient capacité de reproduction, et ne fonctionne plus que dans un seul sens. Trente ans d’écart, cela n’est pas grand-chose.

DSK est le nom sexuel de la crise. J’ai publié dans l’insouciance des années 1990 des ouvrages érotiques. Aujourd’hui, l’éditeur m’a confié que depuis la crise des subprimes il ne pourrait plus les publier : quand tout va mal, les bourses se referment, si je puis dire. Les années 1960-1970 ont été de grandes années de libération, qui s’accordaient au sentiment euphorique née des Trente Glorieuses. Les années 2000-2010 sont des années tristounettes, où un homme aux appétits normaux est cloué au pilori par une conjuration des impuissants et des féministes de seconde génération. Je ne sais pas encore ce que décideront les juges, mais la tenue même du procès, qui n’aurait jamais dû avoir lieu (que l’on juge des pourvoyeurs, c’est autre chose) est inquiétante : nous avions inventé la liberté sexuelle, DSK, enfant du baby-boom, y croyait, le voici, nous voici alpagués par les brigades de la vertu. Triste époque qui s’agite autour d’une question de mœurs pour mieux camoufler ses turpitudes économiques, politiques, idéologiques. Le sexe est devenu la feuille de vigne de l’inavouable — la façon dont nous nous faisons, au jour le jour, enculer.

Jean-Paul Brighelli

29 commentaires

  1. Proclamer que, pour être durables, certains développements devraient tendre vers le chemin de plus grande rectitude, est ce se vautrer dans la moraline ?

    http://nsm08.casimages.com/img/2015/02/08//15020812530916723112943005.jpg

    Je pose la question.

    PS : j’ignorais que le nabi(t) était sodomite.

    PPS : Un avocat des parties civiles, si j’ose dire, a traité DSK de « sardanapale des temps modernes ». Ce qui incite à citer Lord Byron : « quand vient l’heure de l’adversité, tous deviennent courageux contre celui qui tombe »

  2. On ne peut à la fois dénoncer un moralisme sexuel désuet au nom de la liberté du cul et se plaindre que certains mâles ne considèrent les filles que comme des trous à combler.
    Ni, non plus, s’étonner des « tournantes » et autres formes barbares de sexualité.
    Non?
    Sur DSK, vraiment mais vraiment rien à foutre des ébats du susdit. Je n’y vois pas de crise sociétale! Quel Etat aurait, aujourd’hui, l’outrecuidance de diriger les élans libidineux de ses citoyens?!!

  3. La presse : « DSK en route pour le non-lieu »

    Pourtant, en matière de (bi)route, tout finit par être très localisé.

    Quand il sera élargi, il prendra le pli et après le Carlton, il tapera le carton avec dodo et aura à cœur de ne plus être priapique.

  4. Le scandale est que ne soit pas (ne puisse pas être ?) jugée l’évidente intention de corruption de la part d’hommes d’affaires à l’égard d’un futur président de la république (à l’époque).

    • Dodo la saumure aurait été ministre d’état chargé des chasses présidentielles (chargé d’intromission, gestionnaire des pouliches chargée de satisfaire l’étalon).

      On l’aurait vite affublé du sobriquet : « le slip éminence gris » ou « le cadre noir de saumure »

  5. Il faut lire , « Rose Mafia », de Gérard Dalongeville,qui explique les circuits de financement du PS .
    Vous y retrouverez le système avec des noms qui ressortent pour le Carlton.
    L’auteur y explique aussi le fonctionnement de la justice avec les réseaux dans le nord pas de calais.

    DSK a toujours bénéficiié de la clémence de la justice française et

  6. la justice va nous expliquer que ,non il n’était pas organisateur de ces moments , même lorsque cela se passait dans son bureau du FMI.
    On savourera comme il se doit le verdict

  7. Monsieur Brighelli,
    Je suis désolé d’intervenir ici à propos d’un autre sujet mais sur le site du Point il est nécessaire d’être abonné pour pouvoir donner une information. Dans un article « face à la vague noire, interdisons le voile à l’université ! » vous soulignez la dérive de Paris XIII en particulier, et vous avez raison.

    Sachez qu’au salon « APB » (inscriptions post-bac) qui s’est tenu fin janvier à la Villette à Paris, sur le stand de cette université officiait une jeune voilée, ce qui drainait toutes les voilées à la recherche d’informations.
    Ce genre de travail se réalise forcément dans le cadre d’un service public, rémunéré ou non.

    Paris XIII, et donc son président, Salzmann, accepte de fait que des représentantes de l’État soit voilées lors de l’exercice de leur mission.
    Ces gens-là nous conduisent droit au conflit.

    Bravo pour votre combat et « c’est bien plus beau, lorsque c’est inutile » !

  8. « Trente ans d’écart, cela n’est pas grand-chose. »

    Ah bon ? Personnellement, je n’ai jamais pu.
    Aucun homme n’aurait envie de se taper une mémé, n’est-ce pas ? Eh, bien soyez assuré qu’aucune femme (sauf gros besoins financiers, ou soif de notoriété, ou problèmes psychiatriques) ne pourrait se taper son « père » ou son « grand-père ». Désolée de vous faire de la peine.

  9. Ah bon ?
    Si vous le dites… Qui suis-je pour vous contredire ?
    Sans aller chercher des anecdotes privées, la majorité des mariages, durant des siècles, consacrait de tels écarts. Alors, certes, il y en avait beaucoup d’arrangés, pas mal de malheureux, mais qui vous dit qu’il n’y en avait pas où les filles trouvaient leur compte ?
    ET puis, un petit complexe d’Electre en passant…
    Enfin, ne dit-on pas que c’est dans les vieux pots… Il a l’air assez robuste, DSK… Et on apprend plein de trucs, avec l’expérience…
    Paraît-il…

  10. Comme vous, JPB, je respecte les prostituées (et ne suis pas client).
    Toutes font un métier bien ingrat et beaucoup ne l’ont pas vraiment choisi.

    * La fréquentation de prostituées majeures n’est pas un délit.
    * Il ne me viendrait pas à l’idée de critiquer le goût pour la sodomie de quiconque qui n’est pas non plus (heureusement !) un délit.
    Dès lors si DSK est relaxé je ne serai pas choqué.

    Néanmoins je juge pitoyable qu’un homme possédant l’entregent, le réseau relationnel, le charisme, la fortune, etc. de DSK en soit réduit à des « amours » tarifées.

    Les même pratiques réalisées dans un environnement libertin non mercantile ne me choqueraient bien entendu pas !

    Je comprends volontiers que des personnes confrontées à la misère sexuelle pour toutes sortes de raisons (handicap, inhibition majeure face aux rencontres, laideur extrême, etc.) aient recours à la prostitution.

    Payer pour « faire du sexe » c’est moche, minable, pas un truc de « vrai mec ».
    Instrumentaliser l’intimité physique de l’autre doit être réservé aux cas de force majeure (ou aux jeux érotiques entre partenaires consentants ET libres de tout contrat marchand !).
    Largement pas le cas de DSK …

    Et ça montre bien l’absence totale de respect d’autrui qui lui est par ailleurs reprochée dans beaucoup d’autres contextes.

    Du coup je suis plutôt satisfait que sa carrière se soit interrompue, même si je crains que d’autres ne soient pas mieux inspirés en ce domaine …

  11. C’est oublier l’empire qu’ont le Pouvoir (notamment financier) et l’Argent sur la libido féminine… Il ne faut pas compter pour les juges d’aujourd’hui pour admettre ça. Les hypocrites.

  12. La directrice de Vulcania serait tombée dans un volcan mal éteint du Puy de Dôme … on me dit que ce cratère ressemble à un anus exploré par DSK !

    D’ici à ce que nouveau Krakatoa nous explose à la figure il n’y a qu’un pas vite franchi !

    • Nous vivons dans un monde dangereux où les anus ressemblent à des cratères de volcans et les innocents passants à des joueurs de couteaux mal dégrossis !

      C’est bien simple : je ne sors plus sans mon 49-3 bien chargé afin de répondre aux malandrins !

  13. Voilà bien des certitudes exprimées sur ce qu’aucun homme ou aucune femme ne saurait aimé. Je ne crois pas qu’on puisse, comme tente de le faire JPB, contre-argumenter sans aller chercher dans les anecdotes personnelles. L’histoire du mariage ou la statistique ne nous renseignent pas vraiment sur les envies des uns et des autres. Je connais personnellement des hommes et des femmes qui ont eu des relations avec des personnes trente ans plus âgés qu’eux et ils ne me paraissent pas nécessairement plus névrosés que ceux qui affirment n’avoir eu de relations que dans leur tranche d’âge. Par ailleurs, j’emmerde le complexe d’Electre. L’âge n’est pas un gage de maturité ou de plus grande expérience et il n’y a pas toujours, de ce point de vue, d’asymétrie systématique entre des personnes que trente ans séparent.
    Il y a des lois qui encadrent la sexualité : celle du consentement mutuel et celle qui fixe l’âge du consentement. Pour le reste, le sexe est bien LE domaine où l’on doit admettre le « chacun ses goûts » et se garder de porter des jugements.

  14. La toute-puissance de la jouissance c’est cela le vrai sujet !

    Mais en fait je crois que la seule manière authentique d’être un fou littéraire c’est d’être un moraliste. Le reste n’est que folie commune …

  15. Merci, Kali, d’avoir dit clairement les choses que nous tentions de dire confusément…
    Et presque personne n’a cédé à la tentation de l’anecdote autobiographique…
    D’ailleurs, qu’aurions-nous pu dire…

  16. En relatant des anecdotes personnelles, je n’aurais rien pu dire qui soit recevable – je cumule problèmes de thunes et déviances psychiatriques – mais je connais des gens normaux !

  17. EN réalité, je crois que c’est plus profond que ça.

    Le peuple français (comme tant d’autres) ne cesse de voir des ressortissants de la classe politique « présumés coupables » dans des affaires diverses et variées, et sans jamais être réellement inquiétés. Ou si peu.

    Les misérables perdent leur permis pour trois stops grillés (et il en est d’absurdes), les puissants traînent des chapelets d’affaire lourdes et infamantes continuent de nous casser les pieds et de nous faire la morale en toute liberté, et comme si de rien n’était (par exemple, un ancien président…).

    En l’occurrence, au sujet de M. DSK personne n’est dupe : on connaît tous le passé du monsieur (les langues se sont déliées, parfois, chez certaines de ses ex-étudiantes), on a vu passer plusieurs affaires soldées par des non-lieux ou des conclusions un peu plus ambigues (Banon), des bruits courent trop nombreux pour ne pas, au minimum, éveiller les soupçons.
    Pour le coup, dans le procès dont il est question, même si je veux bien croire que tous les goûts sont dans la nature, il semble quand même peu probable, voire qu’un grand nombre de jeunes filles aient été réellement attirées par DSK, au point de tout accepter sans discussion, si facilement, si rapidement, avec la brutalité en prime. A la rigueur, dans des situations, si improbables, au contact de jeunes filles qu’on ne connaît pas, essayer d’en savoir plus sur les jeunes filles avant de leur en faire voire de toutes les couleurs est de s’assurer de leur consentement. Surtout, je le redis, dans des situations elles que celles-ci, propres, quoiqu’on en dise, à éveiller les soupçons.

    Mais je pense que dans la sévérité de l’opinion publique, DSK paie aussi, et pas qu’un peu, pour ses petits camarades qui font des lois pour les autres pendant qu’ils les outrepassent allègrement (et impunément) pour leur compte.

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