On connaît l’adage : « Ce qui nous divise est moins important que ce qui nous rassemble… »

« Consensuel ! » m’étais-je promis. « Je serai con-sen-suel… »

C’était mal parti. Invité à une table ronde sur « l’adaptation à l’hétérogénéité », j’étais débarqué mardi dernier : de bonnes âmes avaient prévenu Vincent Peillon que j’avais jadis menacé Pierre Frackowiack de lui « couper les choses / Par bonheur il n’en avait pas », comme disait Brassens. Gamineries de temps anciens, quand le même Fracko m’accusait de « penser brun » — c’était moyennement consensuel, quand j’y pense…

Incidemment, les mêmes sycophantes avaient signalé à Peillon que je l’avais un peu égratigné dans une Note récente (1). C’était moyennement consensuel.

Nous nous sommes expliqués, et Peillon s’est révélé un hôte attentif et efficace.

Un vice-président du SNALC, Jean-Albert Mougin, me remplaça opportunément dans ledit « atelier ».

Débat soigneusement encadré par Daniel Assouline (2). Gérard Aschieri fut égal à lui-même (un peu fatigué, peut-être), et Thierry Cadart meilleur que ses militants SGEN de base (3). Puis il y eut Patrick Gonthier (UNSA). Déjà le niveau baissait.

Refrain commun des trois comparses, avec divers degrés de bonheur dans l’expression : le collège n’est pas encore unique. Pas assez unique. L’hétérogénéité pas assez forte. Et la suppression (très relative) de la carte scolaire scandaleuse. Ce fut aussi le refrain qu’entonna J-M. Zakhartchouk, l’ineffable rédacteur des Cahiers pédagogiques : enseignant en ZEP, il trouve ses élèves trop homogènes. Pour un peu, il faudrait faire du « busing » en sens contraire, et amener en banlieue les bourgeois du centre — et les bourgeoises : par souci pédagogique ou par sadisme ?

C’était ouvrir un boulevard au SNALC, qui rappela que le concept même de collège unique n’était pas une vache sacrée, et qu’il faudrait quelque jour — prochain, si possible — l’autopsier et en tirer les conséquences.

Olivier Lecomte, vrai scientifique et prof à Centrale-Paris, eut beau expliquer que le système, en aval, veut des gens maîtrisant la langue, la culture et les sciences à haut niveau, nous fûmes priés de rejeter l’« élitismebourgeois » (« S’écrit en un seul mot », aurait dit le Flaubert du Dictionnaire des idées reçues), et de nous contenter du socle, seule institution démocratique. Consensuel en diable, j’ai donc rappelé qu’il y avait pléthore de socles successifs : l’apprentissage du Lire / Ecrire / Compter / Calculer en GS / CP (et d’expliquer que si on y arrivait dans les écoles de la Drôme rurale, on pouvait y arriver partout), la maîtrise des savoirs et d’une culture de base fin CM2, la capacité à jongler avec « les chiffres et les mots / Les dates et les noms / Les phrases et les pièges » (Prévert) fin Troisième, et une vraie culture scientifique et littéraire à l’orée du Bac.

De Pierre Frackowiack, je ne dirai rien. Je regardais parfois, du coin de l’œil, Natacha Polony qui bondissait sur son siège, pendant son intervention. C’était très drôle.

D’où le ton un peu désespéré du billet d’humeur par lequel elle a résumé la journée sur son blog : http://blog.lefigaro.fr/education/2009/11/

Puis on déjeuna — l’un de ces banquets républicains à 800 têtes dont on avait perdu le secret depuis 1848 (d’ailleurs, les « ateliers » organisés avaient eux aussi un parfum « printemps des peuples et Franc-maçonnerie » — la Seconde République contre Napoléon le Petit et ses émules).

Un bruit soudain, une rumeur, des éclats de voix, un mouvement de foule : Sainte Ségo parut, flottant plutôt que marchant, tant elle était portée par les paparazzi. Capable, à son habitude, de sourire à quarante objectifs en même temps, de droite à gauche.

Parce que la seule foule qu’elle attira, ce fut celle des journalistes et autres traqueurs d’images pieuses. « Je suis parmi les miens », proféra la dame, férue de fraternitude. Eh bien, je vous jure que bien peu des présents la considérèrent comme des leurs : les conversations continuèrent, l’après-midi s’organisa, le micro-événement (dans le cas de Royal, il s’agit de son rapport aux micros) s’estompa vite. Il n’y eut que les télévisions pour en faire leur bien. Et l’eau se referma sur la pierre qui avait cru un instant troubler les grenouilles.

« Etes-vous bien consensuel ? » me demanderait un lecteur pointilleux. Mais c’est que je n’ai pas à l’être, en l’espèce. Les rapports de Ségolène Royal avec l’Enseignement, c’est ça (http://www.dailymotion.com/video/xm4ph_profs-segolene-en-off_school) et ça (http://desirsdavenir.over-blog.com/article-1870012.html).

Et rien d’autre.

Seconde table ronde vers 15 heures — il y en avait bien entendu d’autres (4), en parallèle, mais votre serviteur n’a pas pour le moment de dons d’ubiquité. « Enseignant demain : pour quelles missions ? »

Robert Rochefort (5), qui l’animait, rappela en entrée que les profs étaient si peu heureux que 85% d’entre eux pourraient sereinement envisager de faire autre chose. Mésestimés, mal payés, mal famés — affamés même, puisque le rectorat de Versailles avoue verser régulièrement des « chèques-nourriture » de 200 euros à des profs dont le maigre salaire presque tout entier passe dans la location d’un trou à rats — avec 1350 € par mois, on ne peut pas même espérer un abri sous roche convenable.

Le modérateur donna donc la parole à un universitaire, Patrick Rayou, puis à un directeur-adjoint d’IUFM, J-L. Auduc, qui osa critiquer la main qui le nourrit en soulignant que la machine à décerveler avait trop longtemps mésestimé l’importance des savoirs disciplinaires. Vint le tour des syndicalistes de service, Frédérique Rolet (SNES), égale à elle-même, langue de bois élégante, critiquant sans emphase les négociations réengagées la veille au ministère sur la mastérisation.

Puis Christian Chevalier, l’autre cheville du SE-UNSA.

Ah la la… Jamais diatribe plus violemment bornée ne sortit des lèvres d’un représentant enseignant. Des masters disciplinaires ? Quelle impudence ! Seul un vrai « master professionnel » pourrait former (uniformément si possible) les coachs d’apprenants, de la maternelle à l’université. Haro sur les savoirs savants ! De quelle autre spécialisation que pédagogique un prof a-t-il besoin ? Les yeux lui sortaient de la tête, un tremblement sacré le saisit, et il se lança dans une apologie des IUFM.

Consensuel en diable, je n’ai pas cherché la polémique, et à force de bouillir sur place, je suis sorti prendre l’air.

Les discours de clôture, parfaitement calibrés (je vous en donnerai au moins un, mais plus tard, pour ne pas alourdir une Note déjà trop longue), appelaient à un prolongement des travaux du jour, qui n’avaient fait qu’effleurer les problèmes — afin de trouver des amorces de solution, qui pourraient constituer le « socle » d’un programme commun, à l’horizon 2011. Mais, de Robert Hue à Marielle de Sarnez en passant par Peillon et les frères Cohn Bendit (6), il y avait une volonté vraie de s’organiser, et de frapper à toutes les portes pour en faire sortir les idées qui permettront d’aller vers une Sixième République — la Cinquième s’achevant dans les pompes d’un pouvoir purement personnel.

Consensuel, vous dis-je !

 

Jean-Paul Brighelli

(1) http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2009/10/28/programme-commun-i.html

(2) Un ancien « lambertiste » du PS, comme Mélenchon dont il fut le dir-cab quand il était Secrétaire d’Etat à l’Enseignement professionnel.

(3) Cadart use et abuse d’un certain abattage, d’une aisance verbale qui lui fait obstinément draguer, à chaque réunion ministérielle, des militantes exogènes. Allons, Thierry, jamais le SNALC ne couchera avec le SGEN…

(4) J’ai ainsi raté un atelier sur la continuité éducative du tout-petit enfant à la fin de la scolarité élémentaire », un autre sur les violences scolaires, et un dernier sur le temps dans l’éducation.

(5) Economiste et sociologue, député européen du MoDem.

(6) Philippe Meirieu, tout récent candidat des Verts aux régionales en Rhône-Alpes, s’était désisté. La cheftaine Cécile Duflot avait interdit au louveteau lyonnais de se mêler à la réflexion commune, de peur que l’on croie que les Verts (grands absents de ces agapes, même si Europe Ecologie était là, via Gaby Cohn Bendit et quelques autres) étaient potentiellement autre chose que les alliés objectifs du pouvoir en place.